Moulte An’imaux

Avant de rejoindre le Punjab, nous nous arrêtons à Islamabad pour un passage – initialement – éclair et reposant.

Nous retrouvons notre pied-à-terre dans le secteur G9/4 (dont on a appris qu’il s’appelait Peshawar Mall).


Notre séjour dans cette ville était pour nous l’occasion de revoir des personnes précédemment rencontrées.


Hamza, Faisal et Irfan de la communauté CouchSurfing de la ville, Eva, vlogueuse britannique à la renommée fulgurante (que nous avions rencontré à Sost), et son partenaire, chanteur et activiste, Haroon – dont nous ne connaissions pas la popularité avant qu’il ne nous invite chez lui.
Nous ne croisons finalement pas ces gens-là… Pas là au bon moment, pas libres… Tant pis.

En revanche, nous rencontrons enfin Katja et Mirko, deux cyclistes avec lesquels nous étions entrés en contact pour des formalités administratives.
Marion et Katja se sont bien entendu, et ont continué à converser au cours de notre séjour dans le Nord. Nous pensions alors que notre inertie aurait permis à nos routes de se croiser… mais les neiges ayant fermé prématurément le col de Shandur, il en était autrement.
Mais surprise, nous apprenons que nous sommes enfin dans la même ville.

Ces deux-là sont sacrément impressionnants.
Depuis notre départ il y a près de 5 ans maintenant, nous avons rencontrés des fous à vélo, Martin et Suzanne à Mashaad puis Samarkand, Quico à Tashkurgan puis Passu…. Mais Katja et Mirko sont d’un autre acabit.
Ils sont sur la route depuis plus de 16 ans : ils ne sont plus en voyage, ils vivent sur leur vélo.
Ils sont la définition du citoyen du monde, ils rayonnent par leur charisme tout en demeurant accessibles.

Nous passons un après-midi à papoter, puis une autre soirée, et enfin une troisième… avant de finalement quitter la ville et les laisser derrière nous. Avant de nous revoir, un jour, ailleurs… Inch’Allah !
Mirko a eu mille vies, Katja est d’une gentillesse et d’une facilité d’accès déconcertante. Ils font réfléchir.

À travers eux, nous rencontrons Shaan qui tantôt nous invite pour de délicieux tikka afghans, un thé dans un quartier branché d’Islamabad, ou autour d’un feu de camp dans un calme parc au cœur de la ville.

Pas très efficace ce séjour à Islamabad ?
En effet, beaucoup de repas, un peu de ballade, l’occasion de faire deux-trois courses, l’envoi par la poste de nos souvenirs du Pakistan (une première pour la bourlingue), et une rando’ parmi les collines qui surplombent la ville, de se rêver à notre installation dans la capitale pakistanaise suite à un café avec des responsables locaux de l’UNESCO.

Une escapade dans la  vieille ville mitoyenne de Rawalpindi, aux charmantes maisons décrépites, pour visiter les ateliers de décoration des délicieux camions pakistanais bariolés.


Et toujours ces déambulations à travers cette ville atypique, carrée, calme, peut-être un peu trop, mais cette modernité, tant dans la ville que dans sa population, est très agréable.

Après quelques jours, nous laissons définitivement Islamabad derrière nous pour Lahore, avant de rejoindre Multan.
Multan est à 6h de route au sud de Lahore.
Nous découvrons pour la première fois ces paysages des plaines du Pakistan.
Le Punjab est une large plaine aride, irriguée par 5 fleuves (penj ab, les cinq eaux en farsi).



Aussi la route file droit sur des kilomètres longeant des cultures d’un vert éclatant et des arbres aux feuilles poussiéreuses. Plus loin, un paysage de terre sèche.
Notre bus nous mène à bon port, où Imran, notre hôte pour les 3 prochains jours nous accueille.

Il habite dans le village de Bosan, du même nom que notre hôte.
Nous découvrons qu’Imran et sa famille sont les « seigneurs » locaux.
Dans ces régions rurales du Punjab ou du Sindh, la société est encore régie partiellement ou totalement par des ordres claniques dont le père dirige les affaires familiales et sociales.
Dans les cas de la famille Bosan, ils possèdent plusieurs terrains et résidences et une tripoté de servants de tous âges et au dévouement exemplaire.
Les maitres les entretiennent en retour en les logeant, et les rémunérant non pas en argent sonnant et trébuchant mais en blé.

La famille Bosan possède une ferme d’élevage que nous nous empressons d’aller visiter.
Située dans un ensemble harmonieux de bâtiments en briques, les animaux sont élevés jusqu’au sevrage avant d’être vendus.

Ainsi, en plus d’une cinquantaine de moutons, et d’autant de vaches énormes, ils possèdent une dizaine de chevaux arabes.
C’est une ferme « de luxe » aux bêtes de qualité, et on comprend que son business est un marché de connaisseurs.
Ses vaches sont chouchoutées, et quand on découvre ces imposantes créatures au cuir chatoyant. Les taureaux sont magistraux, les jeunes veaux aux longues oreilles ballantes et aux regards curieux.

 

Brice et Marion à la ferme ! Face à notre ignorance du monde animal.
Les temps de gestation, la durée de vie, pourquoi les vaches ont la peau flasque sous le cou, est-ce que les inséminations artificielles fonctionnent à chaque fois, pourquoi…

Imran est sympa, ce n’est pas un grand bavard mais il connait bien son domaine.
Et après la visite guidée, nous quittons donc la ferme en sachant dire pouliche en anglais.

En chemin, nous nous arrêtons au poulailler où environ 5000 poules pondent quotidiennement, avant de passer par le verger de manguiers et de rentrer à la maison pour une soirée au calme dans ce paisible village.


Communément dans ces grandes maisons, notre chambre est située dans la partie dédiée aux invités.
La reste du foyer vit dans un corps de bâtiment indépendant.


Ceci permet aux membres de ces grandes familles de ne pas être importunés par les convives des uns et des autres et de conserver leur intimité, notamment pour les femmes qui ne peuvent être vues par des personnes étrangères.
Ainsi, Brice ne verra aucune femme de la famille, tandis que Marion aura « le privilège » de visiter de temps en temps, cette partie de la maison, et faire la connaissance de Bushra et Aicha, les femmes respectives d’Imran et d’Abbas, son frère.

Nos journées à Bosan suivent un rythme paisible imposé par les visites chez les uns ou les autres pour d’interminables échanges et chai.

Nous faisons également la connaissance de Sagar, un cousin. Coincés dans sa vieille Jeep, ce dernier nous emmène voir les bords de la rivière, dont le lit est bien à sec en cette période hivernale. « La faute aux Indiens ! ».



Les villages en pisé que nous traversons sont surélevés sur des terres-pleins à l’abri des fréquentes inondations, et dont les murs parfois, s’effondrent et ne laissent apparaitre qu’un tas de terre.
Les champs de petits pois et pommes de terre contrastent dans cette plaine poussiéreuse. Les manguiers ponctuent de leurs larges ombres les abords des chemins, quelques paysans à vélo, et cette route qui file droit.


Encore une fois, nous nous trouvons chanceux de ces rencontres et de ces échanges.

Nous passons voir la ferme de Sagar : il semble que toute la famille élève des animaux.
En plus d’un vaste troupeau de buffles aux yeux bleus, nous découvrons, crédules que nous sommes, que ces gazelles (qu’il appelle des cerfs) sont toutes petites et agiles, que des vaches sauvages du désert ressemblent à des antilopes et que des canards peuvent avoir un brushing.


Nous faisons la très belle connaissance d’Uncle Hashim, meilleur ami de Kurban – le papa d’Imran.
Tous deux ont fait de brillantes études aux États-Unis, et sont très érudits. Et nous passons de belles heures à discuter du Monde.
Nous évoluons ici, dans un environnement shiite et Imran, tout comme son père ou Hashim se plaisent à nous raconter l’Histoire de la religion à travers les pèlerinages qu’ils ont pu faire en Syrie ou Irak.
Rien de prosélyte, que de l’Histoire. Ces conversations sont très ouvertes, détachée souvent de sentiments religieux.
On parle politique, architecture et culture, plantes et Pakistan.

Enfin, l’objectif de notre séjour à Multan était de visiter les richesses de cette ville qui serait la seconde plus vieille ville du monde.
Encore une fois, Alexandre le Grand serait par-là, et la ville était une étape importante de la route du commerce entre l’Inde et le Moyen Orient.

Parmi les joyaux du patrimoine de cette cité, deux mausolées, celui Baha-ud-Din Zakaria, un des principaux disciples de la secte soufiste et son petit-fils Shah Rukn-e-Alam, dont les imposants dômes décorés nous rappellent les richesses des architectures de l’Asie Centrale et que malgré les frontières, nous ne sommes finalement plus si loin de l’Iran ou de l’Ouzbékistan.

Nous redécouvrons avec plaisir cette fine marqueterie de terre cuite et ce bleu, si particulier à cette région. Comme si nous retrouvions une vieille connaissance.
Sur les carreaux de faïence, les peintures en camaïeu de bleu, habillent les murs d’une dentelle de calligraphie et de motifs floraux délicats.

L’azur recouvre le sol, quelques tombes regardent vers la Mecque, et sous ce dôme, le tombeau où les fidèles viennent déposer fleurs et réciter leurs prières.


À l’extérieur, la géométrie des briques et l’agencement des motifs créent mouvements, ouvertures et lignes. Les piliers s’élancent vers le ciel, quelques niches abritent les pigeons qui s’envolent en une danse circulaire, des sculptures géométriques ajourées, et ce bleu, encore.


Accompagnés d’Imran, nous passons également par le tombeau de Shah Yusaf Gardez, arrivé à Multan depuis Gardezi en Afghanistan, il y a plus de 1000 ans pour convertir les gens à l’islam chiite et Uncle Hashim et sa famille sont les descendants de cette noble lignée.
Encore une fois, ce bâtiment intégralement recouvert de faïence resplendit de ses motifs. Quant à l’intérieur, les murs se parent de miroirs dont la finesse et petitesse des morceaux reflètent la lumière tel un brillant diamant (rappelant ici les architectures de Téhéran ou Ispahan).

Nous quittons Multan, emplis de récit d’histoire et de pèlerinages, de traversées désertiques et de culture religieuse pour la chaotique Lahore, afin de profiter pour encore quelques jours de cet étonnant pays.

Notre route, petit à petit, nous reconduit vers l’Inde…

9 thoughts on “Moulte An’imaux

  1. Ca fait bien plus riche que les précédents posts où vous étiez dans des régions plus reculés : les fermes, les monuments…
    Et pourquoi les vaches ont la peau molle sous le cou 😉
    Le boeuf de Bosan, vaut-il celui de Kobe ?
    16 ans de vie à vélo : j’imagine même pas à quoi ressemble la peau de leurs fesses (du cuir tanné)

  2. Le colis souvenirs est bien arrivé !
    Et la poule est magnifique ! Vous auriez dû m’en envoyer une en même temps que le colis ! Et magnifique la moumoute sur le canard !!!

  3. 16 ans de dreadlocks modelées avec la poussière se la moitié des pays du monde ! J’imagine pas ce qu’on peut y trouver 🙂

    La ferme est vraiment classe ! Cela ne vous a pas traversé l’esprit d’y rester un moment pour en apprendre plus sur les animaux et le maraîchage ?

    Big Bisous

  4. hehe, le cul tanné, merci Reeback! Et oui je réitère sa question, mais vu le temps que vous avez attendu pour répondre, je doute que vous le sachiez réellement. ça sent le pipeau votre histoire, le pipeau

  5. Maori : « avec maman, on trouve qu’ils aiment beaucoup le bleu ! c’est joli »

    ça devait être passionnant ces discutions (c’est vraiment une chance de pouvoir bien parlé anglais!!!)
    ce qui m’étonne (me fait tiquer ??!) c’est qu’ils ont l’air « érudits » comme vous dites , … et pourtant leurs femmes ne sont pas libres d’être là parmi vous …

    1. Elles étaient très éduquées ces femmes. « Juste » culturellement elles n’ont pas le droit de se melanger avec les hommes. Mais quand je suis allée de « l’autre côté » c’était drôle de pouvoir leur parler et de raconter et décrire à Brice à quoi ressemble cette femme sous sa burqa

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