Chez Farah

Après un faux-départ – nous devons passer au garage pour fixer la fourche de la moto de Marion qui fuit, nous quittons finalement Srinagar pour rejoindre la famille.

Parce que même au Kashmir, la bourlingue a des relations !

En effet, voici une vingtaine d’années, Odile, la cousine de la maman de Brice a eu un coup de foudre pour l’Inde et pour un beau et grand Kashmiri de Srinagar, Rashid.
De leur idylle est née leur jolie fille Farah… qui est donc la petite petite cousine de Brice.

Intelligente (c’est de famille) et riche du multiculturalisme du foyer, elle parle -de fait- couramment cinq langues et écrit en trois alphabets.
Ils tiennent désormais une superbe maison d’hôtes, située à quelques encablures de Srinagar, dans un écrin verdoyant aux pieds des montagnes, au bord même des eaux tumultueuses de la rivière, et que les cultures française et kashmiri habitent d’une parfaite harmonie.

C’est accompagnés de Sjoerd et Manon et de leur minivan bigarré que nous prenons ainsi la direction des montagnes.
Pour rejoindre ce paisible havre, nous traversons la plaine du Kashmir avant de remonter la chaussée sinueuse (mais à l’asphalte parfaite*) de la fertile vallée de Sind.
Nous traversons un paysage en camaïeu de verts.
De part et d’autre, les flancs des montagnes sont habillés d’arbres et recouverts de cette fraiche végétation d’alpage.
En contrebas, les cultures tapissent le lit de la vallée fertile abreuvée par la rivière aux eaux grisâtres chargées des alluvions et minéraux découlant des glaciers en amont. Çà et là, les toits de taule étincelants d’une poignée de maisons réfléchissent les rayons du soleil d’Été.

Voilà le tableau dans lequel nous évoluons sur nos pétaradants destriers, suivant le coloré van de nos amis hollandais.

Et c’est dans ce cadre que midi arrive et que nos amis ponctuels, et ne sautant jamais un repas, nous invitent à bifurquer et rejoindre les berges de la vrombissante rivière, pour une pause pique-nique bucolique.
Voyageant depuis 4 bons mois dans leur minivan acheté à Goa, nos copains sont plutôt bien équipés pour le camping et nous nous laissons ainsi portés, profitant pleinement de ce déjeuner sur l’herbe.


Gagangir n’est plus qu’à une poignée de kilomètres.
Nous nous réjouissons de retrouver Odile et l’idée de trouver un repère familial au cœur de l’Inde, et après plus d’un an sans avoir visiter nos familles, nous enchante.
Cela n’en est pas moins déconcertant pour Brice qui se perd dans l’arbre généalogique de cette branche lointaine de sa famille. La dernière fois qu’Odile et lui s’étaient rencontrés, il n’avait même pas 10 ans.
Drôles de sentiments… qui seront vite balayés par le chaleureux accueil d’Odile et la connivence simple et innée qu’elle réussit à recréer.

Srinagar – Gagangir : 79km (04h50’) – done

Nous sommes accueillis par le franc sourire affable de Rashid, et Odile plus que loquace, nous raconte en long et en large leur histoire commune, leur installation dans la région, la construction de la maison, les dernières histoires avec les léopards des neiges***, ses nombreux combats****, la neige en hiver*****.
Leur enthousiasme chaleureux et leur délicieux accueil autour d’une tasse chaude de chai et d’un gâteau à la coco fait maison nous font rapidement nous sentir bien ici.
Et puis chacun retourne à ses occupations.
Rashid, installé dehors à surveiller ses brebis – qui le suivent partout, même dans la maison, suit également avec assiduité la demi-finale de cricket.
Farah, s’amuse avec les enfants du voisinage, conversant en kashmiri avec eux, en hindi avec son père, en français avec sa mère et en anglais avec Manon et Sjoerd. Facile.
Quel privilège elle a d’avoir cette ouverture culturelle, ce goût de la curiosité, de l’imagination. Ces amis semblent souvent bien perdus quand il leur faut faire preuve de créativité.

Brice et Odile (re)font connaissance, se racontent ces dernières années, les liens familiaux, les évènements passés, entre albums photos et anecdotes.


Et puis, le premier se plaira à passer du temps avec sa petite cousine, et retrouver les bons réflexes au Mastermind ou au Mikado.

Marion, Sjoerd et Manon s’aventurent dans le jardin.
Vaches et agneaux (les moutons sont en alpages à cette période) paissent le gazon verdoyant et ne font parfois pas bon ménage avec les plants de fleurs, notamment de magnifiques rosiers, plantés le long de la pelouse. Il faut alors veiller au grain. Les poules fournissent leur lot d’œufs quotidien, tandis que les chiens se chamaillent la plupart du temps.
Au fond du jardin, deux larges noyers déploient leur lourde ramure et jettent une ombre rafraichissante sur des bancs faisant face au puissant fleuve qui rebondit de roche en roche en une tonitruante rapide. Sur l’autre berge, se tient un mur de hauts conifères qui se dresse tout le long de l’étroite vallée, et qui accroche quelques nuages bas en fin d’après-midi.
C’est ici le lieu privilégié pour méditer dans le silence naturellement assourdissant de ce paysage alpin.


La région est belle et, encore très peu touristique. Le potentiel de tourisme « de nature » est très grand. Mais l’instabilité politique du Kashmir bloque tout développement dans ce sens. Nous étions ainsi désireux de crapahuter dans les parties occidentale et septentrionale du Kashmir, mais le peu d’information que l’on a reçues d’autochtones pourtant désireux de nous rencontrer et les galères administratives (pour raisons militaires) nous ont fait écourter notre séjour dans cette région.

Nous nous rabattons avec nos amis sur une jolie randonnée non loin du village de Sonomarg situé à une quinzaine de kilomètres en amont de la maison.
C’est l’occasion d’arpenter le lit du glacier Thajiwas, qui déploi/yait sa large langue de glace, glissant à travers les interstices de la montagne, sculptant sa vallée et abreuvant la rivière Sind de ses eaux glacées.
À peine la maison d’Odile quittée, que le paysage se modifie.
Les montagnes prennent de la hauteur et se resserrent. Nous longeons l’impressionnant mur haut de plus de 1000 mètres et qui semble fermer la vallée depuis la maison. Nous grimpons à bonne allure, tous les quatre installés dans le mini-minivan, avant de rejoindre une verdoyante prairie, d’où notre rando’ peut commencer.


Il nous faut alors être persuasifs et refuser les offres insistantes de balade à cheval, de luges ou de bottes de caoutchouc pour « ne pas abimer nos chaussures de randonnée ». Mais le sésame « on a de la famille dix kilomètres plus bas » finit de convaincre nos interlocuteurs dès lors très sympathiques.
Et nous pouvons enfin profiter pleinement du paysage qui s’offre à nous.


Quelques animaux dégustent l’herbe fraiche du terrain vallonné.
Nous grimpons suivant les nombreux sentiers vernaculaires sillonnant dans la prairie, zigzaguant à travers les pins et les cours d’eau. Au fond, de hautes montagnes partiellement enneigées se dressent sous un plafond de nuages gris.
Progressivement, le terrain devient plus caillouteux, accidenté et raide.

Nous traversons nos premières neiges. L’air est frais, nous remplissons nos poumons.
Que cette montagne fait du bien. Que la nature nous avait manqués.
Nous faisons quelques pauses, pour contempler notre environnement et on l’avoue, reprendre un peu notre souffle. Nous sommes à plus de 3000m alt.

En chemin, nous doublons les habitations de quelques bergers nomades, installés ici pour l’été et désireux de d’offrir de beaux pâturages aux troupeaux.

Encore une fois, nous nous étonnons de ces gens du bout du monde.
Des groupes d’enfants nous harcèlent pour des « biscuits biscuits », et ils sont moins faciles à convaincre que leurs homologues adultes.

Au loin, s’enfonçant encore plus dans cette vallée, le glacier pointe son nez (qui coule) sous les neiges éternelles des sommets. Le réchauffement climatique aura eu raison de sa longueur et lui a progressivement couper la langue.

Il est temps de repartir.
Le ciel se voile rapidement, et c’est sous la pluie de fin de journée que nous retournons chez Odile.

Sjoerd et Manon décident de reprendre la route et après avoir échangé nos plannings respectifs, nous nous quittons en espérant nous revoir d’ici quelques jours. Inch’Allah !
De notre côté, nous passons cinq jours supplémentaires à Gagangir.
L’environnement, le bon air, le bon temps, les petits plats, et surtout l’accueil de la famille nous font nous sentir bien, et nous peinons à repartir – comme souvent.

Nos journées en famille sont simples et paisibles. Ils n’ont pas de guests ses jours-ci et nous prenons plaisir à papoter longuement avec Odile, observer Toffy la vache paître paisiblement, nettoyer la terrasse ou quelques chambres, boire du chai, jouer avec Farah ou se balader de l’autre côté de la rivière en quête de pommes de pin pour l’hiver prochain.


Nous écoutons la rivière, contemplons les arbres et regardons le voisin qui pèche.
Nous prenons le rythme local.

Odile et Rashid sont de vrais marmitons, ce dernier nous gatte de plats kashmiri (du mouton ou du poulet en sauce ou au barbecue), tandis qu’Odile nous cuit quotidiennement tantôt un clafouti aux prunes, tantôt une tarte aux abricots Miaaaaam
Ce n’est pas ici que nous serons au régime, Rashid nous servant des portions de riz équivalente à ce qu’une famille française mange hebdomadairement. Le matin, on tartine du beurre et du miel local sur notre pain kashmiri quand ce n’est de la délicieuse confiture d’abricot ou de prune – comme à la maison.

Les enfants des voisins – et copains de Farah – sont souvent de passage, quand ce ne sont pas des ouvriers du coin qui viennent casser la croute ou un minibus entier de la famille qui vient prendre le thé – à l’improviste !


Nous profitons des chaudes journées ensoleillées et des grosses averses de fin d’après-midi.

On sympathise avec les agneaux, le veau, les poules et les chiens.
Nous partageons cette vie familiale.
On se raconte nos vies et nos doutes, on enterre le chat, on rencontre une amie belge d’Odile (installée à Srinagar depuis 6 ans), on explique le français à Farah et ses multiples règles, on parle pashmina et Marion continue d’en rêver.

Au matin de notre départ, la moto rouge refuse de démarrer.
Il y a eu un court-circuit et une grosse partie du faisceau électrique a fondu. Passé le moment de l’agacement, et avec l’aide bienheureuse de Rashid, la moto part en remorque au prochain village à 40 km – et 1h de route, pour tenter de la faire réparer.

C’est une opération à cœur ouvert qui a lieu, mais le mécano’ local parvient à la réanimer avec les moyens du bord. Mash’Allah !

Nous pourrons donc reprendre la route le lendemain, nous ne sommes pas non plus mécontents de rester plus longtemps.
On se sent bien ici, la famille Patour-Wagnoo a le cœur sur la main.
Et le matin de notre départ, ce sont de chaudes embrassades que nous échangeons.

Nous reviendrons, on connait l’adresse.
On prend maintenant la direction de l’Est, la vallée de Suru puis celle de Zanskar.

 

NOTE – À l’heure où nous écrivons (le 5 Août 2019), la stabilité au Kashmir semble plus que compromise.
Les communications sont coupées, et nous n’avons pas de nouvelles de « l’intérieur » et encore moins d’Odile et sa famille. Là encore, c’était le choix difficile qu’elle avait fait en connaissance de cause.
On leur souhaite néanmoins du courage.

 

‘* La route est de qualité exceptionnelle comme tous les grands axes de la région pour faciliter les mouvements des convois militaires. Aussi, tous les jours, c’est un ballet de camions de couleur kaki, qui file dans les deux directions de la National Highway 1 sous les sifflets des quelques soldats en faction**, pressant les usagers de la route et les piétons de ne pas leur faire obstruction.

** Ici encore, des soldats en armes sont régulièrement postés. Soit barricadés derrière de lourds sacs de sable – comme c’est le cas à deux pas du portail de chez Odile, soit en binôme, à pied, proche d’un commerce ou arpentant le village.

*** Car ici, la menace des léopards des neiges n’est pas infondée.
La vache du voisin est en convalescence dans le jardin après s’être fait mordre à la gorge par un de ces féroces félins. Kaloo, un de leur chien, porte encore les stigmates d’un combat avec autre individu en voulant protéger son pote l’autre chien..

**** Odile n’a pas sa langue dans sa poche et n’en fini jamais de se battre, que cela soit contre les automobilistes qui viennent pisser sur son mur, les villageois qui jettent leurs ordures dans la rivière, l’éducation des femmes, l’hospitalisation de l’un des voisins, les soins vétérinaires de la vache de l’autre…

***** Si on a vu des photos avec plus de deux mètres de neige dans leur jardin, la route est déneigée jusqu’à Gagangir, en faisant le dernier village accessible et de fait, un cul de sac en hiver.
En effet, de Novembre à Mai, la route – et le col de Zoji La – sont fermés, recouverts par plusieurs mètres de neige que le soleil hivernal ne parvient pas à faire fondre.
On comprend ainsi l’isolement de ces populations.
On comprend que les hivers sont longs. Et on admire Odile qui a su s’y faire et trouver son confort dans cet environnement rude.

4 thoughts on “Chez Farah

  1. Joli post, jolis paysages, jolie famille !
    Attention particulière et émouvante pour moi de voir l’environnement familial de ma cousine et sa famille !
    Quel decor naturel magnifique, quel beau gite, coloré et soigné, gai et vivant à l’image d’Odile !
    J’espère qu’aujourd’hui tout va bien pour la famille.

  2. Hola les amis ¡!

    Incroyable ces retrouvailles au milieu du Kashmir !!
    Et toute cette petite famille a l’air très sympathique, intéressante et accueillante. Même moi j’ai été triste lorsque vous êtes partis.

    Les paysages sont aussi magnifiques. Un petit coin de paradis kashmiri !

    Une bise à Farah ! поцелуй ! (cet Alphabet elle le connaît pas 😉

  3. Oh Odile.!!! Quelle surprise !! Même en région troyenne je ne l’aurais probablement pas reconnue, alors que dire en plein Kashmir. Quel bonheur !

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