Barètements à Bardia

Le cadre est serein. Nous voilà tranquille.
Nous avons besoin de temps pour atterrir après ces derniers jours trépidants et digérer notre voyage au Ladakh.
C’était intensément beau… mais pas pour autant reposant.

Nous sentons le besoin de nous trouver un endroit paisible pour faire le point.

Initialement, nous n’avions pas pensé visiter le Népal. Mais l’envie de profiter encore un peu plus longuement des montagnes et, surtout, la longue discussion que nous avions eu avec Manon et Sjoerd nous ont convaincus que nous n’avions rien à perdre.
Nous avons même fait le luxe de prendre directement un visa de 3 mois.

La saison touristique n’a pas encore commencé dans ce lieu déjà peu fréquenté par les voyageurs qui résonne au rythme placide du quotidien du Terai.
Le Parc National de Bardia se trouve sur une île dessinée par les méandres de la rivière Koralia qui glisse mollement vers l’Inde. Le village se situe juste 30 mètres de l’autre côté d’un bras du fleuve. Les petits hameaux qui parsèment la campagne en cette fin de période de mousson vivent des jours tranquilles.

Les copains, qui avaient traversé la frontière quelques jours auparavant à bord de leur mini minivan coloré, sont ravis de nous voir, et, c’est à peine sortis de la douche que nous nous retrouvons.
Nous sommes tout aussi réjouis de les retrouver.
Ils ne sont ici que pour une journée, et nous la passons ensemble, à tailler le bout de gras autour d’une théière de thé au lait, de quelques pokora et d’une balade le long de la rivière noyée sous un mystérieux brouillard.

Après leur départ, nous passons de longues journées à – vainement – rattraper notre retard sur le blog, à bouquiner, préparer notre séjour au Népal et discuter avec Raju et Santa. Ces derniers ont une profonde connaissance de la nature, qu’ils partagent volontiers. Raju est expert en oiseaux, et nous nous plongeons dans le livre répertoriant les volatiles de la région (des catalogues similaires à ceux que nous connaissions en plongée), à la recherche d’espèces toutes plus colorées les unes que les autres.

Cela nous devient rapidement évident que faire un safari avec eux serait une riche expérience.
Si le Parc National de Bardia organise des safaris en jeep, il est aussi possible de le faire à pieds, accompagné d’un guide bien évidemment.
Traverser le parc au ras du sol. Partir à la recherche de la faune sauvage.
Outre la richesse aviaire, on trouve parmi les mammifères des troupeaux de cervidés, des éléphants, des rhinocéros et des tigres… ces derniers se nourrissant normalement des premiers.

Cependant, il est arrivé que des tigres franchissent la rivière en quête de proies. La veille de notre arrivée, un tigre aurait mis à mort un buffalo. Et le lendemain, une femme d’un village en aval a été prise pour cible et croquée par un tigre… Ces cas sont toutefois rarissimes, mais signes d’un déséquilibre de la chaine alimentaire au sein même du parc*.

Nous ne sommes plus trop surs de vouloir visiter le parc ! Surtout quand on demande :
« _ bon et si c’est un rhino qui nous charge, comment réagir ?
_ ben tu grimpes à un arbre – hyper facile
_ Et si on croise un tigre ?
_ ah, le tigre, tu gardes le contact visuel, et tu recules petit à petit, il devrait avoir peur de Toi.
_ haaaaaaa… « il devrait… »… et si c’est un éléphant ?
_ mmmmh… un éléphant, c’est pas bon du tout… mais on ne croisera pas d’éléphant »
_ ah – mines pas bien rassurées . »

Quelques jours plus tard, le 23 Août, jour de l’anniversaire de Marion, nous nous offrons néanmoins un safari, accompagnés de nos deux guides. Vêtements foncés, anti-moustiques, bâtons, litres d’eau et pique-nique, nous sommes prêts à partir en expédition.
Nous partons tôt le matin afin de franchir à pied la rivière peu profonde. Nous ne voyons bien évidemment pas le fond, on nous a parlé de crocrodiles… mais nous faisons confiance à Raju, qui connait l’endroit par cœur.


Nous passons par une forêt de fougères denses et d’arbres aux longues lianes. Nos sens sont en alerte. Chaque bruissement nous interpelle. On regarde vers le haut des arbres, dans les sous-bois, à la recherche de la moindre présence animale.
Une marre pleine de grenouilles nous enchante, une chenille colorée, une trace de sanglier, le bois d’une biche, une colonie de fourmis, et des oiseaux inconnus.
En silence, nous débouchons sur une large clairière. La piste est bordée de hautes herbes vertes qui nous arrivent aux épaules : une vraie savane, où quelques arbres s’élèvent au-dessus de l’horizon.



Nous bifurquons pour emprunter un petit sentier menant au bord de la zone marécageuse.
Et on attend. La journée sera une longue succession d’attentes à l’affût de quoique ce soit.
Une tortue à carapace molle qui se fait dorer la pilule sur une langue de sable, un crocodile qui sort son museau et ses deux yeux ronds guettant une proie, une grande variété d’oiseaux dont nous ne nous rappelons déjà plus les noms mais que Raju ne cesse de nous pointer.


Celui-ci nous prête ses jumelles et on passe notre temps à scruter les horizons, la cime des arbres, le lit de la rivière.

Puis on bouge. On change d’endroit et repassons dans la forêt, nous croisons des troupeaux de cerfs. On découvre des bouses d’éléphants – dont une nuée de papillons multicolores font un festin.


Santa observe et lit les signes laissés par les animaux. Il traque le tigre. De la terre retournée et des traces de griffes sur le bord du sentier, une odeur âcre. « Un bébé tigre a pissé ici ce matin ». Ouh ça serait super de voir un tigre, et encore plus de voir un bébé tigre… mais la menace que nous représentons pourrait énerver la mère. Nous sommes partagés entre l’excitation et la peur de pouvoir croiser ces félins.


À pas de velours, nous continuons nos déambulations et rejoignons une tour d’observation, comme celles utilisées par les chasseurs.

Depuis la tour, la vue sur le parc est belle. 360° pour observer la vie qui se déroule sous les chauds rayons de cette journée d’été. Nous passons ainsi des heures, les yeux collés aux œilletons des jumelles hyper puissantes de nos experts-safari.



C’est alors qu’un couple de rhinocéros fait son apparition, et la magie opère. Nous sommes subjugués par ces animaux. Leur épaisse peau gris-brun est faite d’énormes plis, dessinant les plaques d’une sorte d’armure, alors que la texture sur les pattes parait granuleuse. Ils semblent sortir directement de la préhistoire.
Nous sommes émus.
Voir ces animaux dans leur habitat naturel est intimidant. Nous avons du mal à les quitter des yeux.
Ils broutent tranquillement, se baignent dans une mare de boue, qui fonce d’un ton leur peau, et avancent d’un pas lent à travers les hautes herbes, avant de disparaitre à l’orée du bois.
Les rhinocéros n’ont pas d’autres prédateurs que le tigre (et l’Homme**) – qui attaque parfois les petits.

Du haut de notre promontoire, nous prenons notre déjeuner avant d’entamer une petite sieste.

Puis, la température commence à redescendre, et c’est au tour des daims et cerfs de pointer leurs fines oreilles et robes tachées. Ces derniers sortent progressivement des bosquets, on les sent peureux et alertes.

Nous restons silencieux et ne bougeons plus pour ne pas les effrayer, et observons la magie de la Nature.

Le chemin du retour nous fait passer à travers de très hautes herbes qui nous dépassent.

C’est pourquoi à cette saison, il est moins facile d’observer les animaux, et encore moins de se retrouver face à face avec eux. Cependant, nous croisons le large sillon laissé par un éléphant lors de son passage dans ces herbes, et nous demeurons tous les quatre sur nos gardes.

Cette journée est incroyable. Nous essayons de ne pas interférer avec l’environnement et la quiétude qui nous entourent, nous sommes chanceux d’être là. Nous prenons encore plus conscience de la fragilité d’un tel écosystème, des bouleversements que l’Homme opère et de la beauté de la Nature au « naturel ».

En rentrant, nous visitons la nurserie des crocodiles, caïmans et alligators (dont une espèce aux allures encore plus préhistoriques avec son long museau serti de dent pointues), avant de rejoindre l’auberge, encore émus.
Nous n’avons pas vu de tigre. C’est bien aussi. Qu’il reste tranquille, loin des Hommes. C’est peut-être mieux pour lui aussi.

Du côté des sangsues, nous nous en sortons bien.
Brice n’en a eu aucune, et Marion 3… mais dont une dans la culotte !

Une fois de retour au camp, on nous annonce qu’un éléphant sauvage se sustente des herbes de la rivière… juste en face de la maison ! C’est très impressionnant et émouvant de voir ce gros pachyderme à quelques mètres de nous, bougeant au ralenti, vivant sa vie.

Les journées se terminent tôt à la campagne.
Aussitôt le soleil couché, nous nous calfeutrons, à l’abri des moustiquaires, et dégustons de délicieux dal bhat – le repas typique dont les Népalais puisent toute leur force***.

Les jours suivants, nous prenons le temps, repoussant quotidiennement notre départ.
Les journées sont rythmées par les températures qui grimpent vite le matin, puis par la pluie qui tombe drue tous les jours en fin d’après-midi.

Nous partons nous balader dans les villages environnants, installés en bordure de forêts.

Les maisons aux toits de pailles ou tuiles et aux façades recouvertes de terre sont toutes incroyablement bien propres et agencées. À travers la couche de boue sèche, on distingue parfois les tiges de bambou qui ont servies à la construction.

De temps à autre, des moucharabiés décorent les parois, offrant un peu de lumière à l’intérieur, sans pour autant y laisser entrer la chaleur.

Dehors, les chèvres broutent les quelques fagots, astucieusement suspendus à l’ombre de petits abris de bois, les poules se baladent suivies de leurs ribambelles de poussins.

Les gens nous sourient, nous namaste, il n’y a pas de voitures, mais seulement des vélos que des femmes en habits colorées utilisent pour arpenter les longs sentiers de terre battue qui relient les hameaux. Nous nous amusons de voir les enfants à deux dessus, l’un pédalant et assis sur le porte-bagage, l’autre sur la selle, tenant le guidon.
Des dizaines de chemins serpentent à travers les arbres, les clairières et les rizières, nous invitant ainsi à nous perdre au gré de nos envies, attirés par la quiétude de cet environnement.














On oublie même que nous sommes dans la buffer zone du Parc National, et que potentiellement, nous pourrions croiser un éléphant (nos hôtes nous ont d’ailleurs vivement déconseillés de nous balader une fois la nuit tombée sous peine de tomber nez à trompe avec un pachyderme).

Au plus fort de la journée, nombre de buffalos barbottent paresseusement dans les rivières boueuses, faisant ainsi retomber la température de leur corps. Certains plongent la tête sous l’eau, ne laissant émerger que leurs narines, ou agitent nonchalamment leur queue afin de faire déguerpir la grenouille installée sur leur front.
Il faut dire qu’il fait excessivement chaud et humide, et l’idée d’aller partager cette flaque de boue avec eux nous donne envie.

Nos balades sont simples, les gens sont extrêmement accueillants et nous attrapons le rythme népalais. Bistari bistari (slowly slowly) qu’ils disent. Nous nous délectons du namaste des enfants, joignant leurs petites mains maladroites pour nous saluer, ou de celui des papys aux topis colorés inclinant respectueusement leur tête.


Nous prenons note des conseils de Raju pour les prochains treks que nous pourrions faire. Cette semaine – oui une semaine… était nécessaire pour recharger nos batteries.
Il nous tarde maintenant de rejoindre les montagnes et de nous éloigner de la mousson et des chaleurs humides des plaines.

 

‘* Contrôler la population des tigres au Népal est un vrai chalenge.
Il faut arriver à faire coexister la présence de l’Homme, sans rogner dans le périmètre dédié aux animaux.

** Nous passons devant des campements de soldats, censés faire des rondes dans le Parc National et traquer les braconniers.

*** Le dal bhat est le pendant local du thali indien.
Un plateau sur lequel on trouve une grosse portion de riz (le bhat), un curry de légumes (souvent des pommes de terre et/ou du chou et des gros haricots), un bol de dal (une soupe plus ou moins épaisse de lentilles jaunes), parfois une poêlée de légumes verts (le saagh), et une portion d’achaa (un délicieux chutney de tomate, ail et piment)… et on peut en redemander – le dal bhat, c’est presque à volonté, en faisant un plat très économique.

Les Népalais ne se nourrissent que de dal bhat, deux fois par jour.
Au réveil (souvent matinal), ils ne prennent qu’un thé. Puis entre 10h et 11h entame leur premier dal bhat pour le déjeuner. Enfin, ils dînent assez tôt, prenant leur second dal bhat vers 17h ou 18h.

12 thoughts on “Barètements à Bardia

  1. Tres beau … on m’a dit que si on se trouve face a un tigre ou lion il faut se couvrir avec notre manteau ou couverture ou poncho…. Ces animaux n’attaquent pas ce qu’ils ne voient pas bien …. parait.
    Il faut qd meme avoir du culot … ou les avoir bien accrochees …. ! (On peut aussi lui jeter la couverture sur la tete mais s’il voit a travers c’est foutu….)
    Et bien sur il faut avoir le manteau ou la couverture….

  2. Merci pour cette balade poétique… C’est toujours un plaisir de vous lire ! Vous vous en lassez pas, à ce que je vois Et vous avez bien raison !!

  3. Et les galinettes cendrees? Vous en avez vu ou pas? Je suis pas certain d’avoir bien compris comment font les gamins sur les velos, un sur le porte bagage qui pedale et un sur la selle qui tient le guidon? C’est beau ce vert, ca fait tres tres paradis sur terre cette histoire.

  4. De montagnes somptueuses colorées, désertiques, froides et arides, nous passons à une nature habitée, luxuriante, humide et chaude, et tout cela sans, en ce qui nous concerne, avoir un choc de températures !!!
    Vous êtes très adroits …

  5. Vous vous êtes offerts un beau cadeau d’anniversaire avec ce safari et on en profite également avec la vidéo : MERCI
    Comme dit Vince, ça a l’air super paisible avec ses prairies toutes vertes : ça donne envie

  6. Coucou les bourlingueurs!

    Des Rhinos quoi!!! Des Rhinos!!
    Vous avez bien de la chance d’en avoir vu en vrai dans leur habitat naturel.

    Votre topo initial avec le guide m’a bien fait rire, et m’a fait pensé au même type de conversation que j’ai eu avec un guide sur les 100 premiers mètres d’un trek de 3 jours en forêt pour aller voir des gorilles ou des éléphants nains…
    « Et qu’est ce qu’on fait si on croise un gorille? Tu bouges pas et tu restes derrière moi… Et un éléphant? Tu bouges pas, tu restes derrière moi…
    Mais TOI, tu vas faire quoi? Ps de réponse…
    Je suis plus trop sûr de vouloir voir de gorilles…
    Finalement on en a pas vu…dégoutés 🙂

    Les ptis daims c’est trop beauuuu.
    Et dans un mc flurry ça déboite!!

    Et ben dis donc. Vous commencez fort avec le Népal. Impatient d’en voir plus!

    Bisous!

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