Le petit Poucet

En partant de Hpa-An, on décide de tenter un pick-up « long courrier ».
Assis sur de courtes banquettes en bois très dures, on s’apprête à partir pour la ville de Kyaik-Hti-Yo. Toujours cabossée la route bien sûr.
Mais, au Myanmar, ça va devenir le petit challenge : prendre les bus des locaux, et non pas ceux « pour les étrangers ». Parce que ça coute moins cher (il y a des prix « locaux » et « étrangers »), parce que c’est comme ça que font les gens ici, parce qu’on partage plus en voyageant comme ça,… Enfin, c’est ce qu’on pense, et ce qu’on a envie de croire et de faire.
Donc, notre pick-up part pour 4h de route, s’arrêtant régulièrement pour récupérer une personne, en décharger une autre, le chauffeur étant aidé par son copilote, installé à l’arrière de la voiture, debout, tête au vent, afin de mieux apercevoir les éventuels voyageurs au bord de la route, et de signaler au chauffeur lorsqu’un passager veut descendre. C’est tout une organisation.

Finalement pas si mal installés que ça, avec ce qu’il faut de poussière pour rendre le voyage, un peu salissant mais tout de même agréable, on sillonne les routes traversant les campagnes à vive allure.

À Kyaik-Hti-Yo, on doit prendre un autre pick-up, pour une vingtaine de km, jusqu’au village de Kinmon. C’est ici que nous allons nous mélanger aux milliers de pèlerins, venus en masse, voir le Rocher d’or, emblème suprême du bouddhisme en Birmanie.

Ce rocher (environ 7m de circonférence) est posé en équilibre en haut d’une montagne, et entièrement recouvert d’or par les pèlerins qui s’y rendent chaque jour, et surmonté d’un stupa.
Le village n’a rien d’un charmant-petit-village-qu’on-aime-bien, c’est juste un village dortoir. Ici, on ne trouve que des auberges, des dortoirs immenses (des nattes posées à même le sol, mais réservés aux Birmans qui y séjournent en famille), des restos et bui bui, des boutiques de souvenirs et d’offrandes.
Il est vrai qu’on n’avait pas imaginé se confronter à tant de ferveur religieuse en venant ici. Mais il y a foule !

Pour monter au Rocher d’or, il faut emprunter un camion-navette. C’est devenu une industrie lucrative et bien rôdée, avec des passerelles de « chargement » menant à de gros camions. Stitched PanoramaDans la benne, 7 rangées de places assises (enfin, une grosse latte de 10 cm de largeur sur laquelle tu poses une demi-fesse), 6 personnes étant installées par rangées.
Alors que le camion est encore à l’arrêt, on se dit que c’est serré, mais que ça ne dure pas longtemps.
Finalement, ça reste serré, et ça dure longtemps (env. 40min).
La route est vraiment chaotique, ça secoue énormément, et on l’impression d’être dans un bocal de riz qu’on secoue pour gagner de l’espace. Rapidement, par vibrations et secousses, tout le monde « trouve sa place », os, coude, hanche et demi-fesse, bien emboîtés les uns dans les autres.

En cours de route, on s’arrête à plusieurs reprises pour les « dons au bouddhisme » avec un type racontant pendant 5 minutes des trucs et des gens qui donnent…certainement pour être bien réincarnés.
Au bout du troisième arrêt « don au bouddhisme », on s’étonne que les gens donnent encore…
Nous on attend, impatients de sortir de cette boîte de riz.

À l’arrivée au sommet, tout le monde descend du camion-navette et retrouve sa liberté de mouvement !
On se dirige alors vers l’entrée du site. Des chaises à porteurs sont disponibles pour les plus fainéants ou les plus faibles. Et le prix dépend du poids…
Des porteurs sont également là, affublés d’énormes paniers en osier remplis de bagages et sacs en tout genre. Quel fardeau…

Plus on s’approche de l’esplanade, plus il y a de monde. Les gens viennent avec de gros sacs remplis de nourritures, des couvertures, des bâches, et tout un tas de choses. Ils doivent venir y passer une nuit et y monte le camp.DSCF3408Stitched Panorama DSCF3409 Le passage au Rocher d’Or est une étape importante dans la vie des Birmans bouddhistes.
L’effort fournit par le fidèle, lui garantit des bons points pour sa prochaine vie…

On s’acquitte d’un billet d’entrée only foreigners de 6$ par personne (qui fait bien mal au porte-feuille), et on découvre une immense esplanade, habitée et squattée par des milliers de personnes.
Posées au sol, des nattes sont installées et des bâches sont tendues. Les gens dorment, parlent, mangent et prient, alors que plus loin le Rocher d’Or se montre enfin.
C’est un gros caillou (apparemment, sa forme ressemblerait à la tête de Bouddha ?), et il semble bien en équilibre, tout là-haut.Stitched PanoramaEn contrebas, la vallée se dessine. Les stupa et temples, au loin, habitent les vertes collines environnantes.

Au pied du Rocher, de nombreux fidèles se pressent afin d’y coller une feuille d’or, d’autres prient, à l’écart, à genoux. (Si les hommes peuvent aller toucher le rocher, les femmes ne peuvent s’en approcher à moins d’une dizaine de mètres – les religions sont si paritaires).
De l’encens fume, des bougies brûlent, des cloches tintent.
Tout autour de l’esplanade, de nombreux autels accueillent les prières. Enfants, jeunes et vieux, moines, tout le monde cohabite, bruyamment.Stitched Panorama Stitched Panorama DSCF3449Au loin, un mégaphone crachote la voix d’un moine, qui « bénie » les Bouddha dorés, achetés par les fidèles.DSCF3467 IMG_7227 DSCF3468 IMG_7228On se faufile, pieds nus, à travers ferveur et dévotion dans ce brouhaha de rires, de litanie et de tintements de clochent.
C’est un moment impressionnant, et on est plus saisis par tout cela, que par le rocher en lui-même.

Au crépuscule, on déambule dans les rues de Kinmo pour fuir la furie touristique des pèlerins et se trouver une petite gargotte isolée où prendre notre repas… la nuit est tombée et toujours pas d’électricité. DSCF3513DSCF3526 DSCF3531
C’est souvent le cas en Birmanie, les capacités en énergie ne sont de toute manière pas assez grande pour éclairer convenablement les rues des grandes villes, mais en cas de coupure, si les hôtels ou certaines auberges possèdent des groupes électrogènes, ce n’est évidemment pas le cas de notre bui bui.

On dîne donc à la chandelle (à travers les yeux des locaux, le romantisme qu’y attachent les occidentaux est outrepassé par son caractère utile).DSCF3518 DSCF3519 DSCF3521 Et toutes les échoppes de la rue sont baignées par les chaudes lumières vacillantes des bougies. Ça donne au moins un aspect paisible à la chose… quand on est suffisamment éloignés des générateurs électriques pétaradants.
Le soir on rencontre Frédéric (il y a plein de Français au Myanmar), on discute du prix horriblement cher de la vie pour les touristes ici (c’est relatif bien sûr), et lui nous raconte ses expériences. Il en est même venu à écourter son passage par le pays pour protéger son porte-monnaie. A ce moment-là, on se dit qu’il exagère un peu. Il nous donne aussi plein de bons plans pour essayer de gruger les entrées des sites, et ne pas refiler d’argent à la Junte… et on commence par revendre nos billets du Rocher d’Or à deux Néo-zélandaises.
On passera donc la soirée à papoter de tout et de rien, souvent dans la pénombre et le bruit des groupes électrogènes, avant d’aller se coucher dans notre cage à poules.

7 thoughts on “Le petit Poucet

  1. Kpou (ou Reeback ou Star Ac’ de la strass « pince compliant ») : sort de leurs corps

    OK, je comprends que 6$ l’entrée, ça fait cher par rapport au niveau de vie du pays ; quoique ça fait ~4€ et ça correspond à un repas (du coup, ça reste le même ordre de grandeur que les musées en Europe) ?
    Après quand on voit le peuple qu’il y a, on s’étonne pas non plus que ça soit une manne financière pour ceux qui gèrent le site

    En voyant la vidéo et certains angles, j’avais trop envie de pousser le rocher pour le voir dégringoler la montagne
    Les diners à la bougie, j’avais kiffé sur Santo Antao au Cap Vert : l’électricité ne fonctionnait qu’à la tombée de la nuit (18-19h) jusqu’à 22h et était souvent coupée

  2. Impressionant. Ca donne envi d’aller faire un tour pour s’immerger dans cette ferveur. 6$, ca represente quoi dans le pays? un diner, 2 diner, 6 nuit d’hotel? Donnez-nous une reference qu’on puisse comprendre la frustration…

  3. Les impies qui donnent rien, vous serez réincarnés en stupas en plastique dans une boutique de souvenir.
    Si vous êtes renvoyés en France violemment par la junte, lundi je fais mon pot de départ en Agora à 17h30 🙂

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