Tu veux ou tu veux pas

Borobudur.
C’est un peu comme Angkor Wat au Cambodge, le Taj Mahal en Inde, Machu Pichu au Pérou, ou la tour Eiffel à Paris.
Si on passe à côté, c’est sûr que ça soulèvera un tollé « attends garçon, t’es allé en Indonésie, et t’as pas vu Borobudur ? Nan, mais t’as rien vu alors ! »

Et pourtant…
Et pourtant ça nous tente pas plus que ça.
Mais alors, Borobudur, qu’est-ce-que c’est ?
Un immense temple bouddhique, aspirant à autant de superlatif qu’il possède de Bouddha sculptés, ou de stupa.
Un mandala de 113 mètres de côté, une cinquantaine de haut, 5 kilomètres de fresque retraçant la vie de Bouddha sur quelques 4 galeries surmontées de 3 plateformes concentriques et 72 stupa.
Uniformément construit d’un basalte noir à l’aspect mystérieux.DSCF5207Tout cela en fait le temple bouddhiste le plus grand d’Asie du Sud-Est, et le monument le plus visité du pays.
Les Indonésiens le visitent chaque jour par milliers, tout comme les touristes occidentaux.
En effet, cela a de quoi impressionner.

Et pourtant…
Jamais nous ne nous sommes autant interrogés sur l’intérêt d’aller visiter un site.
Et ça fait longtemps que nous n’étions pas revenus trois fois sur notre décision.
Jusqu’au dernier moment, alors que nous approchions du comptoir pour acheter notre ticket, nous étions encore emplis de doutes… On s’en va ?

Voilà l’histoire.
Initialement, nous avions décidés de passer outre la visite de Borobudur. Après Wonosobo, nous avions pour idée d’aller directement sur deux-trois îles dans le Nord, puis continuer vers l’Est, négligeant ainsi Borobudur et la très attractive Yogyakarta.
Nous étions moyennement tentés et ce, pour plusieurs raisons.

La première est matérielle : le prix du ticket d’entrée 20$ pour les foreigners… le prix n’est même plus annoncé en rupiah mais en dollars. C’est plus cher que le Taj Mahal… et ne parlons pas du prix que payent les locaux…
Mais ils sont sympa, on nous offre une petite bouteille d’eau de 25cl avec le ticket.

La deuxième raison c’est justement la foule que le site draine.
L’île de java est peuplée de 137 millions d’habitants (2 fois la population française (60% de la population indonésienne) pour un territoire grand comme le quart de la France) et les visiteurs sont nombreux ici.
Et il est vrai qu’on commence à avoir peur de la foule.
Notre côté sauvage s’est accentué au cours de la bourlingue, et nous nous sentons – à tort, c’est certain – moins motivés pour visiter ce que tout pékin peut – ou qu’on pourra aller voir dans 10 ans, alors que le pays regorge d’endroit reculés, et moins soumis à la pression touristique.
Borobudur fait partie de ces sites pour lesquels le bonheur de la découverte est fortement entaché, si ce n’est parfois totalement éclipsé par la foule qui – comme nous – se presse pour en visiter les splendeurs.
On avait donc lu les pires commentaires, à toute heure de la journée, quel que soit le jour de la semaine, il y a du monde. Et en Indonésie, on ne redoute plus les touristes en mini-short, ou t-shirt transparent (pourtant toujours là, et aussi choquant) mais les Indonésiens eux-mêmes, qui sont souvent plus ravis de voir des bule-bule que d’escalader les stupa sacrées avec leur bâton à selfies.
Cela nous fait beaucoup trop peur, notamment pour ce prix-là (4-5 nuits d’hôtel pour deux tickets).

Donc voilà, avant d’arriver à Wonosobo, notre planning était de contourner sagement Borobudur, pour y revenir… dans quelques années.
Mais voilà… à Dieng, on a compris ce qu’un week-end signifie en Indonésie.
Des flux migratoires impensables et des sites touristiques ultra bondés.
Et ça, nos deux-trois petites îles dans le Nord, apparemment si sereines, ne pourront faire face à cet afflux imparable.
Diantre, il nous faut repousser notre passage par ces îles, ne pas y arriver le week-end oh nan nan nan… Mais nous sommes à deux pas… et Borobudur qui nous tend les bras…
On y va ou pas ?
Et puis, bon, on se dit que c’est la semaine, qu’on se préparera au pire, qu’on ira tôt le matin…

Deux bus chaotiques plus tard (et agréablement vide), on arrive dans la petite gare de Borobudur.
Pas grand monde, deux trois rabatteurs qui tiennent absolument à nous conduire à l’auberge de leurs choix, soutenant que tout est loin… mais deux trois phrases en bahasa indonesia, des rires… on ne se fait pas enfumés comme ça, et nous nous en débarrassons assez rapidement…
Première surprise donc, pas trop de pression touristique.
L’artère qui mène au temple ressemble à n’importe quelle rue principale de village du coin.
Des boutiques, des warung, et quelques auberges pour le voyageur de passage (peu s’arrêtent ici, la majorité préférant faire la navette depuis Yogya).
Et seconde surprise, les prix sont aussi ceux de n’importe quelle ville lambda, nous trouvons même au bout de quelques mètres une petite chambrette très propre pour un prix dérisoire toujours ça de gagner sur notre budget.
On va manger un morceau, même accueil que partout, et surtout des petits prix…
La tenancière du warung dans lequel nous dégustons nos nouilles appelle un ami pour qu’il nous fournisse deux biclous pour un tarif honnête.
Ouh la la
, que nous étions mauvaise langue et qu’est-ce que nous sommes contents de nous être trompés!

L’après-midi de notre arrivée, nous partons nous aventurer dans les paysages environnants.
Sitôt passées les portes des villes, les gens des petits villages et rizières des parages nous réservent un accueil chaleureux…
mmmh cette balade s’annonce bien.DSCF6384DSCF6358DSCF6389 DSCF5074C’est l’endroit parfait pour s’éloigner de la foule et nous sommes ravis d’aller nous perdre sur ces routes désertes. Ça monte ça descend. Au détour d’une colline, nos haillons s’invitent dans un resort de luxe pour observer la vue depuis la terrasse. On pédale, on pédale, la lumière du soleil étendant de plus en plus les ombres des palmiers de long de la route.DSCF5103 DSCF6353 DSCF5090DSCF5120 DSCF64431 Stitched PanoramaDSCF6451Stitched Panorama DSCF6424 DSCF50821Stitched Panorama On a un sourire béat aux lèvres, l’ascenseur émotionnel qui a suivi notre pourtant si puissante réticence à venir ici, fera même que cette journée à vélo serait presque notre meilleur moment depuis notre arrivée sur l’île de Java.

Puis en fin de journée, par un peu de chance, de stratagème et de malice, avouons-le, nous parvenons à entrer sur le site du temple sans ticket.DSCF6476Nous profiterons ainsi du coucher de soleil, de la belle lumière qui éclaire ces pierres si adorées.
Et, Ô nouvelle surprise, la foule est contenue, pas de foto-bule (il faut dire que les paparazzi ont l’embarras du choix)… et les lumières vespérales ont de quoi flatter ce monument, si tant est qu’il en ait besoin.DSCF5137 DSCF65141 Stitched Panorama DSCF5144 DSCF6606 DSCF6481DSCF6604 DSCF6613 Stitched Panorama DSCF6558 DSCF6601 DSCF5183 DSCF6560Le temple est beau, on le parcourt cependant en vitesse car les transitions entre jour et nuit sont courtes aussi prêt de l’équateur. Mais en prenant aussi le temps comme chacun de sentir les rayons de fin de journée caresser les cloches de pierre ajourées qui accueillent chacune des bodhisatva.
Ce site est très beau. Stitched Panorama DSCF6615 DSCF65421 DSCF6664 DSCF6578

Mais nous ne sommes cependant pas pleinement conquis et serons toute la soirée et toute la nuit face à un terrible dilemme.
Savoir si on y retourne le lendemain comme initialement prévu.
C’est vrai, on est venus et on l’a vu. Un peu en vitesse, certes, mais la lumière était pas mal…
On lit un peu plus de l’histoire du temple, on se rend compte que notre balade express a pu nous faire passer à côté de certains détails.
Certes la motivation n’est pas totale, et la décision n’est pas simple à prendre (on a vraiment pas des vies faciles), mais nous sommes là alors autant faire un dernier petit effort.

Réveil finalement aux aurores, on enfourche nos vélos, et comme le coup de la veille ne fonctionne pas, on s’affranchira de nos deux tickets, et verront de belles lumières matinales sur les stupas et les fresques. On prendra notre temps pour bien comprendre la structure du temple, pour aller pêcher des éléments qui nous auraient échappés la veille.Stitched Panorama DSCF5226 DSCF6634Stitched PanoramaDSCF5269 DSCF6644 DSCF6641 DSCF6681 Stitched Panorama DSCF5255 DSCF5272 DSCF6744

Stitched PanoramaDSCF6750

C’est beau, et cela dégage une réelle puissance…
Mais rien n’y fait… nous n’avons pas été plus enchantés.
Certes le cadre et l’atmosphère était bien plus agréables que ceux tant décriés plus tôt par les guides.
Mais malgré la beauté du site, sa massive présence, ses innombrables bas-reliefs, nous n’avons pas ressenti LA grande émotion. Le petit truc qui fait ouvrir les yeux encore plus grands et encore plus longtemps.
Il nous a manqué cette vibration.

L’UNESCO a entamé d’énormes travaux de rénovation.
Tout a été démonté, pierre par pierre, les fondations ont été renforcées et le tout a été reconstruit. En remplaçant bien sur les pierres abîmées, brinquebalantes ou moches…
Mais malheureusement, les pierres remplacées ne sont pas de la même couleur, ne sont pas patinées ni sculptées de la même façon, et on peut facilement lire les nouveaux ajouts.
Ça parait presque trop lisse et trop neuf pour un temple vieux de 1200 ans.DSCF5285DSCF6729

Nous sommes contents d’y être retournés, d’avoir pris le temps, et d’avoir donné sa chance à Borobudur.
L’alchimie ne peut pas fonctionner à chaque fois, mais nous ne sommes pas déçus.
C’est beau, c’est grand, c’est impressionnant.
Mais ça s’arrête là pour nous.

Et puis finalement, nous avions prévu de « temporiser » notre départ vers le Nord en passant quelques jours à Yogya…
C’est la ville sympa d’Indonésie, loin des trépidations des grosses capitales économiques que sont Jakarta ou Surabaya… mais c’est aussi là où tout le monde passe. Un peu le Chiang Mai de la Thaïlande.
Finalement, ça ne nous branche plus tant que ça après notre passage à Borobudur.
Notre esprit sauvage fait que l’on a moyennement envie de se replonger dans une ville de bule-bule­.
…et en creusant un peu, on se rend compte que Solo, son éternelle rivale dans la bataille sans fin de la ville la plus typique et traditionnelle de Java, pourrait être un excellent pied à terre pour s’immerger dans une ville javanaise…

Cette ville comme notre séjour dans la campagne de Borobudur nous réconcilie avec Java qui nous boudait (que nous boudions ?) depuis notre départ de Sumatra…

… à suivre donc.

7 thoughts on “Tu veux ou tu veux pas

  1. Nous ne sommes pas des bavards mais nous suivons toujours avec intérêt votre long périple.
    Félicitations bonne continuation.
    Norbert et Jocelyne.

  2. Ciao, rentrés de Ligurie ! On n’a pas noyé nos enfants, on considère donc que ces vacances sont un succès 🙂
    Je confirme, la perche à selfie c’est vraiment le summum de la médiocrité ambiante. Qu’est-ce qu’il faut être mégalo pour mettre sa tronche de cake sur toutes les photos ! Et quand bien même, il y a une époque pas si lointaine, quand on voulait être sur une photo on demandait à un passant de nous prendre…
    Bon bah c’est cool en fait ça vous a plu Borobudur !
    Bises

    1. On se demande en effet beaucoup comment ils peuvent en arriver à un tel besoin d’identité… Car toutes ces photos – sans exceptions, même celles sur exposées, celles mal cadrées, celles en double – vont dans la minute sur les réseaux sociaux.
      Au point qu’ils ne font pas de photos des sites qu’ils visitent… Mais exclusivement d’eux visitant ces sites.

      …et ça nous fait de plus en plus peur ce comportement.

  3. coucou, moi, j’aurai fait que la visite du site de la veille, gratos, avec ce beau soleil
    et je serai reparti vite fait à vélo faire du yogya, du yoga, du yogya, vous me suivez…

    mouais, on vous montre la tour Eiffel, et vous dites qu’il y a trop de marches
    on vous montre le Taj mahal, et vous dites que c’est tout petit en vrai
    et vous allez voir « the » temple de Borodoronorodorobo, et vous vous plaignez des cannes à selfies
    (d’accord avec Sergio sur le narcissisme égocentrique de la chose)
    vous devenez difficiles, les enfants, et à suivre, et à contenter…

    ah les reprises de vieilleries architecturales,
    on ne sait pas bien s’il fallait réellement les refaire neuves même pas bien pour faire comme si elles étaient là depuis longtemps, les refaire « vieilles » avec d’autres cailloux vieux, ou pas les refaire du tout,
    l’Unesco s’est pris les pieds dedans, comme à abou simbel
    on craint le pire pour le phare d’Alexandrie, Alexandra…
    désastres !
    heureusement que daesh fait tout sauter en Syrie, on pourra ça reconstruire tout neuf, propre

    on vous aime
    faisez gaffe

  4. Hello les amis ! J’ai bien rigolé en lisant l’introduction de votre article hier et je viens seulement de voir que vous aviez mis un lien vers notre article sur le Machu Picchu. Je suis content de voir que l’on est toujours sur la même longueur d’onde 🙂
    Pour notre part, on revient de 5 jours dans la forêt amazonienne, c’était vraiment une super expérience.
    (à l’époque, j’avais préféré Prambanan à Borobudur… Je vois que vous y êtes allés aussi. Si vous faites le Ijen à l’Est de Java, allez y à 3h du mat’ pour voir les ‘blue flames »)
    La biz !

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