Diaolou menthe

Une semaine après avoir quitté HuaGuo, nous sommes toujours bloqués à GuangZhou.
Si le Consulat indien (fermé le jour de notre arrivée) avait bel et bien oublié de faire le visa de Brice, c’est bien le visa pour le Pakistan qui nous donne du fil à retordre.
Une lettre d’invitation d’un tour opérateur local, des lettres de notre employeur, des relevés bancaires pour les 6 derniers mois, les permis de résidence et de travail… bref, pas évident.
Mais le consulat nous demande, en sus, un papier du gouvernement de la région que nous voulons visiter, établissant que nous avons le droit de voyager librement dans cette zone qui ne requiert pourtant aucun permis. Et ce papier qui n’a pas lieu d’exister, il nous le faut… et il tarde à arriver.

Nous rechargeons nos emails 72 fois par jour, nous calculons et recalculons l’heure qu’il est au Pakistan, le décalage horaire, le temps de trajet entre Gilgit et Islamabad, et puis mardi soir, nous nous rendons à l’évidence : pas de nouvelle. La période du Hajj – le pèlerinage à la Mecque – offre 5 jours fériés au Pakistan et le Consulat ferme ses portes pour 5 jours.

Un peu dépités, nous décidons de nous échapper de GuangZhou pour quelques jours. Ça va nous faire du bien. On n’en peu plus de notre chambre d’hôtel, de ces mêmes trajets en métro qui ne mènent à rien, il faut que l’on bouge.

Or, deux-trois ans auparavant, alors que nous nous approchions de GuangZhou, on nous avait parlés de la ville de KaiPing, à quelques encablures à l’Ouest de la capitale cantonaise. Cette visite était restée dans un coin de notre tête, faute d’avoir pu s’y arrêter à l’époque.
Hop hop, on refait notre sac et on se dirige vers la gare pour attraper un bus direction KaiPing, à 3 heures de route.

Le centre urbain de KaiPing n’a pas forcement d’intérêt, mais les alentours accueillent une singularité architecturale et historique.

Alors qu’à la fin du XIXème siècle, les grandes puissances développent leurs infrastructures ou celles de leurs colonies, on cherche de la main d’œuvre à bas coût en Asie du Sud-Est, Australie, mais aussi aux États-Unis d’Amérique notamment pour construire la ligne de chemin de fer transcontinentale.
Dans la région, la pauvreté et la misère, conséquences secondaires de la seconde guerre de l’opium, poussent des milliers de Chinois à émigrer et tenter la difficile aventure outre-mer.
Ces premières vagues d’émigration ont atteint leur pics dans les années 1920-1930 modifiant la vie des familles restées en Chine leur apportant richesse et diaolou.
[Aparté chinois : diaolou s’écrit 碉楼 (pinyin : diāolóu).
Il est composé des caractères 碉 (diāo, tour d’observation) et 楼 (lóu, édifice de deux étages ou plus)


Ainsi, dans une région rurale où les paysages ne sont que plaines sur des kilomètres, des diaolou s’élèvent au-dessus des toits de tuiles des maisons rustiques traditionnelles.
Les murs en briques noires dépeignent un tableau en nuance de gris sur fond vert émeraude des rizières fraichement repiquées.


Aux linteaux des portes et au-dessus des fenêtres, quelques notes de couleurs affadies où des moulures décolorées représentent des oiseaux sifflants accrochés à une branche fleurie.
Un miroir est suspendu à l’entrée de chaque porte pour éloigner les mauvais esprits.
Ça et là, une lanterne rouge.
D’étroites ruelles pour ne laisser passer qu’un chariot.
Un papy affairé à couper, accroupi, quelques bouts de bois pour le feu nécessaire à son repas…
Le décor est planté.









Mais au-delà de la qualité de préservation de ces villages (l’UNESCO est passée par là), l’intérêt de cette région sont ses diaolou aux influences architecturales diverses.

Partis à travers le monde pour travailler – dans des conditions parfois à la limite du servage, certains émigres se sont installés en Malaisie, ou en Asie du Sud Est plus généralement.
Peu ont fait fortune et ont bâtis des empires en Amérique, nombreux sont ceux sont rentrés au pays rapportant dans leurs malles une multitude de références occidentales.

Elles ont meublé l’intérieur des maisons et dicté le style de ces tours extravagantes.

Harmonieusement intégrés dans le paysage, à l’abri des regards pour certaines alors que d’autres se dressent en plein milieu du décor, de tous leurs étages pour asseoir leurs caractères défensifs, les diaolou représentent l’épanouissement de traditions locales, agrémentées de l’orgueil de leur riche propriétaire revenu d’occident.
Certaines façades se parent de colonnes byzantines aux têtes fleuries, d’autres récupèrent des lignes arts déco, ou mogol en façade, drapés sous les fenêtres, encorbellements et tourelles, patio central et puits de lumière. Des toits coiffés de dôme, ou des façades à meurtrières, et machicoulis aux balcons : tout est possible !







Ainsi, dans les diaolou visitées, on peut trouver quelques baignoires encore installées alors qu’à l’époque, l’eau courante n’était qu’une idée d’outre-mer.
Fauteuils de style Louis XVI – environ – et banquettes en assis-dur se côtoient, lits à baldaquins en dormir-dur et gramophones, portraits de famille en habits traditionnels chinois et affiches de paquebot transocéanique.

Les sols sont décorés en carreaux de terre cuite peints aux motifs géométriques. Pour les maisons les plus richement dotées, des tapis habillent les escaliers et les plafonds sont peints tandis que dans un style plus rudimentaire des motifs au pochoir s’étalent sur les murs.
Les miroirs sont piqués, les photos jaunies, les paniers d’osier troués et les malles en bois élimées, mais l’ambiance qui émane de ces surprenantes bâtisses invite à un retour dans le temps.






L’organisation au sein du bâtiment est quasiment similaire à chaque diaolou.
Le rez-de-chaussée accueille la pièce de réception, une ou deux chambres et une cuisine. Un raide escalier permet d’accéder aux étages où se répartissent de nouveaux plusieurs chambres et cuisine/salle d’eau. Idem à l‘étage du dessus et enfin, au dernier étage, le temple familial, en bois sculptés, dorures et offrandes afin de remercier et faire honneur aux anciens.

Les balcons et toits terrasses offrent une vue superbe sur la plaine, les montagnes qui se dessinent au loin derrière les forêts de bambou, les villages quiets.
Et peut-être parce que nous sommes en semaine, ou qu’il fait 37°C et 80% d’humidité mais il n’y a personne… Pas de groupe, de microphones, de bus et de bruit.
Rien. Les petits oiseaux, le soleil, et nous.
Par-fait !

Et le soleil, nous allons bien en profiter.
Nous passons deux jours à se balader. Les minibus qui sillonnent la campagne depuis la ville de KaiPing sont fréquents et climatisés et nous déposent à quelques kilomètres des villages. Des mamies aux dents argentées nous sourient. Voilà : on est contents.
On marche à travers champs, on longe les rizières et les plantations d’arbres fruitiers, certains se remettent aux croquis alors que d’autres peaufinent les réglages des appareils photos.





Les buffles se prélassent dans leurs marres de boues, les libellules foisonnent au milieu de ce calme déconcertant.
Certains villages sont quelque peu devenus des villages-musée. Alors parfois, on ne sait plus trop si des âmes occupent encore ces maisons ou si tout le monde a été mis « de côté ».

Et puis, il y a ChiKan, où nous sommes arrivés un poil « trop tard ».


Pourtant, d’après des sources (pourtant récentes), il était plus paisible de séjourner dans la charmante petite cité installée depuis 1649 au bord de la rivière Tan.
Avec son port d’importance, cette bourgade s’était développée en laissant s’installer commerçants, et prospérité. La ville est riche de construction diaolou-siennes. On pourrait s’imaginer déambuler dans les vieux quartiers de Malaca ou de Singapour.
De là, un réseau de petites routes en fait un point central pour arpenter les contrées à bicyclettes.

Voilà, mais c’était avant qu’un gros plan de réurbanisation de la ville ne soit mis en place.


L’île où devait se trouver notre auberge a été littéralement rasée, plus aucune maison n’est debout.
Quant à celles du côté du fleuve que nous arpentons, elles ont toutes été désertées et condamnées.





Quelques irréductibles persistent à vivre dans cette ville…

Passée cette première frustration (et exaspération), notre errance à travers les rues désolées n’en aura pas pour autant été dénuée d’intérêt.
Qui n’a jamais voulu déambuler dans une ville fantôme ? un parfait décor de cinéma !

Notre visite et les conditions dans lesquelles nous étions dans cette région nous ont finalement enchantés.
Prologue à un retour progressif en bourlingue. Itinérance dans les rues de KaiPing comme dans les campagnes et villages de la région, cela nous a permis de prendre de la distance sur la longue attente à GuangZhou.

On repart plein de coups de soleil, direction Hong-Kong pour une dernière immersion dans un cocon d’amitié.
L’occasion de se retrouver autour d’un barbecue, de quelques Gin Tonic with a view sur la terrasse entourés de la chaleur des copains.

 

Mise à jour de dernière minute
Si retourner à Guangzhou sous la pluie et avec son lot d’incertitude nous a donné le cœur gros, recevoir ENFIN le visa pakistanais nous a soulagés !


Jusqu’au dernier moment le doute était encore de la partie :
Le papier – qui nous a fait perdre 10 jours – a été comme on s’y attendait, inutile.
Et le Concil of Gilgit Baltistan in Islamabad ne s’est lui-même pas empêché de le souligner par écrit.

Mais demain… ! départ aux aurores pour le Gansu et les portes de la Route de la Soie!

16 thoughts on “Diaolou menthe

  1. Yes, c’est le retour de la bourlingue. Sympa le début (et la fin) du post. Moins enjoliveur la partie avec les habitations désertées à cause du plan d’urbanisation

    1. D’après ce qu’on a déjà vu en Chine, les travaux de réhabilitation ne sont pas courant… On peut, cette fois-ci, se tromper, mais on pressent plutôt une destruction en bonne et due forme, et une reconstruction « à l’identique mais pas vraiment »

  2. Toujours bon vent à vous Serge
    Grâce à vous je vais pouvoir vous suivre avec mon téléphone partout,partout,partoutBisous et bonne route ! Agnès

  3. Belle nouvelle aventure les copains!!! Merci de nous la faire partager!
    Tjs un bonheur de vous lire… étrange Diaolou et même temps… ca me rappele des souvenirs de campagnes asiatiques 😉 à très vite!
    Fanny

  4. Ah la la!
    Je sens bien l’ambiance bourlingue qui reprend la! Et avec les posts du blog qui nous ravissent! Génial!
    Tellement paisible et beau Dialou… Bonne idée ce mini séjour improvisé!

  5. Que de facettes différentes dans une chine multiples qui étonnera toujours !!!
    Pour un séjour qui se termine, c’est un beau final
    Route de la soie, route mythique que de beaux blogs en perspective

  6. c’est clair que ça devait être impressionnant de se balader dans tout un lieu abandonné !
    en mode post-apo !!!
    j’avais connu ça sur un petit tronçon de rue … et ça m’avait fait une impression assez forte, alors sur tout un « quartier » WouaAou !

  7. Trop coom les diabolous !!
    On en construit une sur votre ile aux Philippines ?
    Mais on a quand mn l’impresl’im que tous ces villages sont vides ( et pas seulement celui qu’ils vont détruire…). Ces diabolous sont elles habitees ??

    Et merci pour le croquis. Quelle belle manière de recommencer à Bourlinguer ;(

    Big Bisou

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