Nouilles et Bouddha

Malgré le départ aux aurores, quitter Guangzhou nous fait beaucoup de bien.
Ça y est : nous nous mettons en mouvement.
Enfin : nous quittons la Chine de la côte qui nous étouffe.

Le retard dû à l’obtention du visa pour le Pakistan nous impose un « saut de puce » pour nous « dépêcher ».
Et s’il était nécessaire de le rappeler, ce pays est immense*.

Aussi, une fois n’est pas coutume, c’est à bord d’un avion que nous embarquons afin de rejoindre la ville de LanZhou, située à quelques 2000 kilomètres plein Nord.

En effet, le mois de Septembre s’entame, notre visa de résidence/et permis de travail chinois expire bientôt, et surtout l’hiver arrive.
3h30 de vol plus tard, nous débarquons à LanZhou, dans le Gansu, en plein milieu de la Chine.

Du fait de sa topographie, coincée entre le plateau tibétain et le désert de Mongolie, la corridor du Gansu, a contraint les différentes branches de la Route de la Soie à se mêler avant de rejoindre Xi’An, BeiJing ou le Sud de la Chine à L’Est, et Téhéran, le Caucase, ou le sous-continent indien à l’Ouest.

Il a ainsi été, depuis plusieurs centaines d’années, une région de passage où nombre de populations et ethnies se sont croisées.
Les guerres claniques entre tribus barbares (avant l’unification de la Chine) puis les échanges commerciaux par la suite, ont fait transiter de nombreuses peuplades transportant denrées et matériaux, et emportant savoir-faire techniques, religions et cultures.
Cela fait aujourd’hui du Gansu une région riche pour qui aime culture et histoire.

Ici, le nombre de mosquée dans la ville est impressionnant. Les Hui de confession musulmane, côtoient les Han qui côtoient les Tibétains.
Les facies ont changés, les peaux sont bronzées, les yeux clairs sont plus ouverts et les mentons des papys barbus.
On parle une langue faite de tch-rch-tch-rch (comme si « on parlait à l’envers »)… et on nous félicite de notre petit mandarin.
Ici, on ne mange plus de riz, le porc a laissée place au bœuf.
Le plat typique ce sont les 牛肉面 (niu rou mian) des nouilles préparées minutes, étirées à la main, et servies dans un bouillon avec du bœuf).




Il y a moins de monde, on est moins oppressés par la densité de la Chine côtière, et cela se ressent dans les comportements de tous les jours. La barbe de Brice ne fait plus peur aux mioches qui comme le reste de la population sont pleins de sympathie et nous sourit.
On ne nous NiHao plus, on nous Salamaleikoum.
On se sent déjà en voyage.
Ah, ça fait du bien !

LanZhou a très peu d’intérêt. S’étirant sur ce nombreux kilomètres et coincée au creux d’une vallée, la ville est aujourd’hui un pôle industriel en Chine Centrale.
Comme souvent, l’architecture du moment se résume à des alignements de hautes tours « Ctrl+C / Ctrl-V », et on construit en toute hâte les lignes de métro dont le chantier rende le trafic chaotique.

Les berges de la Rivière Jaune sont plus sereines.
Le fleuve doit tenir sa dénomination de son eau marron, riche en alluvions et sédiments.

Des papys et mamies jouent de l’harmonica, chante ou danse. Les gens se baladent, on retrouve çà et là des vendeurs de fruits secs ou de melon pour ôter la soif des flâneurs.
Pourtant, pour les Cantonnais que nous sommes, l’air ici est sec, il fait bon. Les promenades ne se font plus sous une chaleur suffocante.

Au détour d’une des boucles boueuses du puissant fleuve, se dresse un temple.
Il est loin d’être le plus beau du Gansu, mais il nous offre une perspective sur le bandeau urbain de la Capitale régionale.


À 1500m d’altitude, grimper ses escaliers nous demande du souffle (ou serait-ce les kilogrammes accumulés au cours des deux dernières années ?)

Si le voyageur vient à faire étape à Lanzhou, il se doit néanmoins de faire halte au Musée Provincial.
Il regroupe une collection impressionnante d’artefacts liés à la Route de la Soie. – Oh joie, de la culture ! – gratuite et en anglais – c’est fou !


Les fouilles archéologiques ont mises au jour une multitude d’objets de différentes époques. C’est riche et étonnant de voir de vieux corans et tantra bouddhique, des vases en terre cuite, des objets en cuivre (comme ce fameux cheval galopant vieux de plus de 2000ans – symbole à lui seul de la richesse archéologique de la zone), des morceaux de soie et des broderies. On sent la richesse de cette région carrefour des civilisations, et le va-et-vient des caravanes.


Petit à petit, on se replonge dans ces grandes traversées de marchands aux long cours.

Arrivé des Indes au cours du Ier siècle de notre Ère sous la dynastie Han, le bouddhisme s’est progressivement établi dans la région, initiant nombres de fidèles, et apportant temples et Bouddhas sculptés.

Il y a 4 ans, nous avions découvert avec surprise les magnifiques grottes de Mogao, dans l’Ouest de la région. À l’époque nous avions été conquis par l’état de conservation des peintures et sculpture d’époque.
Mais les abords de LanZhou possèdent aussi des trésors bouddhiques du même type.

C’est ainsi qu’après deux heures de bus, nous voilà partis pour une heure de traversée en bateau.
Ici, la Rivière Jaune a pris ses aises et mesure quelques kilomètres de large.
Un barrage a été installé en aval, le réservoir artificiel a inondé une partie de la vallée – manquant d’inonder les grottes de BingLing Si.
Creusées à flanc de falaises, des centaines de cavités peintes et décorées abritent des représentations de Bouddha et ses disciples.














Certaines datent du Vème ou VIème siècle et on aperçoit encore les décors peints, les coiffes colorées et les motifs des habits.
Les Bouddhas sculptés en torchis, bois et branchages sont d’une telle finesse que l’on peut encore apercevoir le plissement des yeux, les traits des lèvres et les reliefs des vêtements.
Un peu plus en amont, un Bouddha de 27m de haut, appuyé sur la falaise en position assise garde l’accès au val qui lui fait face.





Le rapport d’échelle donné par la passerelle qui le surplombe donne une idée du travail colossal qu’à dû être sa construction… notamment dans une zone si difficile d’accès.

Le site se situe en effet dans un des méandres de la Rivière Jaune, le fleuve et les falaises se marient dans des tons ocre, brique et chocolat, alors que le vert de la végétation recouvre partiellement les pans arides des montagnes.
Le ciel est bas aujourd’hui, mais le paysage autour de nous est plein de sérénité.




C’est beau et paisible, d’autant que nous avons eu le nez creux en nous levant tôt pour éviter la foule.

Séduits par ces grottes, nous ne voulons pas en rester là.
Cela tombe bien puisqu’on nous a parlé d’un site tout aussi spectaculaire à quelques deux heures de train vers l’Est.

Le lendemain, nous partons donc pour la ville de TianShui pour poursuivre notre exploration de grottes bouddhiques à MaiJiShan.
Installées autour de cette montagne-champignon, ce sont plus de 200 cavités et 7800 sculptures qui sont reparties sur le flanc d’une falaise de quelques centaines de mètres de haut.




Une solide – mais vertigineuse – passerelle permet de faire le tour et de contempler ces trésors datant du IIIème-Vème siècle.
Que c’est beau !
Les couleurs des pigments sont encore présents, les visages des Bodhisattva souriants et protecteurs, leurs yeux nous observent. On remarquera que les faciès sont variés, certainement dues aux différentes ethnies ayant traversé la région.
Les vêtements sont riches de motifs issus des courants indiens et perses. Tout comme les murs qui se parent de peintures décoratives.
On ne s’en lasse pas.




















Chaque grotte est une découverte et un émerveillement.
Une prouesse d’escalade – à l’époque comme encore aujourd’hui – et de tant de dévotion pour s’affairer à un tel travail.

Quand le temps s’éclaircit, on découvre que la végétation est bien différente de celle à laquelle nous étions habitués dans le Sud.
Les conifères et les fleurs sauvages remplacent bananiers et plantes vivaces – on croisera même la route d’un blaireau à l’orée d’un sous-bois.
Les trajets en train nous offre des paysages de plaines de glaise et vallées sculptées par des rivieres et dégradé vert émeraude.





Pas de doute, nous ne sommes plus du tout dans la même Chine.

Cette première étape nous rabiboche avec la découverte et le plaisir des échanges et différences.
On reprend nos marques doucement.

 

* : Trois heures et demi d’avion, c’est autant de temps qu’il nous fallait pour rejoindre Bangkok, ou pour rallier Moscou ou Istanbul depuis Paris.

Pas étonnant donc que les mentalités, les habitudes culinaires, vestimentaires ou religieuses soient si différentes… et que l’esprit de la Chine des Hans se dilue à mesure que l’on s’enfonce vers l’Asie Centrale.

(Autre chiffre concernant l’immensité de ce pays à garder en tête pour les prochains jours, Canton-Urumqi c’est près de cinq heures et demi de vol)

11 thoughts on “Nouilles et Bouddha

  1. “Le cœur soudain privé, l’hôte du désert devient presque lisiblement le cœur fortuné, le cœur agrandi, le diadème.” René Char – La parole en archipel

  2. Environnement sauvage, mais art subtil !
    quelle belle rivière et beaux canyons, quelle belle végétation luxuriante
    Et la beauté impressionnante et grandiose des sculptures, la finesse des fresques
    Quelle chance de pouvoir s’émerveiller !

  3. Je suis scotché par vos récits… et vos photos. Autant la plupart des blogs de voyage m’emm .. autant je me plais à vous lire.. Mais je vous l’ai déjà dit ça je crois..
    Un grand grand grand merci de reprendre et de nous faire partager. Je voudrais vous voir voyager comme ça encore des dizaines d’années. Et puis une envie, à vous lire… repartir en faire un petit, à la hauteur des possibilités et capacités … Ça tombe bien c’est pour bientôt.
    Patrice.

  4. Bonjour les amis !

    Maguenifique post. Je sais pas si c’est parce que ca fait longtemps, mais je crois que c’est pour moi le plus beau en Chine !

    Chine qui est décidément bien plus qu’un pays…sinon un continent à part entière.

    J’ai adoré les photos du fleuve se mariant avec les montagnes…maguenifique encore.

    Et sinon, ils servent à quoi les chiffres au dessus de cahaqu bouddha ? C’est une légende ?

    Gros bisous à vous, et bonne route…de la soie 😉

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