Un Hsipaw, deux Hsipaw, trois Hsipaw doudou

Comme on l’a dit, le mec qui a mis en place les horaires des bus en Birmanie, n’a pas été à l’école longtemps…
Donc, en partant à 15h30 de Nyaung Shwe (dans le seul bus proposé), on ne pouvait pas être autrement qu’à 4h du mat’ à Hsipaw. Et franchement, c’est vraiment naze d’arriver à cette heure-là… On fait comme tout le monde (les 4 autres loawai avec nous), on va voir les auberges. Certaines proposent des tarifs réduits pour la moitié de nuit, d’autres proposent d’attendre le matin, pour faire le check-in, mais il faut alors se poser en boule là, comme ça, dans le hall, …

L’auberge qu’on a choisi est pleine, on doit donc attendre 8h du mat’… Fâchés, on part errer en ville, avant de trouver un super petit salon de thé/boulangerie, avec thé au lait+sucre et beignets tout chauds.
On passe là une bonne heure et demi, fatigués et un peu déroutés de cette drôle de situation.DSCF5218 DSCF5246Mais le gérant est super sympa, moitié Chinois, moitié Birman, ils sont en plein milieu d’une fournée d’alléchants beignets.

Vers 5h30, on part se balader au marché du matin, éclairé à la bougie et au néon. Alors que la ville est déserte, ici, c’est l’effervescence. Et on découvre que les motos ou tuk tuk chargés de provisions sont en fait des marchands ambulants qui vont ensuite vendre leur produits dans les villages alentour la journée.DSCF5272 DSCF5281 DSCF5287 DSCF5292 DSCF5317 DSCF5322Le jour se lève enfin, et le brouillard aussi.

DSCF5330-1 DSCF5334On part récupérer nos sacs au petit café (petit thé au lait au passage), et on se dirige vers une auberge, différente de celle de cette nuit*.
Devant la porte, un hollandais et un français discutent. Cette auberge semble trop bruyante etc…
Est-ce qu’on veut aller se faire un tour en barque, départ dans 30min… Euh, c’est qu’on n’a pas dormi… Euh… Sinon, Jean-Philippe, le français, nous propose rapidement une rando’ de 6h pour aller passer la soirée dans un monastère. Il part pour 5 jours à travers villages perdus et montagnes éloignées. Euh, c’est qu’on est un peu claqués… on est arrivés cette nuit…
Et là, on ne sait pas ce qu’il s’est passé.
En 5min, nos sacs sont déposés à l’auberge, et hop, on retrouve Jean-Philippe dans le bus, prêts à partir pour Kyaukme, afin de le suivre dans sa rando’…
On se présente un peu. Lui, il bosse comme bénévole dans les camps de réfugiés karens en Thaïlande (ceux qui fuient le régime birman ou l’armée karen). Trop intéressant, cette journée s’annonce bien.

Notre rando’ commence à Kyaukme, petite bourgade à 1h en bus de Hsipaw. De là, il faut se diriger en gros vers le nord. Jean-Philippe est déjà venu l’année passée. On a le nom des villages, une photocopie de carte topographique de 1965, et ses souvenirs plus ou moins flous du gros arbre en bord de la route, de la forêt sur la colline, qu’il faut passer à droite… ah non, à gauche…DSCF5339 Stitched Panorama DSCF5352 S0255388Mais on marche d’un bon rythme, coupant à travers champs, croisant des habitants un peu étonnés de nous voir sur ce chemin et un gros serpent orange.

Le soleil cogne, et avec notre très courte nuit, on fatigue vite. Mais on papote bien, des différentes ethnies de la Birmanie, des problèmes qui en découlent, du camp de réfugiés, de leurs réinsertions, de la sienne, … bref, on ne s’ennuie pas.
On s’arrête au pied d’un arbre pour faire une pause, et avaler un gâteau (oui, on est parti rapidement… heureusement qu’on a prévu de l’eau…), lorsqu’on se rend compte qu’il n’y a plus qu’une veste sur les deux d’accrochées au sac-à-dos. Oh non, pas la veste super-technique-hyper-imperméable-respirable-sans-transpiration-trop-en-super-solde-du-vieux-campeur-trop-chère…
Marion part faire un petit aller-retour, mais rien. On décide de faire marche arrière. On va la retrouver sur le bord du chemin, et on repartira dans l’autre sens pour rejoindre Jean-Philippe au prochain village.
Finalement, d’un bon pas, on rebrousse chemin. Mais rien. Pas de veste… Et il est trop tard pour refaire demi-tour pour se diriger vers le monastère.
Ahh… on est fâchés. Pfff, on n’aurait pas dû repartir en sens inverse… Pfff…

Alors qu’on se rapproche de la ville, une camionnette suivie d’un convoi de mobylettes nous croisent. On s’arrête, et on observe.
Il s’agit d’une cérémonie d’incinération, dans la tradition népalaise. On demande si on peut rester, et avec sourires, on nous accepte, on nous invite même, en nous offrant – comme à chacun – une brique de jus de fruit et un petit paquet de lessive.
Sorti de la camionnette, le corps est déposé sur un bûcher, monté au préalable. Et Marion mise à part, personne ne pleure. Le père et le frère sont là, mais non, on nous explique qu’ils étaient tristes avant, il y a 20min, chez eux. Maintenant, c’est fini. Sa femme n’est pas présente, son avion a du retard, elle n’arrivera que dans la soirée. Donc on ne l’attend pas ?
C’est vrai qu’en croyant à la réincarnation, le corps n’est finalement qu’un « support ». Cet être « perdu » est déjà « ailleurs »…
On assiste donc au cérémoniel. Les gens présents, papotent comme au bistrot. Pas d’émotions visibles, on va dire.
Le chef de cérémonie officie, le linceul est en parti retiré, laissant apparaître quelques parties du corps. Il vaporise un liquide, trois fleurs sont déposées, du riz et hop, deux hommes font le tour du bûcher avec des torches, afin d’y mettre feu. Tout ça s’embrasse très rapidement, limite dans l’indifférence générale.
On est en plein milieu d’après-midi, dans un champ, sur une colline.
Les flammes, rouges, oranges, vertes et bleues dansent… Et soudainement, tout le monde remonte sur sa moto.
Personne n’attend que le feu ne cesse. C’est donc fini.
On nous explique qu’une personne est en charge de récupérer les cendres pour les répandre dans la rivière.

On remercie notre ami népali de nous avoir expliqué ce moment. Marion s’excuse de ses larmes.
Il ne faut pas pleurer, lui dit-il, on est tous pareils.

On fait demi-tour. Un peu bouleversés par ce moment, questionnés et émus.

On arrive enfin à Kyaukme, après 25 km de marche. Le bus nous attend (la moitié arrière est rempli jusqu’au plafond de sac d’on-ne-sait-quoi), on arrive une heure plus tard à Hsipaw.
Au pied de l’auberge, on croise Dunker le Hollandais et sa femme, rencontrés le matin, et on part se boire une bière ensemble.
Ce sera finalement plusieurs bières et une bonne soirée papote. Il était venu en Birmanie il y a 15ans… et il en connait un rayon sur le monde entier, une longue journée riche riche riche en apprentissage…Et tant pis si on est rentré à Hsipaw, c’est le destin on va dire.

Le lendemain, on ne fait RIEN. Grasse mat’, petit dej’ chez notre salon de thé/boulanger de la veille, retour à l’auberge et sieste… déjeuner et micro balade pour trouver un guide afin de faire un trek de trois jours dans les environs*.

En chemin, on croise Sarah et Julien (les Albasquier, on a bien pensé à vous !), un couple de Belges très sympa avec qui on a bien accrochés. Il faut dire qu’on va passer 5h à organiser notre trek, avec un guide local (qui n’a pas dû faire beaucoup de trek… !), qui ne parle pas bien anglais. Mais c’est pas trop cher, ça fait fonctionner l’économie local plutôt que la mafia touristique de Hsipaw*.
Et pour palier ses lacunes en Anglais, on propose qu’il se fasse accompagner par un « étudiant ».
Ma Boat Boat, l’affable gérante du café, est très chouette (elle a même pris en stop une équipe de Pekin Express, c’est une star !). DSCF5412Elle s’occupe de tout ça, enfourche sa moto, va chercher notre « étudiant », s’occupe des billets de bus pour nos Belges, de leur sacs… et tranquillement, notre équipe va se former. Marché conclu, on part le lendemain, tous les 4, plus Nini notre guide et Phyio Way, notre english speaker. Une bonne petite équipe. (Comme Nini connait pas non plus trooop bien une partie de l’itinéraire, un troisième Birman se joindra ainsi à notre périple le deuxième jour, pas du tout anglophone pour le coup).

Les trois jours qui suivront seront une sorte de parenthèse entre potes. DSCF5417 DSCF5422 Stitched Panorama DSCF5438On sillonne les collines, les montagnes, les champs qu’on traverse ensemble. On tombe sur une fête traditionnelle dans un village, …
Ça grimpe, ça descend, et ça regrimpe. On traverse de petits villages de l’ethnie des Palang, puis d’autres villages Shan.
De nouveaux « bonjour », de nouveaux « merci », mais toujours le même accueil chaleureux.Stitched Panorama Stitched Panorama DSCF5493 DSCF5518 DSCF5502 Stitched Panorama DSCF5543 DSCF5550 DSCF5558 DSCF5560On dort chez l’habitant. La première nuit se fait dans une maison qui ressemble plutôt une auberge, alors que la seconde maison, dans le village de Kunkaw, baigne dans son jus. Il y fait sombre (pas beaucoup d’électricité ici**), ça sent le feu de bois partout, les toilettes tout au bout du jardin, la télé en fond sonore, et des nattes pour dormir à même le sol sous de lourdes couvertures (ouaiii comme au Kirghizstan !), au son des cloches des chevaux de l’écurie du dessous.Stitched Panorama DSCF5597 DSCF5621
DSCF5685 Stitched Panorama

Le village de Kunkaw est une jolie découverte. On reçoit tellement de mingalaba et de sourires… en arrivant.
Alors que certains enfants jouent avec des « bouts de bois », d’autres s’occupent des plus petits, portés sur leurs dos, les animaux se baladent dans les rue poussiéreuses, les adultes papotent, …DSCF5772 DSCF5779 DSCF5785 DSCF5788 DSCF5791 DSCF5800 DSCF5805 DSCF5806-1 DSCF5807 Stitched Panorama DSCF5875 DSCF5871 DSCF5876 Stitched Panorama DSCF5925 DSCF59261 Stitched PanoramaOn rencontres deux jeunes institutrices de 20 ans, « immigrées » des plaines centrales, affectées en pays Shan où elles doivent enseigner en Birman au sein d’une population qui comprend à peine cette langue. Pas facile, elles se sentent bien seules, et notre passage leur procure une – ridiculement courte – parenthèse dans leur isolement.
Là encore, on se sent loin, surtout après notre longue journée de marche.
Loin mais si bien accueillis. On radote, on se répète, mais on ne veut pas oublier, la Birmanie, ce sont des sourires et de la gentillesse à en friser l’overdose, les enfants comme les adultes. On a l’impression d’être bienvenus partout. C’est beau, ça réchauffe le cœur, c’est finalement des villages comme Kunkaw qui nous crée nos plus beaux souvenirs, nos plus belles émotions. Bagan c’est un patrimoine merveilleux, le Lac Inle est purement magnifique… mais la plus grosse valeur de la Birmanie, ce sont les gens qu’on y rencontre, au détour d’une rue, sur leur moto, à la terrasse d’un salon de thé, au kiosque à bétel… tout le monde nous invite de son sourire.

La rando’ en elle-même ne casse pas trois pattes à un canard (même si on était bien cassés au bout du troisième jour). Loin d’être aussi grandiose que les paysages du lac de Karakol, les paysages que nous traversons sont beaux le premier jour. C’est une jolie campagne que nous découvrons.DSCF5703 DSCF5730 DSCF5736 DSCF5744 DSCF5746 DSCF5756 DSCF5762 DSCF5768 DSCF5944Cependant, le deuxième jour, on aperçoit des flancs entiers de collines complètement déforestés. Partout, ça coupe, ça rase, ça taille, ça brûle.
À la place, les paysans plantent du maïs, destiné… à être exporté en Chine. On a l’impression d’observer le travers de l’économie mondiale…
Mais Nini nous explique que ça procure un bon revenu aux paysans… Ok…
De toute manière, ils comprennent pas trop le concept de « crise environnementale » : quand il n’y a plus d’eau dans la bouteille, ben on la jette par terre, voilà tout… alors leur expliquer que déforester et tout brûler, c’est pas top… ils ne comprendraient pas.
Le troisième jour enfin, on passe par des paysages complètement désolés, de véritables cimetières d’arbres. Plus d’ombre, des pistes assez larges pour faire passer des camions. Bon… Heureusement, il y a les Birmans.

En trois jours, on aura marché 18, puis 22 et 25 km. On est tous épuisés, lorsqu’on arrive à Kyaukme.
Petit resto à l’ombre tous les 7, et on part visiter la fabrique de papier de la ville (du papier à cérémonie funéraire…aussi exporté en Chine), en accompagnant à leur bus Sarah et Julien qui partent directement au Lac Inle, et avant de reprendre le nôtre pour Hsipaw.
La colo’, c’est terminé.DSCF5983 Stitched PanoramaLe lendemain, on se fait une dernière journée repos à Hsipaw, avant de reprendre la route pour Pyin U Lwin.Stitched Panorama DSCF6028 DSCF6034 DSCF6004 DSCF5404-1
* Si on a bien compris que le tourisme ne profite richement qu’à certains, on en a eu une bonne démonstration à Hsipaw.
La ville n’est pas foncièrement trop touristique, mais depuis que le Lonely y vente les rando’ à faire aux alentours (pas pour bien longtemps si les forêts continuent à être ainsi rasées), les touristes commencent à venir.
Historiquement Mr Charles et Lili avaient ouvert chacun une auberge, ils ont désormais deux gros bâtiments flambant neufs, construction prétentieuse à la Chinoise (néons de couleur, ascenseur vitré) pour l’une, pseudo chalet du Colorado pour l’autre, et dedans une horde de touristes qui viennent se presser pour trouver des guides pour les trek du coin. Car en effet, si dans d’autres villes, les guides ont pignon-sur-rue et viennent nous harceler dans la rue, ici, il n’en est rien. Où sont-ils ? On ne les trouve que chez Lili et Charles qui se servent ainsi une copieuse commission de plus de 50%… pour juste fournir un bureau aux guides du coin. On comprendra alors qu’il ne peut en être autrement, et qu’un guide qui souhaiterait être à son propre compte et démarcher les voyageurs risque gros. Ici, quand on a de l’argent, on a aussi du pouvoir, les officiels ne sont jamais contre un petit bifton, et Charles et Lili en ont beaucoup (et des rumeurs disent qu’ils en auraient usé pour faire définitivement taire certains). Ce n’est pas facile de trouver l’alternative, le plus simple aurait été d’aller chez les « Parrains » de Hsipaw. En passant par Ma Boat Boat, on essaie d’utiliser une filière parallèle. Nini n’est que son employé et connait un peu la montagne pour y travailler, il ne parle pas si bien anglais, mais avec Phyo Way, ils font la paire…
Bref, on espère que ça ne lui créera pas de problème, c’est en tout cas une équipe super…
Ah, au fait, Lili et Charles… ils sont en fait frère et sœur, et on apprendra au cours de notre séjour que la petite auberge familiale dans laquelle on dormait, appartiendrait en fait à Lili…. Rhaaaa

 

** Dans les villages reculés, l’électricité n’est pas apportée par le réseau national. Les autochtones se rassemblent pour installer une turbine au pied d’un barrage d’une demi dizaine de mètre de haut, et tirent les lignes eux-mêmes. Les câbles sont fins comme du fil à linge, et parfois torsadés les uns aux autres quand ils ont été sectionnés et les poteaux sont fait du bois des forêts du coin ou en bambou.
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11 thoughts on “Un Hsipaw, deux Hsipaw, trois Hsipaw doudou

  1. Au début du post je trouvais que cela ne ressemblait pas trop à l’Inde….! Bin oui puisque c’est encore en Birmanie !
    Les photos de nuits du marché sont très belles…et que dire de l’arbre ? pétrifié, sculpté ? on ne sait plus….
    Marion ton joli petit chemisier est du plus bel effet !
    Bisous

  2. 4 commentaires:
    Comment elle a l’air trop jolie la jeune fille a droite avec le haut noir sur la 19eme photo
    Putain l’arbre a l’entree du village
    Putain l’arbre sculpte en forme de pseudo temple
    Punaise toujours aussi belle RionMa.

  3. Même si nous sommes peu loquaces, nous suivons régulièrement votre épopée.
    Que 2015 vous permette de découvrir autant de jolies choses qu’en 2014 et vous apporte, en plus de la santé et du bonheur, le courage de nous les faire partager.
    Fratern’s et amitiés

  4. marrant comment la décision de faire marche arrière pour récupérer la veste vous a permis d’assister à une telle cérémonie !
    C’est le hasard du voyage.

    Je vois encore Marion montrer ses croquis aux gens, et nous ? quand est-ce qu’on les voit ??

  5. Nous on peut plutôt nous croiser rue du faubourg st martin… C’est bien aussi dites ?!
    Gros bisous et merci pour votre joli blog

  6. Coucou les gens !

    Mais trop mortel ce post ! C’est un de mes préférés ! La rando avait l’ait au top sur tout un tas de point de vue, j’aurais aimé être avec vous 🙂

    Juste un pti truc sur lequel je ne suis pas d’accord, c’est quand tu dis que les gens ne peuvent pas comprendre que c’est préjudiciable de couper la forêt. Je pense qu’ils sont parfaitement capables de le comprendre, mais ils sont aveuglés par les bienfaits que leur fait miroiter notre société de consommation, et à plus forte raison celle des chinois…

Ça vous inspire?