En champs-thé

« Travel à 8h30, mais venez à 7h00 »
Pourquoi ?  On arrête de poser la question : on a appris que ce mot déstabilise souvent nos interlocuteurs, et la réponse qui s’en suit est rarement pertinente.
La femme qui tient l’auberge à Bukittinggi nous conseille de prendre un oplet (de toutes petites camionnettes dans lesquelles peuvent entrer un nombre incroyable de personnes et qui servent de transport en commun) vers 6h00 du matin c’est jour de marché.
Bon… à 6h35, on est à la gare, on comprend que le départ de notre travel n’est finalement pas prévu avant 9h00…Stitched PanoramaEn gros, on va devoir attendre au terminal de bus jusqu’à 9h15, le départ effectif.
On trouvera de quoi s’occuper, boire un teh, faire un croquis, quelques photos, et contempler la vie qui s’éveille… et avec elle son lot de chaos dans cet espace si étrangement défini et arrangé.S0034112 DSCF4116 DSCF4128Il faut dire qu’au fur et à mesure de notre bourlingue, on a bien appris à attendre, on se soucie toujours du bus qui n’est pas là à l’heure… mais plus par manque d’information que par réelle impatience.

D’ailleurs, on est surpris de pouvoir voyager 10 heures dans un minibus sans écouter de musique (on subit l’horrible musique indonésienne à 140dB dans l’auto – fabrication artisanale de bouchon en serviette en papier), sans ouvrir un bouquin (si les routes sont d’assez bonne qualité, on est loin d’avoir une route lisse et droite)… juste laissant le temps passer, somnolant, regardant le paysage à travers les vitres fumées…

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On laisse la culture Minang derrière nous, ses maisons aux formes si atypiques, sa cuisine… on contourne des lacs et s’enfonce dans les vallées.
Et en fin d’après-midi, au détour d’une courbe, le mont Kerinci s’impose à nous.
Il est impressionnant. Posant en contre-jour, sa masse noire est tout ce qu’il y a de plus intimidant.S0304264D’autant plus que nous avons prévu d’aller y crapahuter et chatouiller son sommet.

Étrange impression que d’être face à un volcan. Bien sûr il y a bien quelques montagnettes autour de nous et dans le parc national, mais un volcan, ça reste tout de même un énorme tertre insurmontable au milieu d’une plaine. Ce qui le rend encore plus massif.Stitched PanoramaSes lignes droites et sèches, sa couleur sombre, et les fumeroles qui se dégagent de son sommet, contrastent avec le vert apaisant des champs de thé au pied du mastodonte.

La lumière de fin d’après-midi, les tâches rouges des fleurs longeant les cultures de thé, les nuages cotonneux et les quelques rayons du soleil qu’ils laissent passer… On se croirait fondus dans la pleine sérénité d’un fond d’écran Windows.

Sérénité c’est sur la photo, car la route qui longe la vallée est parcourue par toutes les motos des agriculteurs du coin qui ne se soucient guère du bruit ambiant et préfèrent maximiser la puissance de leur pétrolette en supprimant tout bonnement leur pot d’échappement.
Il n’en demeure pas moins que les gens nous accueillent avec un grand sourire (souvent édenté) aux lèvres, et si les conversations en bahasa ne vont jamais bien loin, on reçoit toujours une grande chaleur, que l’on passe dans les rues des villages, dans les échoppes, dans les bui-bui ou dans les champs dans lesquels nous nous baladons longuement, …
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Il faut dire qu’il y a peu de buleh à Sumatra, et le parc national du Kerinci ne voit pas beaucoup d’étrangers.
Pour organiser cependant notre balade on choisit l’une des seules (sinon la seule) auberges du village.
5 petites chambres, eau très froide, mais le thé coule à profusion, et 2 buleh qui ont plus de 100 ans de bourlingue cumulés à leur actif. Entre Cristina qui a tout vu du monde en trois exemplaires – pour être plus sûr et Olivier qui chasse les papillons (!!) du monde entier et connait tous les endroits par lesquels nous sommes passés ah oui, à Sary Tash, t’as pris la route qui longe la montagne à gauche ! oui oui, je vois très bien… (on s’est sentis petits tous petits tous humbles mais on a eu plein d’idées pour plus tard !)

Et puis il faut aussi âprement négocier notre grimpette, on n’est pas si rassurés de grimper un volcan, il y fait bien froid la nuit, il nous faut de l’équipement. Finalement, on arrive à baisser de moitié le tarif, et ce sont les étrennes de Jocelyne qui nous offre cette belle expédition.

On vraiment grimper ça ?
Oui, on va le grimper.DSCF4429Les premières centaines de mètres, on déroule nos jambes parmi les champs de patates (délicieuses pommes de terre des montagnes), de cannelle et de choux.DSCF4431Puis la lisière de la jungle est ténue et on plonge directement dans une forêt ombragée, sous les « houhouhou » des gibons.
Les racines, les arbres en travers de la route, et surtout le chemin qui prend de la pente… tout cela fait que le souffle se raccourcit, et que les pauses sont plus fréquentes.
Les arbres diminuent de taille, les racines passent d’obstacles à prises fortuites nous aidant heureusement à grimper le sentier glissant.DSCF4437 DSCF4438 DSCF4451 DSCF4467 DSCF4468 DSCF4472Et ça monte, bien sûr que ça monte : on va voir un volcan, comment avons-nous pu être assez crédules pour penser que nous aurions droit à un morceau de plat rédempteur.
Nan, ça monte, ça grimpe, ça se raidit, et l’ascension devient un calvaire.
Heureusement, il ne pleut pas… encore.DSCF4475 DSCF4494 DSCF4500 DSCF4506 DSCF4507 DSCF4517Car vers 3200 m, la végétation devient exclusivement composée d’arbustes secs aux branches serrées, et les premières gouttes se font sentir.
Vite vite, (vite vite ?) on termine les quelques mètres d’ascension et nous planquons sous la bâche.DSCF4518
Nous sommes arrivés à la base de campement plus vite que le guide ne l’espérait, il est près de 14h quand la pluie cesse de tomber et que l’on plante la tente.DSCF4521 DSCF4528

On vivra cependant le reste de la journée et une partie de la nuit soit dans les nuages, soit sous la pluie… soit dans des nuages de pluie.DSCF4538 DSCF4533Nous sommes plus chanceux que les Indonésiens qui arrivent au campement après nous et doivent s’installer sous l’orage.

Premier jour : 5h30 de grimpette (3h10 sans les pauses) pour seulement 6.2km (1550 m à 3300 m d’altitude).

Le lendemain, réveil à 4h00 du mat’ et petit thé pour nous réchauffer.
On met toutes les couches de vêtements possibles, et départ pour l’ascension finale à 4H44’44’’ (sic GPS).DSCF4583On est heureux de ne pas avoir à faire le dernier tronçon de la veille (une heure plus bas) dans le noir.
Le sentier de terre, devient du gravier basaltique, on dérape toutes les deux enjambées, et les Indonésiens, trop accrocs au tabac, peinent à enchaîner les pas.

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En moins d’1h20, on est au sommet, à 3805 m au-dessus du niveau de l’océan indien… dont on distingue les reflets argentés à quelques centaines de kilomètres sous la lumière d’une lune pleine comme un ballon.

Stitched PanoramaDSCF4700 Stitched Panorama DSCF4661 Stitched Panorama DSCF4656Nous sommes sur les rebords du cratère. Il doit y avoir une surface plane d’un mètre de large avant l’abrupt trou béant. On entend un léger vrombissement. Ça bouillonne là-dessus… et puis ça fume !
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Derrière les nuages, le soleil est déjà au-dessus de l’horizon, mais tarde à nous réchauffer.
Il fait froid à cette altitude, le vent souffle et nous apporte des effluves sulfurées tout droit venus du centre de la Terre.
Au fur et à mesure que le soleil se lève, la plaine s’inonde de lumière, dévoilant sa couleur verte, spectacle que nous avions manqué la veille faute de beau temps. Puis on en vient à distinguer la côte sud-ouest de Sumatra, au loin. Puis la lave grise ou rouge ferrique, les couleurs des pentes du volcan ressortent, et on réalise le long chemin parcouru plus tôt dans les ténèbres.DSCF4746 DSCF4693 DSCF4750 DSCF4752 Stitched Panorama DSCF4798

On est une petite douzaine au sommet, quelques retardataires arrivent au compte-goutte.
Aucun buleh, que des Indonésiens – c’est le dernier weekend des vacances estudiantines*.
Et le soleil nous réchauffe enfin les extrémités.
On passe une bonne heure à graver chaque image dans notre tête et nos appareils, chaque minute apportant de nouvelles informations, de nouvelles lumières, de nouveaux détails…DSCF4677Stitched Panorama Stitched PanoramaCe paysage est magique. On est haut et loin.
C’est beau.

Alors que nous redescendons, on intègre que nous marchions le long de la crête du volcan, on glisse, on se rappe les mains sur les cailloux.DSCF4805 DSCF4807 DSCF4812 DSCF4810 DSCF4818Puis, c’est le retour des branches et des racines.
Elles s’avèreront d’une aide précieuse et notre descente s’apparentera souvent à des jeux de singes tournant autour des branches.
Mais même Indiana Jones aurait refusé le rôle si on lui avait raconté le scénario !
Finalement, nous avions peur d’être ennuyés par cette descente, elle nous a au contraire donnés beaucoup de plaisir et d’amusement parmi les branches, comme autant d’énigmes à résoudre pour pas se casser la figure et de rigolades dans la gadoue (les pluies de la veille ont rendu les zones plates boueuses) et de courbatures. Nous en sortirons les muscles las (ou raplapla), les jambes ankylosées, et le corps harassé.
Ce qui veut dire, pour résumé, que nous serons dans l’incapacité de marcher, plier les jambes et se relever (très pratique dans un pays qui n’a que des toilettes turcs) pendant les 3 prochains jours.

Deuxième jour : 6h00 pour redescendre du sommet les 6.9 km à 30% de pente moyenne (3h10 si on retire le temps de plier la tente, manger un bout, et au guide de fumer deux trois clopes sur le chemin). Kerinci Courbe Kerinci map1 Kerinci map3DSCF4318On revient plus tôt que prévu, et sautons ainsi dans l’oplet (pfff… ici ce sont des angkot**), pour une bonne heure de voyage, serrés comme dans une cage à poules, avec des mamies rentrant du marché.

On est heureux de pouvoir se doucher, car oui, on pue.
Brice a toujours le sang du cochon sur son pantalon, à cela s’ajoute la sueur de deux jours sur le volcan Kerinci.
Une bonne nuit de repos avant d’enchaîner avec notre prochain challenge.

 

  • on croise donc de nombreux Indonésiens grimpant les pentes – souvent des gens des classes moyennes, mais parfois avec un attirail quelque peu inadapté, en tongs, en short, au pied du volcan on en croisera un montant avec une guitare… et puis histoire de s’alléger, ils ne s’occupent que trop peu de récolter leurs déchets.
    Les camps sont relativement spoliés… mais il parait que cela n’est rien du tout comparé aux immondices que l’on trouve sur les volcans plus célèbres de Java…
    Globalement, les locaux sont loin d’avoir une conscience environnementale et malgré les constats similaires depuis que nous avons quitté l’Iran, ça nous fait toujours le même pincement au cœur quand quelqu’un jette sa bouteille ou son emballage de gâteau comme on se débarrasse d’une poussière sur l’épaule.

** Ici comme en Inde, le nom des transports change en fonction des régions…
Et gare à nous si on ne demande pas le bon…
Si on demande : « il y a un bus pour aller à Putrijiha ? »
On nous répond : « nan, pas de bus »
« … »
Alors que oui, il n’y a pas de bus, mais il y a un mini-bus… mais, c’est à nous de poser les questions…Et donc difficile de trouver les informations.
Il parait que ça sera plus facile une fois sortis de Sumatra.

13 thoughts on “En champs-thé

  1. MAGNIFIQUE !!! Et une question qui me taraude depuis un moment… Est-ce que vous avez un maudit appareil photo (si oui, j’aimerais bien connaître la marque 😉 ) ou est-ce que vous êtes des photographes hors pair ??

    1. On a beaucoup de talent!
      Hé hé hé…

      Mais aussi de superbes machines.
      Marion a un x20 Fujifilm et Brice un x100 Fujifilm aussi.
      Pas toutes jeunes (c’est relatif), mais sacrement efficaces.

      Gros bisous !

  2. Magique ! On s’y croirait (sans les courbatures…)
    Brice, il pue, mais il est trop musclé !
    et trop bien le trajet et les graphiques en mode GPS
    Des bisous

  3. C’est marrant parce que les photos ne s’affichaient pas au début, et donc je ne pouvais que lire le post. J’ai rêvé et j’ai eu toute la palette d’émotion et de pensées possible et imaginable, y compris « bande de lopettes, je le monte a cloche pieds le volcan », « j’ai trop envie de voir cette photo du volcan avec les champs de the et les coquelicots » et « Jamais de la vie je vais au bord du cratère, t’es un malade toi ». Puis ensuite une partie des photos est apparue, et là j’ai carrément voyage avec vous. Je me suis aussi dit que finalement vous étiez peut être pas des lopettes, et que les photos à l’aurore sont Presque aussi belles que celle du volcan avec les champs de the et les fleurs rouges. J’attends avec impatience de comprendre pourquoi les autres photos ne chargent pas et de pouvoir, je ne sais pas trop ce que pourra être l’étape suivante après le rêve et le voyage, mais j’attends avec impatience de le découvrir (et ça me rebooste dans mon projet de délocalisation de ma production de rejetons en Asie)
    Gros bisous les potos, vous me manquez.

  4. bon, alors maintenant, ça suffit, vous rentrez à la maison !
    votre ballade de boulets, ça va un peu
    pourquoi pas escalader un volcan, pendant que vous y êtes
    et surtout on voit bien que c’est le catalogue de l’agence de voyages que vous avez bidonné
    c’est moche, c’est petit, voilà c’est petit….

    purée que c’est pas petit, justement
    et (presque) personne sur le site
    on peut dire, « c’est énorrrrrrme »

    pour moi, perso, je vous le dis tout net, c’est trop haut, et j’aurais trop la pétoche de tomber dans le trou

    ah et puis aussi, les gens qui laissent leurs papiers gras, ou d’autres papiers…, ça m’insupporte

    que de belles images, on doit les garder longtemps dans sa tête après
    nous on les a à l’écran (enfin presque tous…), mais c’est tout petit,
    il faudrait pouvoir les imprimer en 3m*4m, format jcdecaux
    ou mieux, grandeur nature
    c’est ça, grandeur nature

    bisoux
    faisez gaffe quand même

  5. ah oui, encore un mot, « en-champs-thé »
    comment dire…, vous avez manqué d’oxygène ?
    parce que ça fait vraiment boulet comme jeu de mots
    pourquoi pas « vol-qu’en dira-t-on », tant que vous y êtes
    re-faisez

  6. Coucou mon cousin, coucou Marion!
    Les articles sont toujours aussi enchanteurs … Et là il y avait du niveau. Vous êtes vraiment courageux tous les deux!
    Bon, je ne laisse pas souvent des commentaires bien que je sois une lectrice assidue, mais en fait j’aurais besoin de quelques conseils sur comment organiser le Couchsurfing! Je vais partir 1 mois et demi en Asie du Sud Est de mi-octobre à fin novembre, et j’aimerais ne pas trop me prendre la tête avec un planning trop à l’avance (être tel jour à tel endroit pour retrouver l’hôte alors que les bus ne sont pas à l’heure) … Comment vous faites, vous? Bisous!

  7. Magnifique le volcan !
    J’avais fait les volcans d’auverge, c’est pas pareil. Ca vaut le coup de faire qlqs milliers de kms en mini-bus !
    Et vous avez vu de la lave en fusion au fond du trou ou bien ??!!
    Bonne continuation les jeunes !

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