Queyrament très blanc

[Info pour ceux qui sont perdus : cet article relate notre séjour hivernal dans le magique Queyras, lors de l’hiver 2020-2021.
Plus d’info sur la carte à
ce lien]

Décembre 2020. L’hiver s’installe, tout comme nous.
Nous rejoignons les Hautes-Alpes, et le bout de la vallée enclavée du Guil.
Notre voiture est bien équipée de quatre pneus-neige fringants et d’un nouveau démarreur plus puissant, le réservoir du lave-vitre est rempli à ras-bord d’un liquide anti-gel fait-maison (qui a malgré tout gelé au passage du Lautaret), mais surtout elle est chargée de pulls épais, pantalons chauds, lunettes UV4, snowboards et raquettes, chaussures fourrées, mais aussi d’un
rice-cooker, de victuailles, d’une bouilloire et de provisions de thé et épices du monde.

Nous posons nos valises pour les 4-5 prochains mois, dans le Queyras, à St Véran, le plus haut village d’Europe (le clocher de son église se dressant fièrement à 2042m d’alt.), “le pays où les coqs picorent les étoiles”.
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Aparté sur la situation sanitaire du moment :
La France est confinée depuis début Novembre, les stations ne savent pas si elles ouvriront pour la saison.
La neige est tombée, les pistes sont loin d’être damées.
Nous avions tant aimé cette région lors de
notre précédente visite chez nos amis Anne-lise et Boris, que nous avons souhaité la voir sous un voile hivernal.
Nous avons chacun trouvé un poste de saisonnier, Marion dans un gîte, Brice dans un hôtel, mais les établissements, restaurants et bars ne savent sur quel pied danser et les réservations se posent autant qu’elles s’annulent.
Rien n’est sûr, mais cela n’atteint pas notre motivation
à passer l’hiver ici.

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Nous logeons dans le caset de Bill et Jojo, les parents de Tiphaine, une amie d’enfance de Boris.
Ils ont géré le gîte de montagne
Les Gabelous, avant de le laisser à leur fille.


Le caset est une petite construction attenant à l’habitat traditionnel queyrassin, appelé fuste. Contrairement à cette dernière construite en troncs massifs de mélèzes et vulnérable en cas d’incendie, le caset est compact, bâti de murs de pierre épais sous un toit de lauze.
Il abritait une cuisine (la
fugagno), un espace de stockage du pain et de denrées (le caroto), une étable pour les brebis, et une ou deux chambres.
Les ouvertures sur l’extérieur y sont petites et peu nombreuses. Il faut dire que l’hiver est long et froid
à cette altitude.

La fuste, quant à elle, servait avant tout de lieu de stockage et séchage du foin et du seigle, alors que l’écurie, au rez-de-chaussée accueillait également les habitants de la maisonnée durant les mois les plus froids qui partageaient la chaleur de leur cheptel.

Aujourd’hui, il n’y a plus de brebis ou chevaux. Mais, pour nous tenir chaud, un vaillant poêle Godin – à qui sait le faire ronronner – trône au milieu de notre minuscule salon.

Il est notre partenaire pour l’hiver, notre équipier, celui qu’on écoute souffler, crépiter, que l’on regarde fumer, brûler et consumer ces bûches de bois, que nous apprenons à fendre.
Car pour l’hiver et nous chauffer, nous privilégions la bûche (aussi pour des raisons économiques et limiter les factures ahurissantes d’électricité), et nous nous sommes fait livrer 3 stères de bois, bien entreposées de part et d’autre de notre entrée.

Nos hôtes ont décoré avec soin ce nouveau chez nous, et nous l’apprivoisons rapidement.
Notre chambre est installée sous les combles,
en mezzanine du tout petit salon, et le velux nous offre une vue, quand il n’est pas sous la neige, sur le versant opposé.

Saint Véran est situe à l’adret, mais malgré cela, l’ensoleillement en Décembre est amoindri par l’imposant massif de Curlet qui occulte la paresseuse course hivernale du soleil.


Aussi, nous ne quittons pas nos pénates avant 9h00 (il a déjà fait -16˚C à cette heure-ci), et passées les 16h30, la plupart du village est dans l’ombre et chacun rentre chez soi (pas besoin de couvre-feu).
La cuisine et la salle de bain sont bien difficiles
à chauffer, et c’est auprès du poêle que nous passons le reste de nos journées.

Le village d’environ 200 âmes (2000 en période de congés) s’allonge sur 5 quartiers : le Châtelet, la Ville, les Forannes, Pierre Belle – notre quartier, et le Villard légèrement en retrait et où résidait la communauté protestante, à l’époque*.

Chaque quartier était distant l’un de l’autre pour prévenir la propagation des incendies. Ils ont chacun leur four à pain et une fontaine alimentée d’une eau claire et fraîche par les ruisseaux en amont. La partie cylindrique – le tino – servait d’abreuvoir aux bêtes, quand le bac rectangulaire – le batchas servait à laver le linge.








La rue principale du village relie les différents quartiers en balcon. Elle est étroite et sinue entre les fustes ou habitations plus récentes, mais toujours construites en cohérence avec le patrimoine architectural.
Les façades sont parfois ornées de cadrans solaires, artisanat local – la commune est reconnue comme étant l’une de plus ensoleillée du pays, et on y a même installé un observatoire. Ça et là, des croix de mission nous rappellent l’épreuve que c’était de rejoindre ce village aux confins des montagnes.


En effet, Saint Véran est le dernier lieu de vie installé le long de l’Aigue-Blanche qui serpente jusqu’au Lac de la Blanche, au pied de la frontière italienne, entourée de montagnes immaculées et de forêts de mélèzes.

Le décor est planté.

Avec les incertitudes de l’ouverture de la saison touristique, les hôtels (dont nos employeurs) gardent portes closes. Nous en profitons pour crapahuter à la découverte de ce nouvel environnement.





Nos yeux s’émerveillent en permanence, saisissants les formes, les couleurs, les reflets de chaque mètre carré de montagne. Nous observons la neige, ses flocons, les branches et ramifications de ses cristaux. Nous écoutons les quelques oiseaux qui se retrouvent sur les sorbiers oiseleurs pour déguster les dernières baies rouges flamboyantes, seule couleur contrastant dans ce décor en bichromie, mais dont les nuances semblent infinies.



L’air sent bon, et même si nous sommes essoufflés les premiers jours, notre acclimatation à l’altitude et l’atmosphère ténue se fait rapidement.
En ces premiers jours, l’envie de profiter pleinement du cadre dans lequel nous vivons est grande et nous avons des fourmis dans les raquettes.
Nos sorties sont quotidiennes, soit en direction de la chapelle de Clausis, vers le Bois des Amoureux, la Croix de Curlet, ou Fontgillarde.
Ces noms qui, petit à petit, nous deviennent familiers. Nous apprenons à nous repérer. Au virage de Pierre Grosse, à gauche avant la croix de mission, le petit chemin derrière les traces de renard, ou celui qui était verglacé la fois dernière…
Adret, ubac, crête, col, cime, sommet, névé le vocabulaire de montagne n’a plus de secret.





Il faut dire que nous sommes bien accompagnés par Anne-Lise et Boris (mais aussi Bill et Jojo, Tiphaine et Florian) qui nous expliquent les traces des animaux, leurs modes de vie, le terrain, les couloirs qu’il faut éviter, les raccourcis et les jolis coins.
Parce que si l’espace de jeu semble infini, il est aussi impressionnant de se retrouver face à la montagne recouverte de ce manteau blanc. Et dans les conditions hivernales, l’environnement peut vite s’avérer hostile.





Nous prenons note. Fascination, appréhension, excitation et humilité se mêlent.
Nous nous sentons fragiles et petits, mais ragaillardis par nos
globules rouges gonflés d’oxygène.

Les remontées mécaniques sont à l’arrêt, qu’à cela ne tienne. Nos snowboards sur le dos, bien arrimés sur nos sacs, raquettes aux pieds, nous grimpons direction le haut de la station, vers ces pylônes qui nous narguent, traversant des champs vierges de toutes traces.



Les ascensions des premiers jours sont difficiles et la descente qui s’en suit ultra courte, aussi frustrante soit elle, est pleinement savourée.

Puis l’endurance et le rythme s’installent pour nous permettre de rejoindre la crête dominant la vallée et observer enfin Saint Véran du dessus et voir l’entendue du paysage montagneux.
À 2800m, nous retrouvons un horizon derrière la Croix de Curlet et
embrassons le Queyras, dont les sommets lointains semblent nous appeler. L’Italie derrière le col Agnel, le Mont Viso et ses 3841m alt., le pic de Rochebrune (3321m alt.) s’ouvrant sur les Écrins.

Les fesses dans la neige, nous ne nous lassons pas de balayer du regard cet univers que nous avions tant aimé à l’automne.

Les descentes dans la poudreuse sont intenses. La neige est parfaite et chaque seconde de glisse est un regal de douceur dont nous sommes parmi les seuls à profiter. Quel bonheur.


Pour partager la chance que nous avons en pays queyrassin, nous recevons de la famille et des amis, trop contents de venir s’aérer la tête et respirer du bon air à nos côtés, engoncés dans de chauds vêtements.
Jean-Claude s’initie aux raquettes et nous rapporte de bonnes victuailles,



tandis que Serge nous enseigne comment fendre les bûches et cherche constamment à nous emmener plus haut.




Sylvain, Anders et Jenofa s’offrent des pâtes carbonara et le tour de St Véran pour finir l’année,

alors que nous remontons sur une luge pour 7km de descente avec Manon et Sjoerd de passage avec leur petit camion.




Ivan, Perrine et les enfants, arrivant dans la tempête, profitent d’une semaine de boules de neige,





et Jocelyne apprend à marcher avec des bâtons et fait du repérage pour ses prochaines vacances.






Un an après notre rencontre à Osaka, nous retrouvons même Valentine et Yohan pour une soirée improvisée.

De notre côté, nous sommes heureux de faire visiter ce petit paradis, de passer nos soirées au coin du poêle avec eux, de partager de bons fromages, de délicieux pâtés locaux et des tartines de confiture artisanale de mûres.








Nous passons Noël aussi bien que le jour de l’an très bien accompagnés, et avoir des amis à deux pas (ou seulement quelques kilomètres), est une vraie joie.
Nous sommes heureux d’être avec Anne-lise et Boris pour partager de bons moments de leurs vies, tout comme ils embellissent la nôtre de leur entrain et leur amitié.

Malgré son démarreur tout neuf, notre voiture peine à démarrer dans les températures sibériennes du Queyras. Les -12˚C le matin, ça ne lui convient pas. Ça tourne, ça tousse mais ça ne s’allume pas. Sans parler du nuage noir qui s’échappe de ses tressaillements et nous fait culpabiliser. Bon, on ira demain.
Ainsi, nous attendons que le soleil lui réchauffe bien le capot, et apprenons à la dompter. Mais aucun de nos départs n’est assuré, alors parfois, nous finissons en stop. C’est bien aussi.

Une fois par semaine, nous redescendons de la montagne pour rejoindre Guillestre, à quelques 23km et 40min de route plus bas pour y remplir notre frigo. Mais nos déplacements en voiture s’en trouvent limités, et tant mieux, cela nous contraint à explorer notre voisinage.

Nos sorties à pieds, en raquettes, en snowboard s’enchaînent avec toujours autant de plaisir, d’émerveillement, de poésie et de simplicité. Nous nous sentons vraiment bien ici, à notre place.


Nos petits-déjeuners se font face à ces montagnes, scrutant les é
ventuels passages des chamois par notre petite lucarne dans les combes du versant opposé, nous réjouissant des flocons tombés
dans la nuit et ayant recouvert le velux de notre chambre.


Nous ne nous lassons pas du bleu si pur du ciel, et approfondissons nos connaissances de la neige, plaques à vent, et dendrites stellaires.

Durant son séjour, Serge tente de nous enseigner le ski de fond (nous ne sommes pas remontés sur des skis depuis une vingtaine d’année…), et après 17km de galère et de mouvements maladroits et d’approximatifs, nous finissons sur les rotules.






L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais non!
Une fois nos adducteurs retrouvés, nous décidons de réitérer l’expérience, mais avec des bases plus solides cette fois-ci.
C’est ainsi qu’un début de janvier, nous retrouvons Paul et Chantal au départ du parcours d’Abriès, ski de
skating aux pieds, et prêts à en découdre avec ce pas de patineur.
Cours particulier pour chacun – quelle chance encore! – , nos instructeurs s’arment de patience et de discipline pour nous enseigner le bon mouvement, l’équilibre, et la fluidité de ce geste élancé.
Tac ! – Tac ! – Tac ! On garde la cadence.
Technicité et endurance, Marion se trouve un nouveau plaisir.

Une bonne occasion pour rejoindre à plusieurs reprises le village de Ceillac, renouveler l’expérience et peaufiner notre geste dans le magnifique plateau de skating qui s’étend étonnamment entre les montagnes abruptes. Et même sur du plat, ce sport est épuisant!


Nos balades en montagne sont toutes plus belles les unes que les autres. Nous ne nous lassons pas. Chaque sortie est propice à des dizaines de photos. Chaque arbre, talus, ombre, selon s’il a neigé ou pas, s’il a fait chaud, si le ciel est couvert, diffère de la veille.
Tout change constamment. Tout est beau.





Nous avons l’heureuse opportunité de retourner à Clapeyto, dans un paysage de carte postale isolé dans un cirque au pied d’Izoard. Le modeste chalet d’alpage de Bill nous protège du vent et du froid pour un chaleureux casse-croûte et vin chaud, avant de rentrer tout en glisse jusqu’à Brunissard.



Et nos quelques balades jusqu’au confins du Queyras et le refuge de la Blanche nous confortent dans notre bonheur. On se sent loin.
Lorsque la vallée se prend un coup de Sirocco qui recouvre d’une fine couche de sable
ocre les montagnes blanches, l’atmosphère s’emplit d’une lumière sépia, soulignant le caractère intemporel de la vallée et de ce village**.


Une fois encore, quelle chance nous avons de pouvoir passer ces quelques mois ici.

* Les Vaudois sont les chrétiens disciples du mouvement religieux contestataire fondé au XIIème siècle par Pierre Valdo sur un idéal de pauvreté avant de rejoindre la reforme protestante au XVIème siècle (à ne pas confondre avec les Vaudois du canton de Vaud dont l’étymologie germanique provient de wald, la forêt).
Comme les Huguenots, ils furent persécutés et poussés
à l’exil, si bien que l’on retrouve une diaspora queyrassine de Vaudois en Amérique latine.

** Les semaines suivantes, les chutes de neige vont recouvrir petit à petit la couche orangée de sable, mais à chacune de nos promenades, une couche aréneuse marbrée se dessine dans nos traces de pas et de raquettes, ou dans les rainures laissées par nos spatules.

9 thoughts on “Queyrament très blanc

  1. Trop content de revivre grâce à ce post les bons moments que j’ai pu passer avec vous et … les autres pour les fêtes de fin d’année. Au plaisir de vous retrouver au printemps. Bisous doux. Merci. ppf.

  2. Génial de se replonger à l’hiver précédent. Très instructif le lexique sur l’habitat local (en patois italien ?). Y’a une photo en plan resserré trop bien de Marion en train de rider. Le ski de fond, j’ai pas fait depuis près de 20 ans : faudrait que j’y pense (j’étais plus sur le ski de rando.).
    Par contre, quand vous dites que St Vérant est le village le plus haut d’Europe : vous faites quoi de Val Thorens (~2 300 m.) ? même si c’est une station construite de toute pièce et pas vraiment un village authentique

    1. Saint Véran est considéré comme le village le plus haut d’Europe, parce qu’il possède une église et une école à cette altitude là !

      Pour la langue locale, il s’agirait, de mémoire, de provençal.

  3. Coucou les amis !
    Mais c’est « kro magnifique » où vous étiez.
    En fait, on le savait. Mais le revoir après plus d’un an n’enlève rien au charme du plus haut village d’Europe ! Sachez le 🙂
    Dommage que la covid nous a empêché d’aller vous voir…on dira pas que c’est parce que Laura ne voulait pas avoir froid 😉

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