En bourlingue à la ferme

On profite du taxi qui conduira Katja à Kara Balta pour qu’il nous dépose en chemin. La voiture prévue à 8h30 n’arrivera pas avant 9h30…mais on s’y attendait un peu. On part quelques jours dans la famille de Talant, le mari de la sœur de Katja.

Et on le retrouve en route dans une vieille Lada. On change de voiture, et on part s’enfoncer dans une autre vallée, pour rejoindre la ferme familiale.

On remonte la rivière Kara Kol (encore), dans une large vallée relativement aride, et peu encaissée. Et après une petite heure de piste cabossée à s’enfoncer vers le lointain, nous arrivons au milieu d’une plaine. Autour, des montagnes avec nous et … rien du tout ; comme d’hab’ !
DSCF4199Là se trouve la ferme familiale composée de 3 ou 4 maisons, d’étables, de bergeries…
Il y a des vaches, des chevaux, des brebis, des chèvres, des moutons, des béliers, des dindons, des poules, des chiens… et c’est tout. Tout autour, de hautes herbes, et en contrebas la rivière dont on entend légèrement le murmure quand ce n’est pas celui du vent qui court dans la vallée.
DSCF4055 DSCF4060 DSCF4005 DSCF4018DSCF1946 DSCF2038Les rares voitures qui passent sur la route sont accueillies par les aboiements, mais se sont plus souvent les cavaliers ou les chevaux sauvages qui en font les frais…

Nous enlevons nos chaussures, déposons nos sacs et hop, hospitalité kirghize : thé, bon pain et confiture. On papote un peu, on nous ressert du thé… et puis rapidement, la vie de la ferme reprend son cours.
DSCF4026Chacun vaque à ses occupations, et nous, un peu perdus au milieu de ces montagnes, observons.
DSCF4087 DSCF4090 DSCF4163 Stitched PanoramaOn va passer 3 jours, avec cette famille, communauté dans laquelle tout le monde vit ensemble.
La maison, c’est celle de Bıbıira et Kanat, les « grands-parents ».
DSCF4034Et ils ont 6 enfants (5 filles et un garçon, Talant).
Talant vit ici, mais on ne le verra finalement pas.
Il a 25 ans – 2 enfants – nous ne verrons qu’Acylbek – 2,5 ans, avec lequel nous jouerons beaucoup à construire des trucs, dessiner sur des cailloux. On le suivra et observera beaucoup, jouant avec les vaches et les chevaux. Il n’a pas peur de nous parler ce petit bonhomme, avant de nous lancer de grands sourires.
DSCF1973Il y a Jasgül, une des filles. Enceinte de 8 mois, ronde comme un ballon.
DSCF4048Elle et sa mère ne s’arrêtent jamais. Il faut aller chercher des sceaux de tourbes pour le feu, pas de problème. Laver le sol, s’asseoir, se relever, marcher, porter, faire la vaisselle… et cela sans répit. Non non, elles n’ont pas mal au dos… !

Et puis il y a Nurlan, le beau-fils qui habite ici aussi avec son père, Birtugan (mais sans sa femme qui travaille à la ville !). DSCF4165 DSCF4094Et puis tous les jours, ils viennent manger, regarder la télé… Enfin, on a bien cru comprendre qu’ils possèdent la petite maison en face, mais ils habitent là finalement (et puis leur maison semble ne servir qu’à faire sécher la viande).
On croisera aussi le père de la femme de Talant, l’ami du père, le fils de la sœur, le neveu de l’oncle,… et à chaque visite, on invite à boire le thé, partager du pain, de la confiture, du kaymak,…DSCF4321

Au milieu de tout ce beau monde, on découvre la vie à la ferme.
DSCF1965DSCF1996 IMG_4387 DSCF4076 IMG_4380 IMG_4386Les quelques vaches du cheptel débarquent de nulle part sous les mugissements de leurs petits dans les écuries, et Bıbıira doit alors s’occuper de traire leur lait qu’on boira ensuite ou qui servira à la fabrication du beurre ou du kaymak (le lait, dans un coin du poêle, cuit pendant 12h pour en extraire le gras, que l’on mange ensuite avec du pain… mais ce n’est pas la crème).DSCF4072Tous les deux soirs, elle se lance dans la fabrication du pain, qui étuve dans la nuit et qu’elle cuit au four le lendemain après-midi.
IMG_4376 DSCF2003Tous les jours, il faut aller chercher l’eau à la rivière, quelques 200 litres d’eau qu’on transporte sur la carriole… qu’il faut atteler au cheval.
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Et puis il y a les plus de 400 moutons et chèvres.
Tous les jours, les hommes partent à cheval emmener tous ces animaux dans les pâturages (la dizaine de béliers et boucs – qui puent ! – de leur côté pour ne pas incommoder ces dames), sur les plateaux qui surplombent la vallée ; magnifique étendue déserte où, au loin, les montagnes noires du bassin de Suusamyr accrochent les nuages. La vie monotone de ces cow-boys solitaires.
DSCF4139 DSCF4189 DSCF4182 DSCF4171 DSCF4179 IMG_4461Un jour, il a fallu séparer quelques centaines de bêtes. Les jeunes hommes doivent alors leur courir après dans l’enclos et les choper par une patte pour les mettre à l’écart.
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Et les femmes, quand elles ne préparent pas le repas, font tout le temps chauffer du thé, du thé au lait, ou préparent du choro, boisson faite avec du blé écrasé et bouilli.
C’est la version artisanale de celle goûtée à Bishkek… que l’on aimera tout aussi peu… mais Brice – à qui l’on en a servi un bon grand bol – se sentira obligé de terminer. Beurk !
Et puis trois-quatre fois par jour, c’est thé/confiture/kaymak ; pour le petit-déjeuner, mais aussi quand un ami passe avec la moissonneuse batteuse, ou quand c’est celui qui vient dire bonjour, ou celui qui rapporte les chevaux… et à la fin amin.
DSCF1923On regoûte le kymyz (parce que c’est le lait de leurs juments…alors, ils sont fiers !), On savait déjà qu’on n’aimait pas, mais on n’a pas le droit de refuser. C’est stocké depuis une bonne paire de mois sous le plancher ; et ça pique fort… Et encore un grand bol pour Brice. Beurk !
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Et toute la journée, les DVD d’un soap opera indien doublé en russe à la va-vite (КАК НАЗВАТЬ ЭТА ЛЮБОВЬ?) passe à la télé. Au programme : amour impossible, tensions sexuelles jamais explicites, ralentis mièvres… On pense avoir compris mais pas tout à fait ! Néanmoins, la musique nous est bien rentrée dans la tête, et nous sommes bien rentrés dans la série aussi, malgré nous.
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Les femmes font leurs tâches ménagères, la télé en fond, on dîne devant « en-famille », et le soir, on y a droit parfois toute la nuit. Marrant de voir ces cowboys un peu rustres et bourrus s’attendrir ou rigoler devant ce feuilleton un peu con.
Jasgül ne se prend pas la tête sur ce qui doit être bon à manger pour une femme enceinte. De toute manière, le régime alimentaire à la ferme n’est pas bien varié : on a des patates, des oignons, du mouton (surtout du gras – heureusement que le mouton a un gros croupion !), alors on décline. Déclinaison aussi de tous les produits du lait : kaymak donc, mais aussi lait frais et beurre maison qui traîne sur la table toute la journée mais n’en perd pas pour autant sa saveur. De toute manière depuis que nous avons quitté Bishkek, aucun de nos hôtes n’a de frigo et ça ne semble pas poser de soucis.

Un jour, Nurlan revient un blaireau à la main. Il le dépèce (la fourrure sera vendue), et les « restes » (entrailles, membres, tête…) traînent dans le jardin. Normal…

Et puis on s’habitue à tout ça, on trouve cela normal et, en tout cas, pas si bête.

À notre arrivée, Acylbek – 2,5 ans – avait un petit couteau pointu à la main, qu’il baladait partout avec lui, quand il escaladait la table et sautait autour de nous. Étions-nous les seuls à avoir conscience de cet aberrant danger ?… Puis finalement, pourquoi pas…
Acylbek utilise un gros marteau pour casser des noix (marteau qu’il manie avec une dextérité étonnante pour son âge !). Normal…
Il joue avec une hache. Normal…
DSCF4030 DSCF1982 DSCF2005Il va chercher un outil pour jouer seul dans la cour à planter des bouts de bois et à construire une maison (assisté par Brice pour la mise en œuvre)…
Il sait à quoi servent ces outils, et il sait s’en servir.
Avec notre arrivée débarquent aussi plein de trucs « nouveaux » n’appartenant pas à son quotidien : des crayons, stylos, carnets, ordinateur et puis nos affaires… il est curieux – de par son éducation – mais il suffit de lui dire « non » une fois pour qu’il s’en détourne.
Acylbek a les pieds, le bas du collant, les doigts… qui traînent dans la terre, le crottin, la bouse, la fiente… ce mélange si typique des fermes et que nous n’hésitons plus à fouler puisque c’est comme ça (même si souvent on aurait bien voulu des bottes en caoutchouc !).
DSCF4099Il a le visage et les mains sales toute la journée, met ses doigts dans la bouche, son chocolat est à moitié léché par le chien, il a le nez qui coule en permanence… mais pendant qu’il fabrique de bons anticorps, il joue à chasser des vaches faisant 20 fois son poids, il court dans l’enclos des moutons, et donne des coups de marteau aux chiens… Il n’aura peur de rien, vit sa petite vie dans son coin dehors sans que personne ne le surveille, sans que personne ne s’inquiète quand il crie et à 6 ans il saura monter à cheval. Quelle liberté il a. Quelle autonomie. Quelle simplicité.IMG_4397Et nous, on observe. Étonnés. Ça nous questionne sur l’éducation des enfants chez nous.
Et on réfléchit : est-ce qu’on s’en rappellera ? est-ce qu’on osera ?

On s’habitue à l’absence de douche, et ce depuis 5 jours*. De toute façon, personne n’est lavé quotidiennement ici…
On s’habitue au trou au fond du « jardin » en guise de toilette, et même au milieu de la nuit, avec la lampe de poche qu’il ne faut pas faire tomber…
On s’habitue à dormir par terre, sur diverses épaisseurs de matelas et sous une lourde couette, pas loin du poêle, et à vivre en colocation avec moult mouches.
On s’habitue au baisse de tension électrique à chaque ampoule qu’on allume et même à l’absence d’électricité (un soir, à 19h30, coupure… donc à 20h, tout le monde est au lit !). Normal…
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C’est un bon retour aux essentiels, aux choses simples et primaires.
On comprend le « bon sens paysan ».
On est loin.
Stitched PanoramaDurant ces quelques jours, nous nous sommes sentis bien, légers et en harmonie avec notre environnement… même si, on l’avoue, nous avons été contents de retrouver un peu de confort moderne par la suite.
Ça nous questionne beaucoup sur notre façon de vivre, de consommer, sur la notion de plaisir, d’indispensable, de superflu et de besoin.
Ce passage par les montagnes kirghizes est une jolie expérience de vie.
On en a appris des choses, et nous en sommes ressortis la tête pleine de réflexions sur nos modes de vie, l’éducation des enfants et ce que « notre société » aurait perdu…
Et ça fait du bien.

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Simple.
Si simple.

 

  • Jour du bain. Dans une petite pièce cachée de la maison, Bıbıira met de l’eau à chauffer dans la chaudière. Bien sûr, auparavant, il faut aller chercher quelques centaines de litres d’eau en plus à la rivière…
    Une heure plus tard, l’eau bout. La pièce se transforme en sauna.
    On a des sceaux d’eau froide, et un tuyau sort de la chaudière pour récupérer l’eau bouillante, et un sceau vide pour faire de l’eau tiède. Et à nous les grandes eaux, la mousse, la brosse !
    Mais, alors qu’on profitera de cette bonne douche, personne d’autres n’ira se laver… On s’est dit que c’était pas « jour du bain » pour tout le monde…
    …mais nous serons contents d’être tout propre!
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21 thoughts on “En bourlingue à la ferme

  1. j’ai pas bien suivi l’intrigue de la série télé, vous nous raconterez, enfin l’essentiel…
    l’essentiel, c’est ça qui sort des images, de la vie si simple, si « quotidienne » sans doute aussi un peu, ah, la bonne douche, c’est déjà trop …?

    j’espère que Brice saura nous retrouver ce goût inimitable du lait de jument caillé, rien que de l’écrire ça met le coeur en fête, euh à l’envers plutôt

    et comme d’hab, comme si on pouvait s’y habituer, ces paysages magnifiques, qu’on prend en photo 20000 fois comme si c’était la première, comme si c’était la dernière
    (ouah c’est beau d’écrire ça…)
    toutes pareilles, toutes différentes

    je vous aime
    évouzétoula

  2. Que vous êtes beaux, Brice tu es vraiment courageux de boire à chaque fois ce lait fermenté, c’est le summum de la « courtoisie » maman serait fière de toi, je ne sais pas comment tu fais, tu es vraiment sympa, et si c’est le deal pour vivre de si bons moments ça vaut vraiment le coup, en tous les cas que ce post est beau doux et que les gens sont beaux aussi et ce petit garçon à l’air bien bien mignon, déjà sa personnalité et sa petite vie tranquille, il est complètement en harmonie avec son environnement. Le petit prince des steppes arides.

    Belle continuation les chéris.

    Elo

    1. Quel beau reportage digne du meilleur documentaire. Voyager pour pas un rond sans lait de jument …le pied
      Vous êtes magnifique dans tous les sens du terme
      Je vous aime

  3. Vous êtes toujours très beaux (surtout Marion bien entendu), mais pas tout à fait autant que ce ciel (ces cieux ?). C’est dingue comme en lisant ce post je me rends compte à quel point je ne regarde jamais le ciel et à quel point notre horizon est ferme dans les villes.
    Vous parlez comment avec eux ? Je doute que le Français soit très répandu…
    L’éducation des enfants, si vous voulez mon avis (m’en fous je le donne quand même), n’est qu’au maximum à 50% sous ton contrôle. Le reste, c’est l’environnement dans lequel tu es (J’aimerai bien voir ton petit Acylbek face à un double decker de Londres.), les amis de l’école, les profs, les vaches de la ferme, les traditions du pays, la télé, etc. Alors certes, tu as un certain contrôle là-dessus, tu peux éteindre la télé, changer ton enfant d’école, dire à la vache de la fermer etc., mais au final, notre influence est assez limite. J’aimerai bien voir ton petit Acylbek face à un double decker de Londres.

    1. Acylbek face à un double decker de Londres? Bah il prendrait ses outils et en ferait 2 simple decker. Et il mettrait le volant à gauche.
      Je crois que je viens d’avoir une révélation: Chuck Norris est Kirghize !

  4. Quel beau post!
    Et quels paysages!

    Pour moi l’essentiel est d’être avec des gens qu’on aime, le reste est superflu. Et l’éducation des enfants … et bien on fait comme on peut et surtout comme on le sent !

    Je vous bisoute tout fort

  5. ah notre société…
    Ca fait du bien parfois de voir autre chose. Ca nous remets en tête les vrais besoin des humains.

    J’ai une question.
    Ont ils des déchets non biodégradables (type packaging ou autre).
    Qu’en font ils ?

    1. Ils ont très peu de packaging… Ils n’achètent rien… Des sacs de sucre ou de farine de 25kg ou des filets d’oignons et de pommes de terre.
      Sinon, on voit bien ça et là une ou deux bouteilles en plastique dans la cour, et quelques bouteilles en verre (vodka, ou calvados « pure grappe liqueur » !!)

  6. pfff la question starac!!!!

    j ai une question: ont ils une station d epuration ainsi que des cellules photovoltaiques?? merci d avance 🙂

  7. Enfin n’oublions pas quand même, avant de se dire que vivre en harmonie avec la nature est la voie à suivre, qu’une grande partie du voyage est payée par l’argent du pétrole 😉

  8. Ça faisait un petit moment que j’avais pas lu votre blog ! Et j’ai toujours autant de plaisirs a le lire, surtout cet page que j’ai particulièrement aimé !! Et comme vous ça fait réfléchir et je me pose des questions !
    Merci les amis !!
    Allez une dernière page et je vais bosser
    Je sais pas où vous êtes, mais bonne journée 😉

Ça vous inspire?