Kambala tout va

De nouveau tous les deux, nous reprenons nos habitudes.
Plutôt que de retourner tout de suite dans le Kerala, nous faisons une courte escapade dans la région côtière d’Udupi, un peu plus au Nord.
En plus d’être connue pour être la capitale des dosa et uttapam (les crêpes de farine de riz, désormais partie intégrante de notre régime), l’arrière-pays d’Udupi possède une tradition ancestrale de course de buffles, appelées les Kambala.

Les Kambala existeraient depuis plus de 500 ans mais les origines sont diverses.
Certains disent qu’elles seraient issues de pratiques religieuses des fermiers, réalisées afin d’apaiser les dieux pour de bonnes récoltes.
D’autres évoquent des courses d’amusement pour la famille royale des Hoysala.
À l’époque, il n’y avait pas de compétitions, et les participants recevaient simplement des noix de coco et des bananes.
Les courses compétitives ont débuté il y a une cinquantaine d’années, et les fermiers vainqueurs gagnent désormais de fortes sommes d’argent.

Ces courses ont été largement critiquées et pointées du doigt par les associations de protection des animaux, qui ont entrainé suite au jugement de la Cour Suprême en 2014, l’arrêt de cette pratique, jugée cruelle pour les buffles.

Cependant, des collectifs de fermiers se sont créés. En effet, de nombreuses personnes dépendent de ces courses, considérées comme « la colonne vertébrale des activités agricoles », sociales et financières de la région.
En 2017, face à la pression, l’interdiction est levée.
Les jockeys se seraient cependant engagés à ne plus utiliser de fouets… mouais.

Durant 4 mois, les festivals se succèdent et les équipes des différents villages se retrouvent.
Seul hic, ce n’est pas le genre d’évènement dont les informations sont facilement accessibles. On sait juste que ce weekend, quelque part, il se pourrait qu’il y ait un Kambala.

Nous donnons sa chance au hasard.
Nous laissons notre sac à la charmante proprio’ de l’hôtel, engloutissons une délicieuse dosa de petit-déjeuner, et sautons dans un bus pour Udupi, à quelques heures de Mangalore.

Udupi est une ville de taille modeste (220 000 habitants à l’échelle de l’Inde, c’est un bourg) non loin de la mer.
Comme souvent le long de la côte, les villes sont isolées de la mer par des zones de mangrove, et n’ont pas accès directement au rivage (en somme, ce ne sont pas des villes de bord de mer). L’ambiance est détendue comme elle pourrait l’être une petite ville indienne et de nombreux bus filent vers le village portuaire de Malpe.

C’est ici que nous entamons notre visite, comme à notre habitude, en nous baladant autour de midi.
Nous passons l’important port de pêche, aux énormes bateaux bariolés. Les marins briquent le pont ou remplissent les cales de glace pour une prochaine expédition.

Nous contournons les chantiers navals et rejoignons la jetée puis l’immense plage qui s’étend sur des kilomètres et où des pécheurs sont en train de remonter et vider leurs filets.
Nous nous approchons, intégrant le groupe de badauds, sous un nuée de corbeaux, échassiers, et milans sacrés (appelé en anglais brahminy kite) affamés.


Déversé sur la plage, le butin est bien maigre, et en dehors de quelques poissons et crevettes, ce sont aussi de la friture et des crabes que les pêcheurs jettent en pâture aux oiseaux.
Bien vite, Marion se trouve comme mission de remettre à la mer ces pauvres crabes qui, ingrats, lui pincent les doigts.


La plage n’est, malheureusement, vraiment pas propre. On y trouve toutes sortes de détritus charriés lors des marées ou remontés à la surface dans les filets de pêche. Des bouteilles en verre, des morceaux de polystyrène, des bouts de plastique en tout genre, c’est à donner le mal de mer…
Mais nous sommes aussi surpris de trouver des habits ou des étoffes, souvent pris dans des filets abandonnés. Marion tombe sur un joli sari à moitié enseveli qu’elle récupère. Très odorant aussi – on mettra du temps à faire partir l’odeur de la mer, bien ancrée dans les mailles.

De retour à Udupi en fin d’après-midi, nous déambulons dans le complexe religieux de Sri Krishna Matha dédié à Krishna, lieu de pèlerinage de nombreux hindous.

Dans le dédale de l’immense bâtiment principal aux allées sombres, nous avons la chance de tomber sur un spectacle de danse traditionnelle « comme dans les films », avec les mains prenant des formes spécifiques, les yeux très maquillés, des bijoux de la tête aux pieds, les danseuses dodelinant à souhait et cliquetant à chaque pas sur l’enivrante mélodie.


Au crépuscule, nous nous perdons parmi les marchands du temple et les rues qui ne s’agitent pas moins malgré l’obscurité grandissante. Nous y trouvons, entre autres, de nombreux marchands de café qui torréfient et meulent les grains de variétés locales*, tandis que les marchands de fleurs continuent d’arroser les couronnes invendues.


Samedi matin. Nous prenons notre léger sac et filons en direction du petit village de Miyar.
En effet, la veille, nous sommes parvenus à croiser des informations concernant le Kambala de ce weekend.
Deux bus traversant la campagne, et deux heures plus tard, nous arrivons au Kambala-drome.
Dès l’entrée, nous croisons les attelages de buffles, suivis par leur jockey et toute l’équipe aux habits colorés.


Autrefois organisées dans les rizières en eau, après les moissons, les courses se tiennent aujourd’hui sur deux pistes en béton de 120 à 160 mètres de long. Les deux pistes sont inondées d’une trentaine de centimètres d’eau boueuse.
Sur un flanc, une rangée de gradin, heureusement à l’ombre, permet à la foule d’encourager leurs vainqueurs.
De l’autre, un préau derrière lequel se mêlent les écuries des différents villages et une ribambelle de stand vendant snacks ou rafraichissements, où nous nous jetons sur de juteuses tranches de pastèques. L’ambiance est bon enfant. On dirait un festival de musique, mais sans les merguez.

Ce samedi, nous n’assistons qu’à deux types de courses, les Negilu Kambala (ನೇಗಿಲು) et les Hagga Kambala (ಹಗ್ಗ) où l’attelage à la paire de buffles se fait respectivement soit par une tige de bois (simulant l’age d’une charrue), soit par une simple corde.

Mais le soir venu comme le Dimanche, on trouve aussi des Halage Kambala (ಹಲಗೆ), où le jockey est debout sur une planche attelée aux bêtes.

Nous arrivons assez tôt pour assister aux présentations des équipes et aux échauffements.

Les bêtes brillantes ont été huilées, et leurs brides sont ornées de fleurs, de miroirs, et de brins de tissus de couleur.
Ces entrainements se font à un rythme soutenu, et il n’est pas rare de voir certains jockeys se faire distancer par les bovins.

Mais lors de la course, nous retrouvons la puissance bovine dont nous avions été surpris sur l’île de Matura, en Indonésie.
Contrairement aux Javanais qui excitaient les bêtes avec des pics ou des décharges électriques, les équipes de Kambala leur donnent des coups de bâton ou de fouet.
Et dès le top départ, les deux buffles s’élancent à toute vitesse, le plus technique pour le jockey étant de ne pas être déséquilibré lors de sa course, tout en donnant des coups de fouet, et en s’accrochant à la corde ou à la tige de bois par laquelle les bêtes le tracte.


Ça va très vite. Que ce soit chez les animaux ou le jockey, tous les muscles sont tendus. C’est impressionnant**.
Et quand nous nous trouvons au niveau de la ligne d’arrivée faisant face à la longue ligne droite du terrain de course, on aperçoit cet attelage qui déboule à toute vitesse. Une fois la ligne franchie et que le coureur lâche ses bêtes, il faut alors plusieurs hommes pour les ralentir.

Après quelques heures sous le soleil à observer les courses, nous reprenons la route vers Mangalore, où nous retrouvons notre charmante auberge… et nous offrons une seconde fois une bonne bière fraiche dans cette brasserie artisanale sympa sur la terrasse abritée d’un mall branché. L’inde est toujours pleine de contraste.

Nous reprenons le lendemain la route du Sud en direction de Kannur, empruntant le même train qu’il y a quelques jours, profitant une nouvelle fois du spectacle qui défile par la fenêtre.


À notre arrivée, Ranjit et sa femme Jioti nous attendent pour nous mener à leur maison d’hôtes.
Nous voilà partis pour une dizaine de jours au calme, dans une auberge installée en bordure de mangrove, à deux pas de la mer.

 

 

‘* Nous avions appris que le Karnataka est un état dans lequel les gens, historiquement, buvaient du café (mêlé à de la chicorée), notamment le matin – néanmoins avec du lait. Dorénavant, le thé a été diffusé dans tout le pays, par une solide campagne de marketing des fabricants de thé. Ceux-ci offraient cette boisson gratuitement aux chalands, qui ont fini par en prendre l’habitude, et ont été convertis.

** Le mois dernier, un jockey de Kambala a battu un record, entrainant une vague médiatique internationale de grande ampleur. En effet, il aurait terminé sa course en 13’’42 (soit 9’’55 rapporté sur 100 m), tandis que Usain Bolt détient le record du monde du 100 m en 9’’58.
Cependant, Srinivas Gowda explique que son record ne peut être comparé à celui d’Usain Bolt, car dans les Kambala, se sont les buffles qui tractent les jockeys.

11 thoughts on “Kambala tout va

  1. Très joli les couleurs vives des filets sur la plage, avec les sortes de hérons à côté.
    Et très dépaysant ces courses de buffles, la vidéo donne vraiment l’impression de vitesse.

    J’adore la « vague médiatique internationale de grande ampleur » : je ne sais pas si ça a dépassé l’Inde et n’en ai pas entendu parlé à l’époque en France

  2. Et les dosas, les papilles sont en éveil …
    Rare de voir des indiens musclés, ils le sont autant que leurs animaux !
    Toujours les belles couleurs chaudes en dégradé orange, safran etc qui réjouissent l’oeil et l’âme !

  3. Mon dieu quelle cruauté..; J’aurais jamais pu regarder ça 🙁
    Par contre c’est trop mignon d’avoir sauvé ces petits crabes sur la plage !

    Je ne suis pas étonnée de lire que la plage est polluée. Il y a encore tellement de choses à faire en Asie et mondialement pour sauver nos océans !

  4. Coucou les amis !!

    Impresionnant ces Kambala !!
    Moi avec mon genou en carton ça me donne des frissons rien que de les voir courrir..
    Mais ils courrent à pied nu sur du béton ??

    Sinon ça m’étonne que Marion ne se soit pas motivé pour prendre quelques petits cours de danse indienne 🙂

    Bisous !!

    1. Oui ils sont pieds nus. Mais on ne sait pas si c’est du béton ou de la terre en dessous. En tout cas, je n’ai pas pris de cours de danse, mais j’ai démarré un stage kambala.

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