À plat vent’re

La province du Nord est celle des marécages semi asséchés et des grandes étendues arides où une poignée de palmiers peinent à apporter un peu de verticalité au décor.

Les routes rectilignes et désertes permettent à notre bus de foncer à tombeaux ouverts au milieu de ce décor… quand il ne nous faut pas nous arrêter de longues minutes aux check-points qui jalonnent notre itinéraire.

Tout le monde descend, et doit présenter ses documents… les populations locales estiment que cette situation est due aux récents évènements terroristes. Il n’en demeure pas moins que les contrôles étaient moins nombreux, ou moins zélés, dans les régions à majorité cingalaise.

Après quelques heures de bus, nous accédons à la péninsule de Jaffna, et sa capitale.


Il est midi, nous sommes dimanche… et nous avions oublié ce que cela signifie dans une ville de province à majorité chrétienne (et hindous), un dimanche.
Les rues sont désertes, les rideaux de fer baissés… Nos premières balades dans la ville nous démontrent néanmoins que sitôt passées les quelques rues dévolues aux commerces (et souvent tenus par des Musulmans – ce qui en cette période de Ramadan ne favorise pas l’animation), nous sommes une fois de plus surpris par l’échelle de cette ville*.

Quasiment aucun immeuble. Un trafic automobile bien calme. Les grands axes qui rayonnent en étoile du centre-ville vers le reste de la province prennent très rapidement des allures de départementales (toujours en très bon état, nombre des infrastructures ayant été reconstruites à la sortie de la guerre).

Notre balade dominicale se cantonne à errer dans les venelles encadrées d’arbres à l’ombre salvatrice.


Nous rejoignons le petit musée d’archéologie (qui ne doit, quotidiennement, pas voir plus d’une dizaine de visiteurs), nous déambulons dans le vieux fort hollandais aux remparts érigés de pierre de corail, et encore plus en mauvais état (par la guerre notamment) que celui de Mannar.

Sous la chaleur extrême, nous nous laissons aller et engouffrons une glace ultra sucrée (Si Paris a ses cafés, Jaffna a ses salons de glace, dixit Bobbi, le tenancier de notre auberge – qui a vécu 13 ans au Danemark), et terminons notre balade au très grand temple de Nallur Kandaswamy, aux hauts murs rayés de blanc et rouge – certainement pour paraitre plus mince ?


Le centre du temple est dédié au dieu Muruga, où les dévots se prosternent. Les galeries sont ornées de piliers ouvragés et jouxtant un bassin, pendant que les enfants jouent dans le sable dont la cour intérieure est recouverte. Derrière eux, un arbre où sont suspendus de multiples paniers, autant de parodie de berceaux, en remerciement au dieu généreux pour la naissance d’un enfant.
Contrairement aux intimidants temples d’Inde, où grouille un grand nombre de fervents, nous avons moins de réticence à évoluer dans ce lieu à l’atmosphère paisible. Pieds nus (et torse nu pour Brice – c’est la règle), nous sommes bien accueillis sans pour autant être dévisagés (soulignant une fois de plus la retenue des Tamouls par rapport aux Cingalais et Indiens).
Nous arrivons au moment où une procession accompagne le dieu Muruga vers la chambre de sa femme, sous le son des cloches**(aucune photo n’est autorisée à l’intérieur).

Ici aussi le vent souffle, et une fois sorti de la ville, rien ne bloque plus les rafales.
Nous empruntons un scooter pour nous balader vers le Nord de la péninsule.
Nous faisons tours et détours dans le labyrinthe de traverses et découvrons les fertiles terres arables de l’arrière-pays à majorité hindous.




Nous rejoignons la côte aux heures les plus chaudes de la journée où les bateaux de pêcheurs s’alignent sur une grève de sable ultra fin bordée d’une eau placide. Parfait pour y faire un plongeon et faire redescendre le thermomètre.

La route de la côte qui nous mène à Point Pedro est entrecoupée de cantonnements militaires nous imposant de pittoresques détours et de beaux phares désaffectés.
Parsemée de village de pécheurs, on y retrouve nombre de calvaires, d’églises aux tons pastel et des petits Jésus enchapelés.


Plus au Sud-Est, nous nous perdons sur la peu fréquentée route du littoral qui nous conduit à un temple bariolé isolé dans les dunes de sables avant de rejoindre le village retiré de pêcheurs de Manal Kadu.

Un petit bijou. Une plage infinie, une eau cristalline.

À une centaine de mètres du rivage, les tombes d’un cimetière trônent au sommet d’un tertre de sable, et à ses côtés, les vestiges d’une église hollandaise ensevelie dans les dunes.
Une sensation de bout du monde.


Notre retour à Jaffna se fait avec un vent de face qui convient à notre train de sénateur.

Nous traversons les étendues lacustres du centre Est de la péninsule.


Les étangs et marais abritent une riche faune aviaire. Depuis notre arrivée au Sri Lanka, nous nous sommes découverts une nouvelle passion pour les oiseaux, qui ici revêtent souvent des ramages multicolores. Nous nous arrêtons ainsi souvent sur cette route venteuse et toujours aussi peu empruntée pour admirer flamands roses, ibis, hérons, et autres échassiers que nos lacunes empêchent de nommer.

Après un copieux petit-déjeuner tamoul (pittu et divers dhal et curry aux épices variées), notre seconde escapade sur notre destrier nous mène à travers les landes désertes des îles de la baie de Jaffna.

Les eaux étant peu profondes, ces îles sont pour la plupart reliées par de longues chaussées bordées de filets où les pêcheurs évoluent à pieds ou sur leur barque pour ramasser le fruit de leur maigre récolte. Une eau incroyablement plate, de vagues étendues asséchées, quelques troupeaux paisibles, deux ou trois villages et nous, évoluant sur notre ruban de bitume qui s’amincit au fur et à mesure que nous nous éloignons de la ville.



Notre solide monture nous entraine sur les pistes secondaires ponctuées de quelques sites religieux, tous plus colorés les uns que les autres.


Notre errance nous mène vers un nouveau baobab, ou un phare aussi majestueux que désaffecté. Ces routes désolées sont déconcertantes d’isolement.


Aux heures les plus chaudes de la journée – encore une fois, nous croisons plus de vaches et chèvres que d’habitants dans les mornes et épisodiques villages.

Plus encore que sur le reste de la péninsule, arpenter les îles souligne l’exode des populations.
Nombres de maisons, portants les stigmates de la guerre ou de pillages, ont été laissées à l’abandon, les banians ayant depuis longtemps glissé leurs racines dans les interstices des murs.


Après avoir rejoint l’une des extrémités de l’archipel, nous nous entassons sur un petit bac qui nous fait regagner le « continent ». Une quinzaine de motos, quelques piétons. Et un tout petit moteur pour propulser le tout. Heureusement que nous ne sommes pas pressés.


Nous rentrons les yeux émerveillés et les fesses endolories de notre virée à moto.


Demain on prend le bateau!

Note : Au Sri Lanka, il y a très peu d’usine d’assemblage automobile. La grande majorité des véhicules sont d’occasion et importés. Dans tout le Nord tamoule, on retrouve une ribambelle de ces vieilles mais vaillantes mobylettes Honda de la Poste japonaise dans une livrée rouge rutilante.

‘* En réalité, nous avions eu les mêmes surprises en débarquant à Kandy ou Galle, qui sont les deux plus grosses villes du pays après Colombo. Si les petits Français que nous sommes étaient décontenancés par les mégapoles Chinoises ou Indiennes, c’est l’effet d’échelle inverse auquel nous sommes confrontés au Sri Lanka. Tout ressemble à un gros bourg ou une petite ville. Étonnant comme après cinq années de voyage, nous sommes inconsciemment attachés à nos références, notre « échelle » de ville.

** Nous sommes étonnés de découvrir que les temples hindous tamouls (est-ce le cas aussi en Inde du Sud ?) utilisent des cloches aux timbres similaires à ceux de nos églises pour convier leurs ouailles aux offices religieux. Nous n’en avions pas souvenir en Inde du Nord.

8 thoughts on “À plat vent’re

  1. C’est beau ces étendues entre mer, terre, ciel. Juste quelques piquets pour se repérer dans cette vastitude ! j’en ai vu de similaire à Zanzibar, hypnotisée par la beauté de ces paysages, avec les couleurs vives des tuniques des femmes à la pêche aux coquillages…..

  2. Que de photos sur ce post… et de couleur avec les temples.
    Tous les pylônes pour les antennes sont aussi hauts ? ça fait énorme à côté du far

  3. Ouah. C’est beau. Et ce calme apparent…

    Note 1 : ca doit être pratique d’avoir 4 bras
    Note 2 : classe la micro eq’s

  4. Vous avez changé d’appareil photo ou quoi ¿ J’ai l’impression que les photos sont beaucoup plus 16/9…

    Genre pas de photos interdites dans le temple…c’est une feinte pour pas qu’on voit Brice torse nu… 😉

    En tout cas les photos sont magnifiques, chargées de quiétude et un peu de « mais ils sont où les gens ?? » (D’ailleurs je vous conseille la série « The leftovers » , c’est un peu l’idée.). Je n’imaginais pas non plus le Sri Lanka si « vide ».

    Je conclue mon post en vous demandant le nom de votre monture… j’ai bien qu’elle n’était pas rouge, mais elle mérite quand même que vous nous la présentiez 🙂

    Big Bisou !

  5. j’adore ta chemise Brice ! :))

    Maori : « oh la chance d’avoir vu les ruines ensevelies dans le sable ! j’ai toujours rêvé de voir ça !! »

    C’est clair que c’est trop beau !!!!
    On adore les ruines des bâtisses « recouvertes » par la nature

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