Delhi et des longs

Nous n’avions pas du tout envie d’aller à Delhi. Mais alors vraiment pas.
Notre plan initial pour arpenter les routes et pistes du Kashmir Indien et du Ladakh, était d’acheter une paire de motos à Dharamshala ou Chandigarh, avec l’aide de nos amis respectif Adarsh ou Amarbir.
Or, en glanant les informations, et après avoir retourné le problème en tous sens, il nous faut nous rendre à l’évidence, tout sera plus facile à Delhi… Facile ?

Cette ville tentaculaire n’a plus aucun sex appeal à nos yeux.
Elle regroupe tout ce qui nous offusque en Inde, le monde, le bruit, la poussière, la pollution. Et à cette époque de l’année, il y fait chaud comme dans un four.

Pour tenter de nous protéger un peu et dans l’idée de trouver un peu de confort, nous réutilisons la communauté CouchSurfing pour nous héberger.
Gaurav et Bindu sont hyper sympa, ils nous accueillent volontiers chez eux.
« Ce n’est qu’à 20km du centre, ce n’est pas si loin » nous dit-il.

Résultat : il nous faut près de deux heures de métro pour rejoindre leur appart’ à la limite entre La Capitale de l’Union, et l’état de l’Uttar Pradesh.
Nous voulions certes ne pas vivre dans Delhi pour garder la patate, mais le trajet du métro à travers les cités dortoirs en construction, les canaux noirs où flottent des ordures, les bidonvilles aux pieds des tours de béton et les champs à perte de vue, la brume de pollution, tout ceci ne nous donne pas forcement la frite !
On parlerait presque de cafard, notamment lorsque nous descendons à la station de métro, au milieu de nulle part, pas d’auto, pas de vie autour de nous. Bonjour l’ambiance !

Gaurav vient nous chercher dans sa voiture climatisée et son affable stature d’Oncle Fétide au grand sourire nous réconforte et nous fait vite oublier là où nous sommes parachutés.

Lui et Bindu ont aussi un projet atypique.
Huit années qu’ils sont ensemble, pas mariés (aucun des parents respectifs de ces quarantenaires n’est officiellement au courant de leur relation).
Modernes les qualifieriez-vous ? mitigé : car c’est encore Bindu qui se lève plus tôt le matin pour préparer le repas du midi de Gaurav, son thé du petit dej’, qui s’occupe des courses et de lui apporter son verre dans le salon.
Il n’empêche tout de même que ce couple sort de l’ordinaire.
Ils sont sur le point de quitter leur job, rendre leur appartement et partir pour 3 mois en road-trip en Europe, et 3 mois en Asie du Sud-Est.
Nos discussions seront donc surtout accès sur leur itinéraire, des conseils concernant le paiement aux péages, la disponibilité des toilettes en ville, et la difficile préparation du terrible dossier pour les visas Schengen.
Une bonne bière depuis le 18ème étage de leur immense tour, nous permet d’apprécier tout de même notre environnement, malgré notre perplexité face à la démesure de ses tours. Il faut le dire, ça ressemble à la Chine…


Et puis c’est parti. Nous partons à la rencontre de Delhi. Mais avant ça, Bindu a prévu que nous passions une partie de la matinée visiter son école. Elle est prof’ dans cet établissement pour riches indiens, et, on ne sait pas trop pourquoi, elle aimerait beaucoup nous présenter à ses collègues.

On l’avoue, visiter des écoles est désormais une terrible source d’angoisse, depuis notre expérience ratée de Jepara, en Indonésie, de laquelle nous étions ressortis traumatisés par ces ado’.
Depuis, nous freinons des quatre fers lorsqu’on nous propose une visite nos-ado’-serons-trop-contents-de-voir-des-étrangers*. Mais aujourd’hui, Bindu nous confirme que ce sont les vacances scolaires et que les ado’ en question ne seront pas là. Génial !
Ainsi, nous voilà embarqués dans un tour de l’école, des classes et des ateliers. On nous prend en photo, on nous filme, on nous pose des questions, on nous offre du thé, on refait des photos…
On se sent encore un peu « utilisés », mais si cela peut aider notre hôte.

La journée est bien avancée quand nous arrivons à imposer notre départ, et au lieu de traverser la ville et entamer notre recherche de véhicules, nous décidons de retrouver Rahul.
Rahul est fana de sport mécanique, et en plus d’avoir 4 voitures dont deux 4×4 préparés pour les pires pistes, c’est aussi un motard. Un vrai. Il a sillonné toute l’Inde, il possède deux motos, trois casques, quatre vestes.

À ses heures perdues, il organise des expéditions dans ces régions du Nord qu’il affectionne tout particulièrement.
Il est hyper au courant de l’état des routes et des emplacements des stations-service.
Autant dire que, perdus que nous sommes dans la préparation de notre séjour dans l’Himalaya, nous buvons ses paroles et conseils et après un délicieux repas, nous quittons son bureau, galvanisés par ses discours.

Nous nous arrêtons sur le chemin du retour pour un dernier café avec Mohit, un ancien collègue/client de Brice.
Bon, la journée n’est pas celle qu’on avait prévue.
Nous rentrons chez nos hôtes, certes épuisés des heures de transport, mais aussi repus et mieux préparés sur notre quête de moto.

Jour 2, Delhi nous voilà.
Il nous faut plus de deux heures de métro climatisé pour rejoindre le quartier de Karol Bagh.
Ce quartier est l’endroit idéal pour trouver des motos, mais pas seulement.
C’est un immense bazar qui abrite moultes boutiques vendant tout ce qui est imaginable.

Nous nous dirigeons donc avec la ferme intention d’acheter deux Pulsar 220f, une moto légère, fiable, et aussi puissante que les célèbres Royal Enfield que tout le monde chevauche sur les routes himalayennes, et surtout moins chères en occasion.
La partie consacrée aux motos se concentre sur une demi-douzaine de pâtés de maisons devant lesquels sont garées des milliers de motos en tout genre.
Pas facile de faire son choix parmi ce désordre organisé.

En glanant des informations, nous avons deux contacts de revendeurs qui nous semble relativement fiables.
Nous entrons d’un pas décidé chez Rana, la patronne de Yoga Motors, elle a plusieurs fois fourni en moto Matthieu, un ami d’Amarbir, et dès notre arrivée nous comprenons qu’elle est très plébiscitée par la communauté étrangère de Delhi pour son relatif sérieux et le bras long lui permettant l’export de vieilles Enfield.
Son équipe nous fait essayer quelques motos.
Notre cœur balance, et si la Pulsar nous semblait initialement un bon compromis à l’achat, en trouver une paire, les retaper à neuf, les préparer pour les pistes des montagnes, avant de partir pour le Kashmir et le Ladakh, nous semble compliqués tant le risque de nous faire avoir est grand dans le temps qui nous est imparti.
Et puis, Rana nous fait une belle offre, nous convaincant de louer deux de ces Royal Enfield 350cc, plutôt que de nous escrimer avec deux bécanes à nous.


Banco : après une longue journée dans la torpeur de Dehli, à retourner toutes les propositions, nous acceptons son offre. Ce sera un souci de moins pour ce voyage qui met déjà le moral de Marion à rude épreuve.

Nous reprenons notre long trajet en métro, pour rentrer chez Gaurav, et ranger nos affaires.
Les motos ne seront pas prêtes avant trois jours, mais nous « déménageons » chez notre nouvel ami Rahul.

Encore un long trajet pour rejoindre son bureau et y déposer nos affaires, Rahul habite à Gorgaon, à l’opposé de cette mégapole.
Ce jour nous passerons plus de 7 heures dans le métro.
Néanmoins, le métro moderne de Delhi a l’avantage d’être climatisé – une gageure en ces temps de canicule – et d’être peu fréquenté. Parmi les « meilleurs moments » de notre séjour dans cette ville, après ceux passés chez Rahul.
Lui, sa femme Jaya et Aryan leur fils vivent dans une très belle maison dans un complexe résidentiel Tata Wow. Si la maison est d’un grand confort, les plats mitonnés par Jaya délicieux, on a en plus le luxe de prendre le petit déjeuner sur le jardin !

Rahul nous aide à organiser notre plan de route, mais aussi nous dresse une liste de tout ce qu’il faut se munir pour ce genre de raid.

On découvre alors qu’en plus des courses à Decathlon pour nous mettre à jour en vêtements chauds, il nous faudra aussi acheter de bons casques, gants et protections… Tout ceci rallongeant de 50% notre budget location de moto.
Nous repartons donc pour deux journées éreintantes pour rassembler ces derniers effets.
Seule la quiétude et la chaleur trouvées chez nos hôtes nous remontent le moral en fin de journée.

Pour faciliter notre départ, nous choisissons de passer notre dernière nuit non loin du magasin de Rana, dans le trépident quartier de Karol Bagh.
Inde oblige, il reste encore quelques détails à régler avant de quitter son magasin, et faire nos premiers (et heureusement courts) tours de roue dans le trafic chaotique de Delhi en fin de soirée.

Pour nous éviter du mouron inutile, pour ne subir ni le trafic ni la chaleur, nous quittons la ville aux aurores.
Direction Chandigarh, chez nos amis Sikhs.
Quelques vaches et déchets par-ci, par-là, mais comme escompté, peu de monde dans la ville.

Cependant, les 30 premiers kilomètres sont désastreux pour notre moral, encore une fois.
La sortie de la ville se fait sous un nuage de poussière et de pollution (permettant de fixer le soleil sans filtre).
Soudain, une nuée d’oiseaux de proie et de corbeaux semble tournoyer aux abords d’une haute colline, qui s’avère être la gigantesque et affolante décharge de Gazepur.

Pour enfoncer une dernière fois le clou et dégonfler les dernières onces de moral, la pluie se met à tomber pour quelques minutes, suffisantes pour nous tremper.

Les dizaines de kilomètres jusqu’à Panipat sont une succession de travaux et de nids de poule pendant lesquels nous nous demandons si nous avons fait le bon choix.

Heureusement, les 200 prochains kilomètres sont en meilleurs états, nous permettant d’évoluer à vive allure (70~80 km/h) à travers les plaines du Punjab et de l’Haryana, slalomant entre les lents camions sur la voie de droite et les encore moins rapides tracteurs et autres triporteurs chargés de fourrages sur la voie de gauche.
Après de nombreux arrêts chai, rafraichissements et étirements, nous arrivons en sueur chez Amarbir et la famille Singh Salar, des acouphènes aux oreilles laissées par les pétarades du moteur.

Delhi – Chandigarh : 310km (06h58’) – done

Cool de les revoir, la famille nous aime bien, on fait les courses, un super repas, on se repose de notre trajet.

Demain, on rejoint Dharamshala et les premières routes de montagnes, enfin !

 

‘* En Inde comme en Indonésie, la mode des selfies sévit.
Déjà nous nous en étions rendu compte il y a 4 ans, c’est dorénavant d’un « non » que nous répondons à chacune des propositions de photos, presque sans exception.

Comme à l’époque, les demandes sont nombreuses et nous voyons de loin arriver ces groupies, sortant de leur poche leur téléphone, prêts à cliquer !
Mais afin de nous préserver un peu, nous avons décider de refuser.
Souvent la demande est faite de façon quelque peu agressive, et nous met plutôt mal à l’aise.
S’en suit une dizaine de clic et puis s’en va.
On se sent ainsi un peu con et dépourvu et puis on poursuit notre balade avant de se faire arrêter 20m plus loin par la même scène.
Ainsi, ce non pose une limite et une barrière que nous sommes souvent triste d’avoir placées mais qui nous on permis de « survivre » à ce nouveau séjour en Inde.

4 thoughts on “Delhi et des longs

  1. C’est vrai que ces immenses tours en béton ne donnent pas envie mais vous aviez une piscine olympique en bas de chez vos hôtes 🙂
    Le métro est clean… y’a pas qu’à Delhi mais ça étonne toujours quand on voit celui de Paris.

    PS : ils ont de la lessive Ariel pour les machines à chargement frontal vs. on top ? Ariel, je ne sais pas qui tu es mais réponds à cet appel de Brice

  2. La maison de Rahul a l’air ressoucrante et apaisante! Ca fait plaisir et ca rassure de voir que les Indiens ont aussi besoin de ça. Un de nos anciens collègues vient s’installer définitivement en France pour éviter de faire grandir sa fille a Delhi ! ca résume bien la situation.
    Votre viédeo me donne la nausée et le cafard…. cette ambiance m’a toujours mise mal à l’aise!

  3. Coucou les bourlingueurs !

    En voyant le paysage qu’offre la vidéo entre Delhi et Noira on sent quand même que la fin de notre espèce est proche… quelle tristesse… on dirait le Mordor capitaliste.

    Le petit « Oncle Fétide » il est passé comme une lettre à la poste 🙂 🙂 Ça se fait pas… 🙂 🙂

    Je vous l’ai déjà dit mais ROYAL EINFIELD !!! Trop la British Class infinie !!!
    Par contre première étape de 310km… vous rigolez pas du tout…
    En tout cas, bonne route en moto dans le futur !! Prenez soin de vous et envoyez nous tout plein de belles photos !!

    Et mettez votre CAX !!!

    Bisous

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