Cha beauté

C’est un nouveau séjour qui commence à Padum.
Manon et Sjoerd reprennent la route vers Kargil après un copieux petit déjeuner offert par notre hôte, et nous démarrons cette journée tranquille sous un large ciel bleu.
Nous filons à travers la plaine de Zanskar, bien installés sur un de nos fidèles destriers.
Le village de Karsha se situe à une poignée de kilomètres de Padum.
Depuis notre arrivée ici, nous apercevons son monastère, accroché à flanc de montagne, face à la vallée.

Construit au Xème siècle, il accueille aujourd’hui plus de 140 moines. Ce serait le plus gros de la région.
Comme il est de coutume, il faut grimper à travers une succession de ruelles étroites parmi les moulins à prières, stupas et nombreuses maisonnettes blanchies pour rejoindre le monastère et ses temples.

Et aujourd’hui c’est justement journée maintenance.
Les plus vieux lama portent péniblement de lourds seaux de peinture diluée, alors que les « moineaux » munis de godets, appuyés sur le bord du toit et les fesses en l’air, déversent leur contenu le long du mur en de longues zébrures dégoulinantes. On comprend désormais pourquoi la base des constructions ainsi peintes portent les stigmates de flaques et taches blanches.


Nous visitons le temple et faisons le tour des environs,






puis redescendons au village pour reprendre la route pour quelques kilomètres le long de la Doda, sur la rive opposée à Padum.

La route n’est que peu empruntée, ce qui permet à la chaussée, dans un état moyen, de ne pas être pour autant inconfortable. D’autant que le paysage est très joli.



On profite pour dominer la confluence et prendre du recul sur Padum, et les montagnes grandioses en toile de fond. Le temps est magnifique aujourd’hui et nous pouvons contempler leurs glaciers et sommets enneigés.

De notre coté de la vallée, nous traversons une pente à l’aridité typique de la région. Les stupa croisés apportent une touche de blanc répondant à celle des nuages cotonneux dans ce paysages rocailleux.
Nous retrouvons une poignée hameaux, et leurs quelques maisons disséminées parmi des cultures vertes bordées de rangs de fleurs, paysages dont nous ne profitions plus sur les derniers kilomètres de la fatigante route nous ayant menés à Padum et dont les couleurs égaient ce morne tableau.

Après une dizaine de kilomètres, nous retraversons la rivière et empruntons le beau et confortable ruban d’asphalte qui nous ramène au village.

En fouillant un peu, et en discutant beaucoup avec les sympathiques Zanskarpa, nous décidons de prolonger notre séjour dans la région et d’aller explorer le monastère de Phuktal.
On comprend que les 50 kilomètres de route qui y mènent sont dans un état déplorable. Certains touristes nous racontent même que dans certains passages aréneux et caillouteux, nous aurions besoin de pousser la moto.

Bon. Ça ne semble pas non plus être une partie de plaisir, mais nous pouvons toujours tenter notre chance pour le lendemain et allons donc faire un tour à la pompe à essence pour préparer notre voyage.
Pas de chance, la pompe est à sec. Le camion – venant de Kargil – n’arrivera que le lendemain ou surlendemain. Si Bouddha veut.
Il nous faudra donc patienter un jour de plus, et donc nous relaxer avant ce difficile voyage.
C’est ce qu’on appelle une journée off. Peu d’activité, peu d’action, peu de mouvement. Re-pos.
Nos seuls déplacements se limitent à aller nous restaurer en ville, passer une dizaine de minutes sur internet et nous balader dans le pittoresque hameau voisin de notre hôtel de Pibiting et admirer, en fin de journée, la magnifique vue depuis son gompa.




Et finalement, nous repackons nos affaires, attachons le tout sur les motos, disons au revoir et à dans deux jours à Ninchet et nous quittons notre confortable hôtel pour Cha.

La route s’avère être de bonne facture, du moins les premiers kilomètres.
Au pire, on sait que nous pouvons toujours rebrousser chemin si un obstacle s’avère infranchissable.
Et nous avons bien cru que ce serait le cas au bout du neuvième kilomètre, quand dans un virage, la rivière coulant de la falaise forme alors une mare d’eau boueuse nous empêchant de quantifier ni le relief de son fond ni sa profondeur. Nous réfléchissons, nous hésitons. Au bout de quelques minutes arrive une auto qui, ni une ni deux, traverse la rivière, ce qui se trouve être plutôt aisé. Nous suivons donc ses traces et franchissons brillamment cet obstacle – les pieds aux secs. Nous continuons notre chemin pour arriver quelques encablures plus loin au pittoresque monastère de Bardan juché au sommet d’un piton dominant la boucle de la tumultueuse rivière.


Ici, comme sur de nombreuses sections de cette route, qui à -très long- terme rejoindra Manali, nous croisons de nombreux ouvriers bihari travaillant à la construction de cette voie. Ils n’ont pour seuls outils que des barres d’acier pour les déplacer les rochers de plusieurs tonnes et de lourdes masses et marteaux pour les briser en des milliers de petits cailloux.

À mesure que nous continuons notre avancée, la chaussée se rétrécie, la vallée aussi, et nous nous enfonçons dans des zones de plus en plus reculées.


Le long de la cinquantaine de kilomètres jusqu’à Cha, les quelques hameaux que nous croisons occupent le peu de surface plane que la nature permet.
Une poignée de maisons, au cœur d’un oasis de verdure, accrochée aux pentes des montagnes.

Le reste du temps, la chaussée n’est que creusée le long de falaises ou sur les versants abruptes dans un paysage rocailleux beau mais terriblement mélancolique.
Si la route, peu fréquentée, est globalement en assez bon état, il nous faut rester vigilants.
Son étroitesse et les pierres qui la jonchent pourrait nous faire sortir de la route et entrainer une chute vertigineuse au moindre manque de concentration.

Certaines zones inclinées (notamment une, très raide, à l’entrée du village d’Ichar), nous impose cependant de prendre de l’élan pour perdre le moins de vitesse et gravir ces pentes caillouteuses à fond de premier rapport.

En contrebas, la rivière Lungnak coule son flot gris et glacial qui n’égaie pas ce paysage austère.



Les derniers kilomètres sont difficiles. Nous arrivons sur les tronçons de route encore en construction ou soumis à de récents glissements de terrain. Des pierres « pas encore arrondies » par les Bihari nous font parfois rouler au pas, manquant de nous faire tomber, et la chaussée des dernières centaines de mètres menant au village de Cha n’est qu’une vingtaine de centimètres de sable, nous faisans dandiner de l’arrière-train et achevant de nous fatiguer.
Mais enfin, nous voilà arrivés à bon port.

Padum – Cha : 48km (02h54’) – done

Nous déposons les motos et nous nous dépoussiérons succinctement.
On prend le temps de souffler.
Un petit chai et nous voilà repartis.

Le monastère de Phuktal n’est accessible qu’à pieds, via un long sentier de quelques 8 kilomètres longeant la vallée de la Tsarap.
Après dix minutes d’une grimpette abrupte, nous rejoignons très vite un plateau désert où nous déjeunons frugalement nos paratha take-away et quelques fruits secs.

Dans un premier lieu, le chemin domine les méandres de la vallée et plus bas la rivière au flot puissant.




Mais sans que nous ne nous en rendions compte, le sentier descend jusqu’au niveau du fleuve, le tout dans un paysage de Grand Canyon américain.
La montagne a en effet pris de belles et intenses teintes rouge-orangée. Entre les deux parois, la rivière dessine son doux ruban gris.



Au détour d’un virage rocheux, nous apercevons quelques petites silhouettes aux manteaux bordeaux qui déboulent sur le sentier, sautant de pierre en pierre avant de s’aventurer sur un pont suspendu hasardeux aux drapeaux multicolores. Nous y sommes.


Accroché dans les interstices rocailleux de cette haute paroi, un monastère s’y est installé il y a 800 ans. Lovés à l’entrée d’une large cavité surmontée de cheminées de fée, lui et ses annexes surplombent la rivière et le plateau villageois, situé sur l’autre rive.


Alors que nous grimpons doucement en direction du monastère, nous observons notre environnement. Certes il est magistral et imposant, beau et grandiose, mais il émane une hostilité naturelle en dépit de laquelle ces moines ont tout de même décidé de poser leurs baluchons. Au XIIème siècle ! Il n’y avait pas de route, mais de simples chemins traversant vallées, plaines, cols et montagnes. Nous sommes au cœur de l’Himalaya, il neige huit mois par an. L’isolement est total, la dévotion maximale.

Nous prenons le temps de déambuler dans les venelles que la topographie et l’imbrication des maisons transforment en couloirs à l’abri du vent et de la lumière. D’épaisses poutres de bois soutiennent les murs et les plafonds, le tout recouvert de ce blanc de chaux.






D’étroits et raides escaliers mènent aux différentes maisons des moines, tandis que de plus vastes nous invitent à rejoindre les parties supérieures du monastère, et nous débouchons sur une large terrasse, « place du village » où quelques jeunes moines passent le temps.


Nous reprenons notre souffle et une fois encore, observons ce paysage incroyable.
En face de nous, des cultures verdoyantes et quelques autres habitations forment un semblant de village.
En contrebas, un moine est en pleine lecture, confortablement installé sur le toit de sa maison, un drapeau tibétain volant au vent. Ici aussi – tout comme à Tsong-Dey ou Karsha, les moines appartiennent à la secte des Gelugpa (les chapeaux jaunes) – celle du Dalaï Lama.

Nous poursuivons notre lente itinérance, et entrons dans la salle de lecture, dans laquelle de vieux livres de prières sont, comme c’est le cas dans chaque monastère, entreposés sur des étagères colorées.


Nous montons encore d’un étage et pénétrons dans une sombre cavité, richement décorée, où un moine est en train de reciter des mantra. Son moulin tourne, sa voix chantante recite d’un ton monocorde des paroles religieuses dans un rythme soutenu, accompagnée d’un tambour-hochet dans l’autre main.
Sans arrêter sa sempiternelle prière, il nous invite d’un signe de tête à nous assoir face à lui, dans la pénombre.
Nous nous imprégnons de cette litanie et de la solennité du moment.
De longues minutes passent.

Nous quittons paisiblement les lieux, et reprenons le chemin du retour.

On se rend compte que la pente douce mais constante du chemin aller, est une côte toute aussi constante, et les 350 mètres de dénivelé se font sentir. Et que même si les pigeons encore présents à 3900m alt. semblent heureux de jouer avec les courants d’air, nous manquons de notre côté, d’un peu d’oxygène.
Nous sommes désormais bien seuls avec notre souffle court et le temps menaçant.
Tout ceci conjugué à notre isolement soudain (la poignée de randonneurs dort au pied du monastère), rend le chemin du retour fastidieux.

Nous arrivons donc las et fatigués à Cha, où nous nous délectons d’une double ration de Maggi Noodles et d’un bon chai pour repas.
Ce soir encore, nous avons décidé de camper, plantant ainsi notre tente nazi un peu plus haut, en bordure du village, parmi les ruines de bergeries face aux imposantes montagnes du Zanskar.

Le temps se découvre et la nature prend des allures plus accueillante, et nous terminerons la soirée sous la voie lactée. Simplement.


Quelle incroyable journée.

Une fois notre barda harnaché sur les motos, le départ se fait difficile pour Marion. Le sable, les cailloux, les pentes abruptes et les falaises vertigineuses n’acceptant aucune erreur, ce n’est pas trop son truc au réveil.






Nous remontons la vallée et suivons le cours de la rivière Lungnak, traversant de nouveau les passages d’eau et les zones ensablées, que nous trouvons plus nombreuses qu’à l’aller.



Le retour se fait moins dans la précipitation, nous en profitons pour observer ce paysage minéral autrement, dans l’autre sens, découvrant de nouvelles merveilles géologiques, différentes couleurs et d’autres points de vue.





Nous prenons le temps de graver dans nos mémoires les paysages de cette vallée du bout du monde, de sa route impressionnante, des jolis petits villages qui la longent et de ses monastères suspendus.


La route nous apparait différemment. C’est un autre voyage que nous faisons.

Nous arrivons à Padum en poussière, et passons refaire un dernier plein à la pompe.

Cha – Padum : 54km (04h11’) – done

C’est une après-midi lessive qui se profile devant nous. Puis repos.
Demain, nous quittons la vallée de Zanskar, retour vers Kargil.

13 thoughts on “Cha beauté

  1. Etonnant ce monastère si isolé et les cultures verdoyantes qui l’entourent alors que le décor sur sa route est si lunaire (vous le qualifiez de minéral). Vous deviez être plus en altitude que d’habitude car vos photos ne reflètent souvent pas des paysages aussi rocailleux. C’est un des inconvénients des rando. en hauteur : la faune et la flore s’y font rare.
    Bravo Marion pour les passages de guets, de flaques géantes en moto (Brice, pour toi, c’est normal ;p)

  2. Oh la la.
    Mais elle est vraiment stratosphérique la photo du paysage prise en grand angle depuis le sommet du monastère de Pukthal…

  3. Coucou les amis,

    Quel beau cadeau que ce post pour mon anniversaire. Merci!

    La photo des moines sur le toit les fesses en l’air avec la montagne dernière est juste CHAN-MÉ ! comme on disait dans les années 90 …
    Et celle de la descente d’escalier blanche et bleue avec jeux d’ombre n’est pas mal non plus 🙂

    Respect le pont en brindilles… Tu passes pas dessus en Royal Enfield dessus c’est clair…

    Mais j’ai toujours la même question…
    Ils vivent de quoi les moines en hiver ?

    Bisous!

  4. Les couleurs des paysages sont magnifiques ! Ça donne envie d’y aller pour découvrir cette vallée reculée et ses habitants. Merci pour le récit, bisous à vous deux

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