Chez les Spirou

En choisissant de rejoindre le Pakistan, nous savions que malgré les obstacles, des paysages merveilleux et leur immensité nous récompenseraient.
Nous savions que nous allions au bon endroit.
Que nous prenions la bonne direction, la bonne décision.
Ces derniers jours n’en ont été que la confirmation.

Notre départ de Kashgar se fait un peu tôt.
À 9 :00 du matin, heure de Beijing, les premières lueurs de l’aube pointent tout juste à l’horizon. Les autobus se font attendre et c’est dans une fraicheur matinale que nous rejoignons la gare.
Plutôt qu’une gare, nous arrivons sur un parking investit par des minivans bleus et jaunes et des pick-up bardés de charges et victuailles à convoyer dans la région de Tashkurgan.
Après d’âpres négociations, nous embarquons, trois mamies cantonaises en vadrouille, un jeune businessman pakistanais et nous deux, en direction de Taskurgan, située à 300 km de Kashgar et dernière ville avant la frontière.
À peine sortis de la ville que déjà le premier poste de police pointe son nez.
Contrôle des papiers, des passeports, qui est notre guide (on appelle le chauffeur du minivan qui devient ainsi responsable de nous), d’où on vient, où nous allons, photo de tampon de Thaïlande et du visa expiré de l’année dernière et hop, on nous laisse passer.
Ces contrôles incessants commencent vraiment à nous peser, surtout qu’ils sont la conjugaison d’une procédure vague (les types ne savent pas ce qu’ils cherchent), d’application non raisonnée (aucun sens critique), et d’une zèle frôlant l’abus de pouvoir, tout ça sans aucune courtoisie – si ce n’est aucun respect pour certains à la nationalité moins « noble » que la nôtre.
Peu importe, nous laissons notre rancœur et mépris de côté. Dans quelques jours, tout ceci sera derrière nous.

Assis confortablement dans le minivan, nous roulons lentement en direction du Sud.

Les mamies nous parlent en chinois, notre nouveau copain pakistanais nous parle en anglais, les mamies lui parlent en chinois, on lui traduit.
Notre fine équipe fait connaissance à mesure que nous nous rapprochons des montagnes.
À l’horizon se dessine une ligne de sommets enneigés.
C’est là que nous allons !

Le reste des 6 à 7 heures de trajet se feront le visage scotché au carreau, dans un ballet de photos prises à droite, prises à gauche, prises devant, prises par la fenêtre.
L’auto s’enfonce parmi de vertes plaines bordées de montagnes aux roches multicolores.

La rivière n’est qu’un filet d’eau serpentant dans un lit pourtant démesuré, ce qui en dit long sur l’imposant débit qui coule lors de la fonte des glaciers en amont.
Et ces glaciers ne tarderont pas à pointer le bout de leur cime.
À mesure que nous nous élevons, les vallées fertiles laissent place à des vals secs. Les flancs de montagnes hostiles ne laissent vivre que quelques chameaux et bouquetins assoiffés.
On distingue déjà derrière certains massifs, les pics à la neige immaculée brillante sous le soleil.

Premier plateau, premier arrêt pour notre équipée.
Une énorme retenue artificielle d’une eau d’un bleu laiteux.
Une quiétude désertique à 3300m du niveau de la mer.
Étrange étendue d’eau, entourée de reliefs en pente douce et, pour la plus méridionale, sablonneuse.

Nous continuons notre route le long d’une large vallée aride où une rivière brasse une eau gris clair, provenant des blancs sommets qui nous font face.
Ils sont déjà énormes, et ne cessent de s’imposer dans notre champ de vision.
Nous continuons de grimper pour rejoindre le lac de Karakol à plus de 3600m et à quelques lieues de la frontière du Tadjikistan.
Le végétation fait son retour, et les yaks, moutons et vaches paissent dans ces pâturages d’altitude.
La palette de couleurs est pleine de contraste entre ces steppes vertes et oranges, le bleu du ciel et le blanc scintillant des majestueuses cimes du Pamir qui couronnent le lac à l’eau limpide.

Nous poursuivons notre évolution dans un paysage de steppe à 4000 mètres d’altitude, contournant l’imposant massif du Muztag Ata, dont le sommet culmine à plus de 7500m et d’où glissent lourdement une demi-douzaine de glaciers.

Une fois le col passé, nous redescendons dans une large vallée, pour rejoindre Tashkurgan, Préfecture de la région autonome du même nom.
La ville est située à 3100m d’altitude. Elle se trouve au cœur d’une verte vallée dominée par des sommets aux flancs déserts.

Nous posons nos sacs et partons découvrir cette petite bourgade à majorité tadjike.
En effet, le Tadjikistan – tout comme le Kirghizstan et l’Afghanistan – ne sont qu’à quelques kilomètres d’ici et c’est avec étonnement que nous découvrons ces facies si différents.
Alors que les Kirghizes ont des racines communes avec les Turcs, les Tadjiks trouvent les leurs en Iran. Ce sont donc des Aryens des montagnes. Certains sont blonds – ou châtain, les yeux sont clairs, les nez fins et longs.
Les traits sont occidentaux, les visages allongés.
Alors eux aussi, ils sont Chinois ?

Les femmes portent de jolie toque cylindrique de Petit Spirou, brodée et posée au-dessus de leur tête, sur laquelle repose, pour certaines, un voile coloré.
Dans la rue du marché, on trouve quelques boutiques qui vendent de tout, un Ouighour boulanger, son four et ses pains ronds, un boucher Halal vendant de la viande de yaks, des chichlek qui cuisent sur le charbon et des plats de pilow (le riz pilaf ouighour, cousin du plov ouzbek) n’attendant qu’un ventre glouton…
Il y a bien des « Chinois » (lire Han) qui habitent ici mais on remarque que les quartiers sont distincts.

Parmi toutes nos réflexions, celle de l’identité revient souvent.
Nous ne parvenons pas à parler mandarin avec les locaux.
Comment ces gens se sentent en Chine alors que BeiJing est si loin, et qu’aucun Han les croisant dans la rue, ne les considèreraient comme leurs égaux (ce n’est pas sans nous rappeler la situation des habitants des Seven Sisters en Inde, parfois perçus comme des sous citoyens)
Comment peuvent-ils être assimilés à la Chine alors que leurs familles, leurs racines, leurs cultures sont dans les pays frontaliers.

Alors peut-être que les gens ici ne se posent pas la question, mais les différences sont telles qu’elles en deviennent presque absurdes (toujours la même profusion de drapeaux rouges – au cas où ils oublieraient – et de fantaisies urbanistiques Han).
Nous sommes un peu perplexes et déroutés de l’emprise que BeiJing a sur ces peuples.
Bien sûr, afin de faciliter le tourisme des mainlanders, en plus de l’hideuse tour panoramique en construction, un vaste complexe hôtelier et de boutiques a ouvert en bas de la ville.
ouf, ça serait dommage que les gens se mélangent.
Bon, il est temps que nous partions.
Notre capacité d’acceptation atteint ses limites. Nous n’arrivons plus à prendre la distance nécessaire pour y voir du positif et du bon.
Tout nous heurte et nous contrarie. Nous arrivons à saturation.
Ça tombe bien !
La frontière n’est plus très loin !

Le paysage restant néanmoins ahurissant, nous nous éloignons de la ville pour profiter de ce paysage incroyable.
Entre les montagnes, l’immense steppe marécageuse verte émeraude contraste avec les différentes strates cuivrées, beiges et rosés qui barrent les montagnes.
Les animaux se délectent de ces mousses et herbes grasses.

Quelques yourtes ponctuent cette image de leurs dômes blancs, alors que sur les hauteurs, la sèche terre révèle le caractère aride de ces régions lointaines.
En nous baladant, nous croisons quelques paysans occupés à leurs récoltes, leur bétail ou à récolter le foin, assistés de leurs mules.
Si ce ne sont les mausolées et tombes musulmanes qui trônent au sommet de certaines collines, nous pourrions nous croire en Roumanie.

La vie semble paisible, et le climat plaisant lors de notre séjour nous fait oublier l’hiver rude et l’isolement qui s’abat sur la région plusieurs mois dans l’année (la frontière est fermée environ 4 mois par an à cause de la neige)
Nous nous posons au bord de la rivière ou sur les hauteurs, ici et là, pour contempler ce décor de pays de cocagne qui s’étale sous nos yeux.
Nous respirons à plein poumons.

C’est beau.

14 thoughts on “Chez les Spirou

  1. Le paysage mêlant sommets enneigés, lacs et steppe est époustouflant… tout comme la taille des tapis : ça donne envie alors que je rentre juste d’Iran

  2. Vous etiez pas deja passe par Karakol? J’aodre le morceau de barbaque avec la queue de cheval encore attachee a un bout. Et oui, je plussois Reeback, ce paysage avec la steppe, la montagne aride et derriere la montagne enneigee est juste ouf. J’en fais mon fond d’ecran tiens.

  3. Ah ah aaaaaahhhhhhhhhh!!!!!!!!!
    LE RETOUR DE LA BOURLINGUE!

    Je kiffe! C’est trop beau! J’en prends plein les yeux dans mon rer!

    Pourquoi la frontière ferme t’elle l’hiver? Est ce parce trop de neige et donc pas accessible? Mais si quelqu’un parvient malgre tout a arriver a la frontiere, pourquoi lui dirait on : non ?
    Ou alors n’y a t’il pas de gardes – qui empêche alors de passer ?

    1. He he… Tu comprendras dans un prochain post…
      Tu verras que le poste frontière est situé a 4700m, que même en mi septembre il y a de la neige… D’ici le col, il faut aussi passer quelques check point, et personne ne peut passer ce no-man’s-land sans montrer patte blanche

  4. Coucou la famille !!

    En même temps c’est facile de faire un blog avec dea paysagea si jolis 😉

    Karakol… ça me dit qlq chose.
    Ne serait ce que la marque d’un beret à la mode en 1993 ou vous y êtes deja passer ? Au Kirghizistan ?

    Bisous et bonne route hors de la chine des Han.

  5. Sympa la moquette sur le tableau de bord, en ultra violet totalement 2018, la classe totale. Et plutôt que dire qu’il est au top des articles les plus consultés, vous auriez pu dire qu’il caracolait en tête. Bon allez, j’ai dit assez de bêtises en un seul post, mon premier en plus…

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