Bouddha et barbus

Départ depuis la chaotique gare de Chitral… et sans escorte.
Cela facilite les négociations, et en 3~4 minutes, nous trouvons le bon véhicule.
Marion est à l’avant et Brice est à l’arrière d’une petite voiture, avec une femme bouteille*, son mari, et leur enfant qui vomi tout le temps. Il faut préciser que ses parents le gavent de nimko (petits gâteaux secs fris, snack typique au Pakistan, certes très bons mais qui ne conviennent pas aux routes sinueuses de la région) et que la route pour redescendre dans les plaines du sud est très très très mauvaise.
Des virages dans les montagnes, des cols élevés… et beaucoup beaucoup de boue.

Au passage du col de Lowari, un checkpoint. Nous présentons une photocopie de nos passeports comme nous en avons l’habitude.
Les policiers semblent tiquer. On ne sait si ça ne leur plait pas de voir des étrangers se balader sans escorte, ou si c’est la procédure normale.
Dans tous les cas, après 20 minutes d’attente, notre petite auto se retrouve escortée par une jeep remplie de policiers en arme, ce qui, finalement, nous facilitera grandement la traversée des bourgades encombrées et disséminées dans la vallée.

Sur les 180 kilomètres nous reliant à Mingora, chef-lieu de la vallée de Swat, notre destination, ce sont dix patrouilles similaires qui se succèderont dans une organisation magistrale, dont même le défilé du 14 juillet serait jaloux.
Les policiers nous aident même à trouver un hôtel… avant de nous laisser, en plant.
Il n’y a pas besoin d’escorte dans la vallée de Swat. Très bien.

Il faut dire que la route longe les FATA, les Territoires Tribaux administrés par Islamabad… enfin, administrés… c’est justement pour cela que l’on a besoin d’escorte. Pendant longtemps, ces territoires difficilement contrôlés par l’état fédéral, étaient une vraie passoire avec l’Afghanistan des Talibans.

La région de Mingora, et plus en amont, du Kohistan, avait d’ailleurs été un temps sous l’emprise des Talibans, d’Al-Qaida et de son leader Osama Ben Laden. Toute la famille réunie.
Les gens dans la vallée de Swat ont beaucoup souffert de leur présence inquisitrice.
Et en plus d’imposer leurs idées à la population, ils ont aussi saccagé nombres de sites historiques éparpillés dans la région.
Depuis quelques années, les Talibans ont été chassés. La vie reprend comme auparavant.

Car la vallée de Swat, comme à plus grande échelle la plaine de Peshawar, regorge de monuments bouddhiques. Stupas, monastères, bouddhas… l’art de la civilisation Gandhara est la parfaite fusion des arts grec, parthe, romain, perse, indien et avec comme medium commun le Bouddhisme, installé pendant environ sept siècles.
En effet, l’Islam est arrivé dans la région assez tardivement, au XIème siècle.

Aussi, notre passage éclair par Mingora nous permet de visiter la très riche collection du musée de la ville et quelques ruines environnantes.


Malheureusement, la neige a déjà recouvert certains villages d’altitude, et malgré tout le bien dont nous avons entendu concernant les paysages de cette région, nous arrivons trop tard.
Il faudra revenir !

Après avoir trouvé le bon minivan dans une gare routière bondée, s’être plié en douze pour rentrer dans ce véhicule, avoir jouer à Tetris avec nos genoux et le coude du passager voisin, avoir intercalé une femme bouteille entre la fenêtre et Marion, nous partons en direction du village de Manglor pour une balade champêtre et historique.

Le chemin nous mène dans le fond de la vallée, longeant quelques cultures et villages, avant d’apercevoir, nous surplombant, un imposant rocher sur lequel un Bouddha est sculpté (dont le visage a été détruit aux passages des Talibans), et faisant face à la vallée de Swat.

Un habitant du mini village se joint à nous, nous offre quelques kakis puis nous raccompagne en contrebas. Sympa.


Mis à part l’OVNI urbain qu’est Islamabad, c’est notre première expérience citadine au Pakistan.
Ayant choisi de séjourner au cœur de la ville, nous comprenons le rythme de cette petite cité qui ne s’endort que peu après minuit. Dans la rue, des chariots de vendeurs de fruits, les bazars des étales, des restaurants à profusion, des rickshaws qui klaxonnent, des salons de chai débordants de chalands… et à chaque regard croisé, un grand sourire et un accueil généreux.
Il y a bien sûr, que des hommes et le peu de femmes que nous croisons sont très « fermées ».

En nous baladant dans les rues du petit village de Manglor, Azim Shah, médecin homéopathique, nous convit pour un chai (+ gros gâteau+nimko) et nous raconte la vie pendant les années de plomb dans la vallée de Swat. Sa famille comme de nombreux habitants Pachtounes ou d’autres communautés, ont été contraints de fuir la région pour ne pas subir la pression, les intimidations et la violence des intégristes.

Enfin, c’est aussi notre premier contact avec la culture Pachtoune. Ce peuple installé à la fois sur les territoires de l’Afghanistan et du Pakistan a une culture influente dans la région.
Sa capitale, Peshawar, est une ville historiquement très importante et sera notre prochaine destination.
Nous nous lançons pour un grand plongeon dans le chaos de cette ville!

 

‘*C’est ainsi qu’Anwar appelle les femmes en bukhqa.
À la différence du chador iranien, la bukhqa si, elle est monochrome, est souvent de couleur (ocre, brun, violet ou bleu clair voire blanc). Elle couvre intégralement le visage, et seulement une petite grille de tissu permet à son occupante de « voir » à travers.
La bukhqa est tenue par la tête sur laquelle elle semble être visée et donnant ainsi à la silhouette de la femme une forme de bouteille…
Et même si les femmes sont habillées de manière colorée en dessous, même si elles ont choisi de la porter, même si… Cette barrière de tissu entrave vraiment le partage. On ne peut ni se sourire, ni se regarder. On ne peut rien échanger. On ne devine rien. Elles disparaissent de notre champ de vision. Elles font partis du décor, comme la vitrine d’un magasin ou l’étal du marchand de fruit.
Cette distance, discrétion et absence est compliqué à comprendre…
Et ce sujet est vaste !

12 thoughts on “Bouddha et barbus

    1. C’est ce qu’on essaie de comprendre justement. Tous les signes que nous percevons ne vont pas uniquement dans le sens d’une oppression féminine par la gente masculine… On étudie ça de près !

  1. Subtilités dans les apports orientaux successifs ou conjugués dans les religions ou l’art religieux …
    Par contre les paysages paraissent moins spectaculaires que ceux que nous avons vus précédemment, amusant le petit champ parsemé de tapis verts

  2. je passe mon samedi matin à vous lire, et je me surprends à me sentir comme si j’y etais 🙂 merci ! je vous embrasse fort depuis Amsterdam, xxx

  3. sympa le ruisseau et l’antenne relai. ça change des posts précédents. Je laisse Zep parler du « médécin » homéopathe

    bisous les copains

  4. Maori : « ça doit être ennuyant de voir plein de femmes bouteilles »

    … pas facile la communication… et ça doit être dur de voir tout cela !!!!

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