Moto, Photos, Momos, Dodo (Partie 1)

Préambule :
Ce que l’on sait : le nombre de kilomètres pour rejoindre Rangdum, puis Padum, des rivières à passer et une route que l’on qualifierait plutôt de piste, la présence d’un ou deux hôtels à Rangdum, pas d’essence pendant les prochains 500 kilomètres.
Ce que l’on ne sait pas : la vitesse à laquelle on pourra rouler, la qualité de la piste, la quantité d’eau dans les rivières due à la fonte des neiges, la fiabilité des motos sur ces routes, la possibilité de croiser d’autres véhicules « au cas où ».

Vallée de Zanskar, c’est parti !
Il est 7h30 quand nous quittons le joli village de Lankerchey.
Sous les rayons de soleil matinaux, la large et fertile vallée de Suru, flanquée de ses intimidantes montagnes abruptes, nous offre ses plus belles couleurs.
Les champs sont verdoyants et fleuris, le ciel est uniformément bleu, oiseaux et insectes chantent et s’agitent.

Nous sommes seuls à arpenter le long ruban noir de la chaussée.

Nous avions compris qu’aux proches abords de la route principale se trouve le Bouddha de Kartse, preuve que la région n’a pas toujours été musulmane et plutôt un lieu de brassage des civilisations.
Après une poignée de kilomètres, nous quittons la route principale, et nous enfonçons sur un chemin caillouteux traversant quelques villages endormis.
Nous peinons à trouver la statue sacrée, mais avec l’aide de quelques enfants désireux de nous montrer le chemin le long d’un aqueduc ombragé, nous la rencontrons enfin.
Sculpté à flanc de montagne, ce Bouddha de sept mètres de haut, date du VIème s. et semble veiller sur la verte vallée qui lui fait face.
Une fois de plus, les routes migratoires et commerciales ont eu comme conséquence secondaire des échanges religieux qui ont façonné l’histoire et les diversités culturelles de ces régions.
Nous quittons progressivement l’Islam… et entrons chez les bouddhistes tibétains.

Ce détour n’aurait dû être que de quelques minutes, mais les conditions de la piste ont entamé le moral et l’endurance de Marion.

Heureusement, nous retrouvons la route principale toujours quasi déserte, et nous prenons plaisir à dérouler les kilomètres sur cette chaussée au doux bitume. On se plait à imaginer que si la route est aussi bonne jusqu’à Padum, ça serait top. On papote dans nos casques, nous faisons de fréquente pause photos des grandes étendues vertes de la vallée, ou des pittoresques villages lovés dans les boucles de la Suru.

En toile de fond, le mont Nun (7135m alt.) dresse son sommet enneigé, comme une porte vers des paysages d’altitude. C’est par là-bas que nous allons.

Rapidement, nous arrivons au checkpoint de Panikhar.
Quand nous demandons à l’officier des informations sur la qualité de la chaussée pour Padum, celui-ci se met à sautiller sur place, mimant les trépidations de la route, se dandine et ondule sa main en tous sens tel un serpent…
On pense avoir compris : ce voyage ne va pas être smooth.
Nous répondons aux multiples questions que son registre requiert, saluons ce gentil officier et remontons sur nos destriers, prêt à en découdre avec cette fameuse route.

Une rivière enjambée d’un pont et quelques kilomètres plus tard, l’asphalte disparait bel et bien.
Adieu confort fessier !
Nous nous élançons sur une route au gravier régulier, légèrement sableuse, parfois un peu boueuse, mais relativement rapide… avant de réaliser que nous ne sommes peut-être pas du bon côté de la rivière.

Une large piste, plate et rapide : « Mais si, ça ne peut qu’être ça ! »
Jusqu’à ce que nous arrivions à un difficile passage accidenté et escarpé…
« Non non, on a dû se tromper, regarde, c’est de l’autre côté ! »
On fait alors demi-tour, traversons la rivière, empruntons un raccourci sur une piste défoncée, vers un petit pont. On remonte vers ce qui est indiqué sur le plan comme la highway tout en longeant un joli village désert qui surplombe la rivière.

Cailloux, virages serrés, côte, et chute  – à l’arrêt – de Marion.
Petite pause pour remonter le moral tant bien que mal.
Rangdum nous semble encore loin et la vallée de Zanskar inaccessible.
Nous accrochons la « bonne route », qui est finalement en pire état que la « mauvaise », (on découvrira plus tard que cette dernière s’avérait en fait être la bonne). Mais entre temps, notre moral a pris un sérieux coup.
Ça commence bien !
Bon… nous prenons conscience de la voie que nous sommes en train d’emprunter et nous allons de l’avant.
Nos bras trépident, les fourches des motos claquent sur leur butées (notamment celle de Marion qui fuit à tout va) nous imposant de réduire la vitesse, nos fessiers sautillent sur les selles néanmoins confortables et nos genoux absorbent les vibrations.

L’étroite route accidentée surplombe la rivière d’un à-pic. En face de nous le joli village que la (nouvelle) route principale nous aurait fait rejoindre.
Heureusement, le paysage est magnifique.
Sur les bords de la route, des plantes aux tiges épineuses se sont habituées à l’aridité des sols et à l’hostilité, tout en développant de magnifiques fleurs roses qui égaient notre chemin.
Nous rejoignons finalement la route qui s’améliore légèrement à mesure qu’elle rejoint le lit de la rivière.
Et sous les flancs des montagnes, de petits villages entourés de vertes cultures en terrasses s’étalent sur toutes les parties horizontales que ce paysage montagneux peut offrir.

Suivant les murets de cailloux précautionneusement empilés, nous traversons l’ultime micro-village de la vallée, aux façades décaties, et laissons dernière nous la dernière mosquée.

Midi approche quand soudain, un buibui salutaire apparait.
Installé au pied du glacier Parkachik, et avec en fond les monts Kun et Nun qui nous narguent de leurs immaculés sommets, nous nous posons pour un salvateur chai, omelate, rice et chapati en terrasse (il faut savoir restreindre ses choix dans ces zones reculées).

Nous rencontrons un groupe d’Indiens du Karnataka (Sud de l’Inde), en route pour un road trip – en vitesse. Ils sont une vingtaine, sur tout type de bécanes, souvent à deux. Nous remarquerons que l’un d’entre eux est même en scooter. Ce dernier deviendra alors la caution de Marion : « S’il le fait en scooter, je peux le faire en Royal Enfield ! Go ! »

Les secousses reprennent directement après le contact remis.
Pas de répit pour la digestion.
Nous contournons la large langue du glacier, qui une fois encore, semble avoir bien perdu de sa taille « initiale » tant les moraines sur lesquelles il venait s’appuyer sont sèches.

La route descend jusqu’aux berges de la rivière Suru avant de prendre de nouveau de la hauteur évoluant à flanc de montagne.
Nous nous enfonçons dans cette vallée dans des paysages inhabités.
Nos sentiments se mélangent. Excitation et émerveillement, angoisse et appréhension de ce désert humain.

Les ruisseaux glissent des sommets enneigés, et les premiers passages d’eau croisent notre chemin. Concentration maximale pour Marion. Brice prend le lead. On observe le meilleur passage, là où les cailloux semblent les plus plats ou gentiment arrondis, là où nous pouvons voir le fond et où le courant semble moindre.
Alors c’est sûr, sur les photos, ça ne fait pas beaucoup d’eau…



Mais ces passages d’eau sont sources d’intenses angoisses pour Marion qui au-delà d’avoir peur d’y poser les pieds, appréhende surtout d’y faire chuter la moto.
En première vitesse, tranquille, ça passe bien. Chaque passage les pieds au sec est une victoire. Marion peinant à soulever le regard et admirer l’immensité des paysages qui l’entoure.

Nous sommes deux tous petits points, perdus entre ces immenses montagnes longeant une large rivière qui creuse son lit de ses eaux grises et glaciales.

Puis les cailloux reprennent, les bonds et les rebonds, les vibrations, le sable et la poussière. Nous ne dépassons pas les 15 ou 20km/h. Cette route semble interminable.

Nous croisons quelques camions de ravitaillement ou militaires et puis de nouveau plus aucun véhicule pendant des dizaines de minutes.


Dans un énième virage, un stupa dressé sur son large promontoire nous invite à entrer en territoire bouddhiste tibétain. C’est le premier depuis longtemps et voir ces drapeaux colorés flotter au vent nous embaume d’apaisement et de plaisir. Cela nous encourage à continuer notre route.
Mais restons concentrés, ça n’est pas fini… les minutes, puis les heures, s’égrènent, et pourtant Rangdum semble toujours aussi loin.

La vallée s’ouvre désormais, laissant apparaitre une large étendue émeraude où galopent quelques chevaux. Le paysage a changé. Nous sommes dans un tout autre environnement.
Notre champ visuel s’est agrandi, les virages serrés à flanc de falaise laissent place à de longue courbe embrassant des étangs, ou d’infini lignes droites. Cela fait du bien.


La route continue de dérouler son étroit ruban de piste à travers les plaines humides et tourbeuses du bassin de la rivière incroyablement large.

De vastes étendues lacustres reflètent les grises pentes escarpées du couloir montagneux aux sommets poudrés de neiges éternelles.
Cailloux, secousses et passages d’eau sont toujours au programme, et nous apparaissent de plus en plus éprouvants à mesure que notre corps fatigue.


C’est alors que nous approchons d’un semblant de hameau.

Maisons parallélépipédiques aux murs de brique de terre, aux façades blanchies à la chaux, aux toits soulignés d’un liseré de cette couleur rouge-bordeaux si particulière du bouddhisme tibétain et où s’empilent des fagots de bois ou des tas de bouses, des encadrements des fenêtres aux linteaux sculpté, stupa et drapeaux bariolés : ça y est, nous sommes ailleurs, et loin.
Un sentiment d’accomplissement nous emplit.

Il nous reste une ultime poignée de kilomètres à parcourir pour arriver à Rangdum, destination de cette longue première journée.
Le paysage semble encore plus s’écarter, les montagnes laissent place à un plateau d’altitude totalement plat.

Le fleuve se disperse en un lacis de multiples ruisseaux qui s’enchevêtrent sur une grève de cailloux gris clair.
Les quelques maisons du village apparaissent au milieu de cette immuable monotonie pourtant si fantastique, si stupéfiant de démesure.

Mais avant cela, une dernière rivière reste à passer… au milieu de laquelle Marion termine bloquée, les roues de part et d’autre d’un large tuyau. Stress et épuisement, les deux pieds dans l’eau glacée, elle ne parvient plus à avancer… Brice, fatigué et un brin agacé, se mouille à son tour les pieds pour venir pousser la moto rouge…
Il est temps d’arriver.

Lankerchey – Rangdum : 099km (07h39’) – done

Nous trouvons une petite maison d’hôtes qui fera l’affaire pour la nuit.
Nous sommes éreintés.
Après avoir mis nos chaussures et chaussettes trempées à sécher au soleil d’altitude, posés nos affaires dans la simple et sobre chambrette, pris connaissance des toilettes ladhaki (un simple trou dans le sol) et bu un chai de bienvenue, nous partons nous dégourdir les jambes dans ce minuscule hameau du bout du monde.

Le ciel est couvert quand nous arpentons la rue principale du village.


La tension retombe et nous nous laissons engloutir par la sérénité qui inonde ces lieux.

Les rayons du soleil de fin de journée traversent finalement les nuages.
Apparait alors un large et vaste ciel bleu qui apaise notre moral et nous conforte dans notre aventure.
Nous nous installons sur deux larges cailloux en marge du village, derrière un trio de stupa multicolores et contemplons ce paysage beau à couper le souffle.
Nous sommes à 4000m alt. et tout va bien.
Les sommets, pourtant colossaux, s’effacent pour rendre toute sa grâce à cette plaine infiniment plate.
Les strates géologiques des montagnes dessinent des arabesques colorées.

Sur la route qui mène à la gompa (le monastère) se lève un nuage de poussière : les bergers ramènent les brebis allées paître dans les pâturages lointains, alors que les villageois octroient encore quelques minutes de répit aux vaches aux poils longs qui broutent nonchalamment une herbe d’un vert éclatant. Bientôt elles seront menées vers leurs étables situés au rez-de-chaussée des maisons.

Autour des stupa défraichis, et des amoncellements de pierres gravées du om mani padme hum caractéristique du rite bouddhique, des enfants aux joues rougies de froid* profitent des derniers instants de chaleur pour jouer dehors.


Ce paysage déborde de vide. Il est submergé d’un silence infini.
Face à cette démesure et ce manque de repère, nos émotions sont à fleur de peau.
Humilité devant ce paisible tableau.

Nous passons la soirée en compagnie de Tundup et sa famille, nos hôtes, dans leur salle de séjour/cuisine/pièce à tout faire, toute en terre, aux murs peints colorés et au sol recouvert des tapis.


Le long d’une paroi, un lourd poêle chauffé à la bouse de vache séchée empli la pièce de cette odeur caractéristique. En dehors du yaourt et du beurre frais qu’il nous offre, tout doit être apporté de Kargil. Le thé, le riz. Le sucre est rationné par l’armée, comme c’est le cas de la confiture. Les gens n’ont rien ici, pas de culture, un peu de tsampa, quelques légumes.
En discutant plus longuement, on comprend que Rangdum est coupée du reste du monde 8 mois dans l’année.
Il nous montre des photos de plein hiver, des photos en deux couleurs : blanc et bleu.
Sans nuance. C’est beau. Mais tout aussi angoissant. L’hiver, ils ne font rien, ils attendent. Ils vont à la gompa à ski ou en tracteur.

Ça laisse perplexe. Que font ses gens si loin ?
Avant de retourner dans notre chambre, on ressort admirer une dernière fois ce magnifique paysage éclairé par la lumière sélénite. Sous ce plafond tapissé de millions d’étoiles, on réalise la richesse de ce vide.

Nous partons nous coucher, le corps las, mais heureux du privilège que nous avons d’être ici.

 

‘* Ces gamins du bout du monde ne sont pas sans nous rappeler l’intrépide Acylbeck, qui comme lui, ont le visage crasseux, les pantalons et les godillots boueux. Ils n’ont cure de se rouler par terre, et s’ils ont soif, ces gones téméraires s’allongent par terre, et boivent l’eau à même la rivière.

8 thoughts on “Moto, Photos, Momos, Dodo (Partie 1)

  1. Avec ce dernier cliché on doit probablement reculer le moment d’aller se coucher,même éreintés. Bravo à tous deux. ( Marion , j’espère que Brice a été gentil avec toi ) ppf

  2. E-POUS-TOU-FLANT !!!!
    J’en ai pris plein les mirettes.

    Bravo Marion pour ta ténacité et ton courage.
    Et bravo Brice.

    Vous êtes formidables.

  3. Coucou les amis !!

    J’ai un peu honte de plagier mon pote Star Ac’ mais ce post m’a oté ma capacité de penser : …

     »
    E-POUS-TOU-FLANT !!!!
    J’en ai pris plein les mirettes.

    Bravo Marion pour ta ténacité et ton courage.
     »

    Par contre bricksman, je peux pas croire que tu t’énerves parce que tu dois aider Marion qui est tombée dans la rivière ! 🙂
    Peace and Love mon frère.
    Vous le dites vous mêmes à l’arrivée. Vous avez une chance inouïe de vivre ce que vous vivez…même avec les pieds mouillés…

    Mais je sais que la vraie raison de ton agacement, c’est que le gars en scooter il t’a mis à l’amende en te doublant par l’extérieur dans le dernier virage avant la rivière 😉

    Bisous !!

  4. Bravo les amis pour votre courage et votre ténacité. La moto c’est jamais évident. No comment sur les photos, le débit est trop pourri au Kirghizistan pour qu’elles s’affichent sur mon Smartphone

  5. wow. Fascinant, inspirant et juste ouf. Ma jalousie est a son paroxisme quand je vois ces paysages, et en meme tmeps je me dis heureusement que vous y etes pour nou sles faire partager. Mais une question depasse en importance toutes les autres. Comment elle tiennent les cuilleres chez Tundup?

  6. Comment elles tiennent les cuillères sur l’étagère ???

    Je vais moi aussi répéter ce qu’on dit mes potes Starac et Kpou :
     » Bravo Marion pour ta ténacité et ton courage. Et bravo Brice. Vous êtes formidables. »

    Bisous

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