À cœur ouvert

On continue dans la direction du Nord, mais pour rejoindre la ville de Thakhek, on emprunte désormais la route 13, la « grande » route reliant la frontière septentrionale chinoise à celle cambodgienne tout au Sud. C’est loin d’être une autoroute, il y a un petit peu plus de trafic, mais cela reste très raisonnable.
Non, le seul réel désintérêt de la route 13, c’est qu’elle est d’une rectilinéarité léthargique sur ce tronçon longeant le Mékong et que ses paysages sont d’une monotonie abrutissante.DSCF9660 DSCF9664 DSCF9695 DSCF9690112 km nous sépare de Thakhek que l’on couvre en une demi-journée (on rappelle qu’on roule à 40km/h de moyenne)
Le plan étudié, on décide de ne passer que par des routes bitumées (ou au moins des pistes de qualité ?) pour rejoindre le Nord.
Depuis Thakhek, nous pouvons emprunter un segment d’une boucle plébiscitée.
Ok, faisons-y halte avant de repartir de plus belle sur notre puissant destrier.

… en parlant de K’rá Diêu, il y a bien ce râle régulier qui se fait de plus en plus entendre.
Au Laos, et depuis l’adoption de notre moto, nous avions noté que les mécano’ de bord de route sont très efficaces pour couvrir de petites réparations, ou opération de maintenance pour quasiment rien (et encore rien, c’est souvent le prix falang).
Mais cette fois-ci, ça semble venir des entrailles de K’rá Diêu, un pignon fou en fin de vie ? un arbre à cames voilé ? Il faut dire que ces motos de voyageurs passent dans de nombreuses mains pas toujours bienveillantes*.
Profitons donc de la taille relativement importante de Thakhek pour aller voir un professionnel, et il y en a quelques-uns le long de la rue principale.
On passe en premier chez Monsieur A, qui, rien qu’au son, nous « dit » (personne ne parle anglais bien sûr) que ça vient de la bielle, qu’il faut tout changer, c’est 800 000 kip (~90€, 1/3 du prix d’achat)…
Ouille !
Bon, et bien, allons un peu plus loin pour entendre ce qu’on a envie d’entendre.
Monsieur B lui a ses mécano’ débordés, et puis la pause déj’ approche, il faut revenir après 14h.
« Faut ouvrir, on peut rien savoir sinon ».
Bon bon… On sent que ce n’est pas demain qu’on va repartir d’ici.

Enfin, on passe chez Monsieur C, un petit papy et son acolyte, très professionnels, ils prennent le temps en démontant et toutes les pièces sont rassemblées dans un carton, c’est propre (il faut rappeler que dans tous les pays d’Asie, on travaille accroupi, et tout est toujours en chantier).

D’abord il pense que c’est le volant d’inertie qui frotte sur son carter…
… non, c’est pas ça… alors on démonte un peu plus, la distrib’ ? pas de jeu de l’arbre à câmes, la chaîne de distrib’ est bien tendue…DSCF4668Stitched Panorama DSCF46791On démonte un peu plus alors, on entre dans le carter moteur.
Ouille, y’a du jeu dans les paliers du vilebrequin.
Et puis d’après eux, ça a pas l’air d’être une bonne nouvelle, d’autant qu’il diagnostic que cela provient du châssis en lui-même.

Bien entendu, il n’y a pas les pièces au Laos !
K’rá Diêu est Vietnamienne, et ces idiots de backpackers – dont nous faisons partis, achètent des motos qu’on ne trouve pas ici.
D’après Monsieur C, on peut continuer à rouler, pas de danger… juste qu’on risque de bientôt serrer le moteur (= moteur HS).
Sa solution, c’est de monter un nouveau moteur, il s’en vend pour 5000 baths un peu plus loin, là-bas. « Je ne peux rien faire. »
Quoi ? 5000 baths (125€+), ouille aïe aïe !
On ne pense plus qu’on partira le lendemain, on pense plutôt à : et merde, la moto est foutue, on en fait quoi ? On continue en bus ? personne n’en voudra, même en la bradant.

Car le pire, c’est qu’une fois tout remonté**, le râle se fait encore plus métallique qu’au départ, on a mal pour K’rá Diêu.

Dépités que nous sommes, on retourne finalement voir Monsieur B.
Accueil pas forcément chaleureux (toujours cette timidité face à la barrière de la langue).
Mais son apprenti se met très vite au boulot – sous l’œil aguerri du patron.
Chaque pièce qu’il démonte est soigneusement inspectée.
Mais dès qu’il en vient à toucher l’arbre moteur, il fait c’est pas bon en secouant la tête. L’apprenti fait appel au mécano’ principal. Puis on démonte un peu plus, et encore un peu plus…
On a l’impression d’être dans la salle d’attente, chez le médecin avant qu’il rende son diagnostic.
Il pense avoir trouvé, il martèle un peu les cages des roulements du vilebrequin, le jeu a l’air de disparaître. Bien.

On remonte le tout, on redémarre… toujours le râle.
Il est 16 heures quand le patron revient vers nous : même diagnostic. Merde.
Les moteurs comme ceux-ci, ça n’existe pas ici.
Puis le mécano’ revient vers lui, le patron fait la moue de la tête, avec ses mains ils montrent une explosion. On comprend : « il faut tout démonter, pour changer chaque pièce merdique » (et il doit y en avoir dans cette carcasse !*)
Il nous propose 700 000 kip et deux jours de boulot. Nous sommes toujours autant sous le choc.

Mais avant même que l’on donne notre avis, les mécano’ et l’apprenti se relancent dans le démontage, démontent la culasse, la chemise, sortent la disqueuse et attaquent l’arbre du kick et du sélecteur de vitesse, ouvrent le carter moteur en deux.
Euh… je crois qu’ils ont décidé pour nous.
Une vraie opération à cœur ouvert.DSCF4688 DSCF4694 DSCF4707

En une heure, on se retrouve avec notre moteur en mille morceaux dans une bassine avec de l’essence.
Un sacré puzzle dont ils prennent soin d’analyser chaque pièce, de conserver celles qui peuvent l’être, et dès qu’une n’est pas bonne, le mécano’ file sur son scooter l’acheter (au lieu de faire une liste pour tout aller acheter d’un coup…enfin…)

Pendant ce temps, nous restons au chevet de K’rá Diêu.
Marion tire une tête de 6 pieds de long, Brice est partagé entre angoisse de voir la note gonfler et bonheur de jouer avec la boite et ses engrenages …DSCF4695 DSCF4765 DSCF4722 DSCF4742

Et on constate les dégâts : un arbre du démarreur voilé, une cloche d’embrayage totalement bouffé par ses disques (Marion dit : « pourtant les dents sur la cloche sont propres, bien et tout », et Brice de répondre : « normalement y’a pas de dents ». Ah…)…DSCF4709 Stitched Panorama DSCF4748DSCF4775

On restera au garage jusqu’à sa fermeture sur le coup de 17h30…
On rentre penaud, on a bien le droit à une bière, tiens.
Nous rendons visite à K’rá Diêu le lendemain en milieu de matinée, le mécano’ est dédié à notre moteur.
En attendant, on en profite pour avancer sur le blog (certainement que notre virée dans les sentiers de la route 23 n’a pas dû faire du bien à K’rá Diêu ) et se balader un peu le long du fleuve.

Thakhek est situé juste en face de la Thaïlande, sur l’autre rive du fleuve.
Et donc, les gens captent les chaines de télévisions thaïlandaises.
Aussi, le matin, à 8 heures alors que nous mangeons nos bao-ze au porc, résonne dans les resto’ et bui-bui, l’hymne thaï, avec le bon Roi en toile de fond.
Au bout de la rue principale, une petite placette encadrée d’immeubles coloniaux, et quelques tables offrant au chaland de la viande grillée, et du riz collant ; mets dont les Laotiens raffolent en journée (le soir, le riz se fait rare, et on se rassasie d’une grande soupe de nouilles plus ou moins riche).DSCF4770

La fin de journée venue, nous voilà de retour au garage.
Le moteur est quasiment remonté, on le fait tourner.
Il tourne comme une horloge.
Mission accomplie.
Il ne reste plus qu’à payer la douloureuse, 660 000 kip + deux tendeurs tout neufs, plus du pourboire pour nos mécano’, nous voilà rendu à 700 000 kip (~80€). On sort soulagés.
Monsieur B, et son équipe sont très sympa, K’rá Diêu a un moteur tout neuf.

Nous sommes prêts à continuer notre route vers le Nord.

 

‘*À Pakse, nous en avons essayé avec des fourches fuyantes, des directions branlantes, des moteurs plein de « clous »… il y a même un type qui avait fait son trajet Nord-Sud sans frein avant, assurant qu’il se débrouillait très bien avec son seul frein arrière… d’où la planéité de son pneu. Donc oui, on a du mal à la dire, mais K’rá Diêu est la moins pire.

‘** Au Laos, la main d’œuvre ne coûte pas un clou, aussi, quand on fait une vidange, le mécano’ ne fait payer que le prix de l’huile, ou des plaquettes de frein si on les change.
Quand on vient retendre la chaîne, Brice se serre en graisse pour la badigeonner, et nous jugions bon de laisser un ou deux billets (~20-50cts).
Aussi, pour le diagnostic, Monsieur C et son acolyte ont tout de même passé 2heures sur K’rá Diêu, on propose de le rétribuer, il nous invite à lui donner ce qu’on veut, en lui donnant 20 000 kip (2€), on comprend que ça devait faire trop (!).

10 thoughts on “À cœur ouvert

  1. Jusqu’à vos * en fin de post, je me disais « pas possible, les mécanos ont démonté et remonté tout pour pas un rond » ?
    En France Kpou, c’est pire qu’en Afrique, tu repars plus léger avant même que ton bolide soit réparé ; juste pour identifier d’où vient le problème

  2. Mes pauvres loulous. Bon heureusement tout est bien qui finit bien. On pense fort à vous. De chez nous Solal se met debout. On est trop fier. Bisous bisous

  3. Tout un post pour 80 boules, vous avez perdu le sens des proportions. Ca va vous faire bizarre quand vous changerez un essuie-glace en France 😉
    Bises

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