C’est d’la Bombaybé

Pour nos amis, la semaine reprend son cours.
Alors que Michael part bosser, Johana emmène Marcus à l’école.
Pour nous, c’est sommeil profond et calme réve\nil au 25ème étage.
Autant dire que nous mettons du temps à décoller.
D’autant qu’une fois de retour à la maison, nous passons nos matinées à longuement papoter avec Johana.
Deux fois par semaine, elle rejoint son court d’hindi. Pratique pour acheter des fruits, discuter rapidement avec les papys des taxis, ou le serveur du resto’ pârsi.

Des Pârsi ? comme les Perses ? En Inde ?
Nous n’en avions jamais vu, ou plus certainement pas prêté attention lors de nos premiers séjours en Inde.
Mais en déambulant dans les rues de Bombay, il n’est finalement pas rare de reconnaitre le Faravahar, symbole du zoroastrisme et représentation traditionnelle du dieu Ahura Mazda sur les devantures de certains bâtiments.

Alors que l’Islam s’imposait en Iran, les Perses ont fui les persécutions et ont été nombreux à s’installer à Bombay où ils continuèrent de pratiquer leur religion. Nous rencontrons plusieurs temples zoroastriens, mais les édifices de Bombay sont interdits à la visite (pour ne pas faire preuve de prosélytisme dans un pays qui les a accueillis). La ville possède aussi des tours du silence (dhakma) (elles aussi interdites aux païens). Plutôt que d’inhumer leurs défunts, les Zoroastriens laissent les corps de décomposer au soleil, accompagné parfois de l’aide des vautours pour accélérer le processus (ce qui n’est pas sans nous rappeler ce qui se fait au Tibet).

Dans ses recherches, Johana a ainsi noté que Bombay possède de nombreux cafés pârsi.

Notre curiosité étant à son paroxysme, nous partons à leur découverte.
Entre quatre murs vétustes, tables en contreplaqué, banquettes dures et chaleur étouffante soufflée par un poussiéreux ventilo’ au plafond, nous profitons de ces cafés d’un autre temps, pour nous délecter de lourdes tartes aux pommes, berry pulao, gâteaux gras et thé trop sucré.

Mr. Boman Kohinoor, 97ans, le gérant du Britannia & Co, partage un peu de son temps et de sa célébrité avec nous, tandis que l’on rapporte à la maison, des restes du Yazdani.

Afin de parfaire notre visite des sites religieux, nous partons – enfin ! – visiter le mausolée d’Haji Ali.

La légende raconte que le saint homme sufi serait mort lors du pèlerinage à la Mecque, et que son cercueil serait miraculeusement venu s’échouer sur ces hauts fonds, poussé par les flots.
Le tombeau ne se visite qu’à marée basse, et autant dire que la marée basse indienne est plutôt malodorante.
La chaussée qui mène au site est bordée d’échoppes de souvenirs et de mendiants, tous plus écloppés les uns que les autres.

Le tombeau, recouvert d’une multitude de tissus verts et or ne nous émeut que peu, mais en cette période de Ramadan, il est intéressant de voir le nombre de personnes, dévots ou païens, venir visiter le lieu ou tremper leurs pieds dans l’eau – toxique – de la Baie de Bombay.
Il fait chaud, et nous ne nous attardons pas.
Les estropiés, les eaux boueuses et la chaleur atteignent notre moral… et nous rentrons à la maison, après un passage salutaire au bobo Café Zoé. Contraste contraste.

Nous prenons tout de même, beaucoup de plaisir à déambuler dans les rues ombragées aux trottoirs aléatoires et façades décaties ; Bombay n’en demeure pas moins une ville tentaculaire de plus de 20 millions d’habitants. Autant dire que ça fait du monde.
Mais petit à petit, nous prenons nos repères dans ce tumulte indien. Nous nous installons dans le rythme trépidant, le bruit et la promiscuité inhérente à l’Inde.
Bon-en mal-en, nous nous acclimatons et sommes agréablement surpris par ce que la ville nous offre.

Notre découverte de Bombay se déploie de jour en jour. Nous comprenons mieux la ville. C’est tellement loin de ce que nous connaissions de l’Inde.
Nous commençons à prendre des habitudes, que ce soit pour le train qui nous fait traverser la ville, la symphonie des klaxons que nous apprenons à oublier, et le ballet des véhicules que nous tentons d’anticiper, les trous dans les trottoirs que nous évitons, les vendeurs de pav ou samosa que nous repérons.

Alors que Michael travaille, nous nous joignons à Johana. Elle maîtrise la carte et nous guide parfaitement.
Ça nous fait des vacances !

Et que serait Bombay sans ses dabbawala* !

Nous nous retrouvons en fin de matinée à la gare de Churchgate, et après avoir beaucoup tourné en rond, apparait soudainement une tripoté de ces bons hommes, un topi (le couvre-chef de Gandhi) sur la tête, et dans de longs plateaux en équilibre ou en bandoulière, ces petits cylindres en inox remplis des plats mijotés par des matrones mumbaikars.

Tous se rassemblent au dehors de la gare, et trient ces sacs, en fonction des quartiers, rues ou immeubles. Les lunch box sont rangées à même le sol, attendant que chaque porteurs les chargent sur leur vélo. Nous observons les wala se préparer et attacher minutieusement chaque lunch box avant de partir la délivrer au bon étage, au bon bureau, et à la bonne personne.
Et ce, 5 ou 6 jours par semaine, sans aucune erreur. En Inde !
C’est magique.

Quelques photos et croquis plus tard, nous poursuivons notre balade dans le quartier mitoyen de Fort, situé non loin de la gare de Chhatrapati Shivaji Terminus, autrefois appelé Victoria Terminus – ce qui était beaucoup plus simple à prononcer.

Cette gare, classée au Patrimoine Mondial de l’Unesco est grandiose. Par son architecture, son style et son trafic de passagers surchargé, elle s’impose de sa façade élancée et travaillée.

Nous errons dans les ruelles du quartier, entre marchands de fruits et légumes, boutique de tapis kashmiri, réparateurs en tout genre…

Quand soudain… On distingue une vache dans l’encadrure d’une porte.
Pourtant ce bâtiment semble être un temple hindou. Et ceci est confirmé lorsqu’un vieil homme nous apprend que cet étonnant temple gujarati est dédié à Shiva.

En Inde, chaque coin de rues est propice à un émerveillement, une surprise ou même un simple questionnement : la minuscule boutique coincée entre deux immeubles, le vendeur de bétel assis en tailleur sur son étal pas plus gros qu’un placard, la moto qui livre le lait frais, le rémouleur sur son vélo, ou le coiffeur vaguement installé sous les escaliers de la gare… Nous observons tout.
Et quand le moral va, on ne contemple qu’étonnement et agréables surprises, couleurs et chaleureux sourires.

Mais quand le moral est au plus bas, que le bruit nous assomme, que les odeurs nous incommodent, on ne voit plus que les rats, les odeurs nauséabondes et les immondices. Il nous faut alors slalomer en file indienne dans les rues surchargées, évitant cloaques d’ordures, mendiants et motos dans un barouf tonitruant à rendre malade. Et sans le voir arriver, la moutarde – ou le masala ? – nous monte au nez. Là, on ne fait plus que subir. Difficilement.

L’Inde est souvent ainsi, elle se vit jusqu’aux tripes, elle est extrême. Dans sa société comme dans le ressenti qu’elle procure.

Aujourd’hui tout va bien : un papy nous invective et après trois phrases de courtoisie, nous invite à lui rendre visite dans sa maison de Varanasi, avant de nous saluer et nous souhaiter un bon séjour en Inde, tandis que quelques mètres plus loin, trois mamies en sari dodelinent timidement à la vue de Brice : il drague !

Et puis, il y a toujours un petit café pârsi pour se requinquer !
Et s’il fait trop chaud, on s’arrête dans une librairie climatisée ou boutique de papiers délicats ou de vêtements aux motifs colorés. On boit un jus de canne à sucre, et un lassi bien frais avant de reprendre la route.
Et en dernier recours, on saute dans un taxi au ciel de toit bariolé, qui nous translate dans notre confortable nid.

Quand on disait dans l’article précédent que plus qu’ailleurs, il est nécessaire de s’octroyer du confort en Inde…
Et nous le trouvons au 25ème étage de notre ToWOWer, petit havre de paix où il fait bon se siffler quelques bières fraiches entre amis au soleil couchant, une fois Marcus au lit.

Johana et Michael sont étonnamment sachants et nous nous plaisons à discuter de tout, digressant jusqu’à tard dans la nuit.

Dernier week-end tous les cinq.
Nos guides nous emmènent dans le quartier de Bandra, aux délicieux aspects de gros bourg.
Ici pas de tour, pas d’autoroute, ni de circulation bruyante et chaotique. Ce ne sont qu’une succession de rues presque tranquilles, des maisons ou immeubles de quelques étages dans un cadre vert et fleuri.

C’est aussi ici que se trouvent nombres d’expatriés, de stars de cinéma et les commerces de bouches.

Les copains partagent de bons canons, nous invitent au resto’. Ensemble, nous savourons de délicieux thali** à nous exploser la panse, et sortons danser sur les derniers airs de Bollywood.

Après une bonne dizaine de jours à nous rouler dans la soie et vivre dans le luxe d’une maison wow, nous reprenons notre route.
Mais, blague à part, qu’il est bon de retrouver ses amis.
L’expatriation, quelle qu’en soit sa forme (et son confort), nous isole tous.
Si, personnellement, nous ne regrettons que rarement vins, fromages, ou mets français – notamment quand nous sommes en voyage ; on peut généraliser en disant que ce sont les moments passés en famille ou entre amis, la connivence, les rigolades, les fêtes, qui font défaut et qui manquent cruellement.

Johana, Michael et Marcus, merci encore pour votre accueil.
On reviendra!

Départ au point du jour pour la gare de Dadar. Ce quartier est connu pour son marché de gros en légumes, en fleurs, et poissons. L’activité matinale n’est pas à démordre, et alors que nous sortons à peine de notre léthargie, attendant que notre train soit mis à quai, des porte-faix s’engouffrent dans les trains urbains pour distribuer victuailles et fleurs aux quatre coins de la ville. Les longues listes placardées sur les quais nous confirment notre numéro de places pour les 8 heures de trains suivantes – en 2nde classe Général.

On repend les nos habitudes…
En route pour Aurangabad, quelques 350 kilomètres à l’intérieur du Maharashtra.

 

 

‘* Le dabbawala (de dabba, boîte et wala, celui qui fait), ou encore tiffinwala (de tiffin, argot anglais pour lunch), est un livreur de repas.
C’est ceux-ci même qui étaient les personnages secondaires du film LunchBox qui les à fait passer à la postérité.

** Le thali en un assortiment de mets variés servis dans de petits bols, disposés sur une grande assiette ronde en métal. Il permet de goûter une multitude de préparations, le tout en petites portions, et resservies à volonté. Il se compose généralement de riz, de pain (chapati et/ou puri), d’une importante combinaison végétarienne (le plus souvent), mais aussi de chutneys et se termine par un dessert sucré pour couronner le tout.

9 thoughts on “C’est d’la Bombaybé

  1. Ils ont la classe les serveurs dans le 1er bar (ou salon de thé). Et que dire de la gare : majestueuse. C’est impressionnant. Bonne reprise de bourlingue après cette étape à Bombay

  2. Exactement, la connivence!!!

    Merci les amis des fruits sculpes, des constructions d’etageres, des salades de tomates et des defenses cyniques…

    C’etait completement revigorant/interessant/rejouissant de vous avoir a la maison…

    C’etait une infinie conversation… on la reprend vite!

    Love.

  3. Hola amigos !

    Il a trop la classe Boman !
    Pour quelles raisons il a pu rencontrer le prince Will ?
    Même pas vous mettez un petit Astérix pour expliquer…ou alors…haaaaannn vs savez paaaas

    Pourquoi vs dites que c’est loin de ce que vs connaissiez de l’Inde?J’imagine bien que c’est une discussion infinie, mais en quelques mots j’aimerais bien savoir.

    Que de questions… Je finis donc sur une ptite blague de circonstance : un pti café parsi, un pti café par là 🙂

    I’m out

    Un abrazo

  4. « café parsi café parla » 😉

    Maori : « ça ne donne pas trop envie de se baigner en marrée basse … et même en marée haute ! »

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