Lunch chez les nonnes

C’est en ouvrant notre tente que nous prenons pleinement conscience de l’endroit où nous nous trouvons.
Devant nous, le village de Lingshed se réveille, sous l’œil bienveillant du monastère accroché à flanc de montagne.
D’épais nuages couvrent le ciel bleu et offrent un jeu d’ombre sur les vertes montagnes qui nous font face. Qu’est-ce qu’on est loin. Qu’est-ce qu’on est bien.
Après un brin de toilette au pied de la source d’eau fraiche – ça a le mérite de bien nous réveiller, nous dégustons des pancakes chauds, offerts gracieusement ce matin par le cuisto’ de nos voisines allemandes (ils ont dû avoir pitié de nos nouilles froides – moins-instantanées – de la veille) et partons nous balader dans le village.

Nous passons par le monastère, faisant attention de tourner dans le « bon sens », et entrainons quelques moulins sur notre chemin.

Construit au XVème s. ce monastère accueille aujourd’hui une soixantaine de moines et moineaux Gelugpa. Le Dalaï lama est d’ailleurs venu leur rendre visite – d’où la présence de l’héliport.
Mais l’histoire raconte que des bergers occupaient ces terres isolées et inaccessibles au milieu de ces immenses montagnes himalayennes, il y a plus de mille ans déjà.
Les moines n’étaient donc pas les premiers.
Ceci pourrait être expliqué par la situation géographique de Lingshed. Ce village est en effet sur la route ralliant Lamayuru à la vallée de Zanskar finalement toute proche !

Il n’y a pas de route ici. Mais une quantité de chemins vernaculaires, dessinés et creusés au fil des saisons.
De larges cultures en terrasse, au vert éclatant, encerclent les quelques habitations aux façades blanches. La montagne a été sculptée par le temps et les éléments.
Nous nous installons pour un petit déjeuner composé de quelques biscuits sur de larges rochers, faisant face à ce paysage matinal.

Un âne broute l’herbe, nous entendons les cris d’enfants, jouant sur les toits plats des larges bâtisses de terre, les drapeaux colorés s’agitent au vent. Quelques hommes arpentent les sentiers portant en travers de leur dos de longs troncs de peuplier, servant à la restauration des maisons.

Nous sommes début Août, il ne pleut pas et il fait globalement beau et doux. Les populations travaillent dans les champs, les animaux paissent paisiblement ou se reposent à l’ombre, les enfants jouent dans la nature. La vie semble bien agréable.
Pour nous aussi.
Mais nous pensons souvent aux autres mois de l’année, lorsque l’Hiver bat son plein, que les neiges coupent routes et cols, gèlent les rivières et les cours d’eau.


Nous traversons la rivière provenant du glacier en amont, irriguant le village, et rejoignons les plateaux cultivés.
Nous poursuivons notre ascension, le souffle court, pour atteindre le stupa surplombant le village que nous lorgnions depuis hier.

Du haut de la crête à 3980m alt., une nouvelle vallée s’ouvre devant nous. Le sentier s’étire et disparait plus bas le long de la montagne. Il doit certainement rejoindre la vallée de Padum à plusieurs journées de marche.

Quel plaisir nous offre la nature. Une colline qui en cache un autre, un plateau dénudé où souffle une brise légère, une vallée qui s’ouvre sur un nouveau hameau et ses vertes cultures, un sommet qui se découvre au loin. Les couleurs d’une montagne, d’un caillou, d’une rivière qui changent selon l’avancement des nuages, l’incidence de la lumière.
Ce voyage nous reconnecte avec ces beautés. Il souligne notre fragilité.

Aujourd’hui, assis sur ce rocher, nous sommes restés un long moment, face au tableau qui nous est offert et que nous sommes si chanceux de pouvoir contempler.

Des nuances de roche aux plis de la montagne, des maisons blanches aux cultures émeraude en passant par les eaux de la rivière, le ciel et les nuages, nos yeux s’attardent sur chaque détail de cette parfaite composition. Nous dévisageons ce lieu.

Le temps s’est arrêté. Nous entendons le battement des ailes des quelques oiseaux qui nous accompagnent. Nous sommes émus et silencieux.

Au bout d’un long moment, nous quittons ce sublime endroit revenant vers Lingshed, les yeux accrochés vers ces majestueuses montagnes striées et pliées.

Sur le versant de la montagne opposée, la route que nous avons empruntée hier nous nargue de ses longs zig-zags. Nous la scrutons, mais toujours pas de minivan coloré en vue.
Coupant à travers champs, nous descendons plus aval, enjambons la rivière, et rejoignons la nonnerie pour le déjeuner.


Nous arrivons alors qu’un puja (rituel d’offrande, qui exprime la gratitude envers Buddha, ou autre déité/personnalité) vient de se terminer. En effet, un moine, originaire de Lingshed mais en mission dans le Sud de l’Inde, est de passage au village.
Nous nous installons en silence dans un coin du temple, salués par le sourire discret des nonnes – dont celles rencontrées la veille au pied de notre tente.
Les nonnes sont au nombre de neuf, entre 16~18 ans jusqu’à 70ans+ pour la plus âgée, et cette communauté nous accueille chaleureusement.
Nous nous disons qu’elles doivent jalouser les moines, leur monastère se trouvant à « l’entrée » du village, proche de l’héliport, tandis que personne ne vient jamais leur rendre visite (même pas le Dalaï Lama).
Sauf aujourd’hui !

Après quelques minutes, nous quittons le temple pour rejoindre le réfectoire – une salle aux larges fenêtres faisant face au paysage, de confortables coussins autour de nattes au sol et un poêle en son centre.
Assis en tailleur, nous formons un large cercle au milieu duquel de grandes popotes de riz et légumes sont déposées, tandis que l’on nous sert du thé au lait – salé, et des grains de blé soufflés en guise d’apéro’.
Tout ce monde est bien silencieux. La présence du moine en visite semble intimider nos hôtes… à moins que ça ne soit une forme de respect.
Nous déjeunons en chuchotant les réponses aux questions que nos nonnes curieuses nous posent. Les plus jeunes nous amusent. Elles portent une casquette à l’envers, et leur large sourire nous touche.
On nous sert et ressert, du thé tout comme du riz. Nous sommes repus.

Le moine prend alors congé, et tandis que nous entendons encore ses pas dans le couloir, toutes se mettent soudainement à discuter, beaucoup plus décontractés. Certaines se lancent dans des questions à notre égard quand d’autres débriefent. L’une est sourde, une autre ne parle pas anglais, et est la cible de gentilles moqueries, certaines s’assoupissent s’étalant de tout leur long, et nous papotons simplement éclusant bolinettes de chai sucré ou salé, et gobant des smacks. Elles se marrent beaucoup, et nous sommes surpris autant que touchés par la connivence que ces 9 femmes ont trouvée entre elles, alors qu’elles sont cloitrées dans un lieu déjà extrêmement isolé !

Nous les quittons finalement, sous leurs bienveillants aurevoir.
Le chemin du retour est abrupt. Nous longeons les canaux d’irrigation qui entourent cultures verdoyantes, fleurs et hautes herbes sauvages. Un moine nous salue, on le julee en retour et nous poursuivons notre lente et fatigante ascension. Nous repensons à nos nonnes qui hier encore, portaient sur leurs dos, les bouteilles de gaz.


Nous arrivons sur la « place du village ».
Le minivan coloré de Manon et Sjoerd n’est pas arrivé. En revanche, les trois cyclistes (allemands), que nous avions brièvement aperçus la veille, ont finalement rejoint Lingshed. Quel voyage pour eux aussi !
Nous discutons autour de larges rasades d’eau fraiche de la délicieuse source.
Ils nous informent avoir croisé nos copains hollandais la veille.
Il nous rapportent qu’ils étaient arrivés aux limites techniques de leur véhicule sur la route de Nerak, et avaient dû rebrousser chemin. Nous sommes un peu déçus de ne pas les rencontrer ici, camper ensemble et partager ces incroyables moments.
Mais nous comprenons aussi la galère de cette route, à bord de leur minivan aux mini-roues.
De leur côté, les Allemands ne veulent pas passer la nuit ici, et attendent donc un véhicule pour les remonter.
Pour l’heure, nous partons en quête du seul moine de tout le village, qui possède de l’électricité (solaire ici) et un chargeur de batterie, et chez qui nous branchons nos intercom. Demain, c’est décidé, nous reprenons la route.

Les cyclistes, quant à eux, sont chanceux. Un pick-up est arrivé et repart « directement », le temps de fixer les vélos et de les protéger de cette route cabossée, sous l’œil curieux des moines et quelques badauds.


Nous sommes invités à boire un thé au gingembre dans la tente de luxe de nos voisines de camping, et papotons longuement autour de frites et samossa, fraichement cuisinés. Ça tombe bien, ce soir c’est une fois de plus nouilles-froides dans notre tente nazi!

Nous nous couchons de bonne heure. La fatigue générale, l’altitude, et l’appréhension de la route du retour impose – au moins à une moitié du couple – une bonne nuit de sommeil.

Le village a disparu en même temps que le soleil est passé de l’autre côté de la montagne.
Seules quelques points lumineux blafards signalent des habitations qui ont une petite batterie.
Le ciel est clair et dégagé. La lune nous accompagne de son plus beau croissant avant de se coucher à son tour. Un silence d’or règne.

Demain est un autre jour.

 

8 thoughts on “Lunch chez les nonnes

  1. Quel paysage !

    Et les nones alors… pourquoi n’ont elles pas droit à leur photo ?
    Laissez vous leur quelque chose en échange du déjeuner ?
    Commercent elles un peu avec l’extérieur ?

    A quel âge rentre t’on au couvent ?
    Est ce une décision personnelle ? Un choix de la famille ?

    Je vous embrasse

  2. En voilà un super post : court, avec un magnifique panorama (avec Brice assis sur un caillou), un croquis de Marion et plein de photos des villageois… tout ça sur fond d’intrigue « va-t-on revoir Manon et Sjoerd » ?

  3. Bonjour les amis !!

    La première photo donne le ton !!
    Chambre au calme avec vue…. un peu mieux que Center Park au niveau de l’harmonie avec la nature 🙂

    J’aurais bien aimé partager ce repas avec vous et les nonnes.
    Brick’s, tu aurais dû leur dire….bon moi aussi je sais cuisiner ! Vous me trouvez du mascarpone, du café, des boudoires et un peu de Nesquik et je vous fais un pti Tiramisu façon façon !

    Vous êtres vraiment au bout du monde 🙂
    Marion, tu es trop une super woman !!

    Prenez soin de vous sur le retour !

    un abrazo fuerte

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