Route 23

On le sait.
On aime bien rechercher les petites routes, les mini-villages où personne ne passe et les endroits isolés.
On aime bien se dire que ça n’est pas facile, mais qu’on y est allés.
On aime bien essayer de rencontrer des gens qui sont loin, traverser des paysages qui sont beaux, et réaliser qu’on est au milieu de rien, juste ici.
Oui, ben on aime bien, mais peut-être pas autant que ça.

Titre provisoire : Oh p*** de m***, j’en ai maaaaarrrrrreeeeeee…. !!!!!!!
Titre réfléchi : Trois jours à mordre la poussière / La route 23 de la mort

Voilà.
Sur la carte, elle est notée cette route.
Elle n’est pas petite, ni minuscule, elle est orange. Elle existe.
Elle a un contour, ça veut dire dirt road (un peu comme la plupart des autres routes du Laos finalement).
On a lu que dans la petite ville de Toumlan se trouve différentes minorités et une culture développée du travail de la soie. Et puis ça nous évite un détour pour rejoindre la vallée du Mékong et suivre la route rectiligne qui le borde.
Génial, allons voir ça !

Jour 1 :
Nous partons de TatLo au petit matin. On roule à bonne allure, sur une vraie route. C’est-à-dire à un bon 40km/h sur un revêtement large, certes parfois parsemé de nids de poule, mais en bitume et au trafic quasiment inexistant.
Marion se fend même d’un « les routes sont de bonnes qualités quand même au Laos ».
… Jusqu’à une intersection et une route en gravillons.
Bon, c’est par-là, le GPS le confirme, allons-y.

La piste est large et plane, et au bout de vingt minutes de cailloux et de graviers, nous arrivons au bord de la rivière.DSCF9209Avant, il y a longtemps, il y avait un pont. Mais aujourd’hui, il n’y a plus de pont.
Mais avant, il y avait un bac pour traverser. Mais ça, c’était avant.
On regarde la rivière, le petit bac en bois échoué sur la berge, on regarde les motos devant nous, puis, on se regarde.
Ok, on y va.
On se déchausse, Marion descend de la moto, on observe comment et par où les gens traversent la rivière à gué.
Et c’est parti.DSCF9210Ça glisse, ça mouille, K’rá Diêu a de l’eau jusqu’à la culasse, mais c’est entier que nous posons pied à terre, de l’autre côté !
Victoire !
DSCF9213 DSCF9215
La piste qui nous mène à Toumlan est ponctuée de trop nombreux « ponts » – lire petites planches de bois à l’agencement disparate et à l’équilibre précaire – enjambant des cours d’eau asséchés.DSCF9222 DSCF9224 DSCF9238 DSCF9226 DSCF9248 DSCF9250 DSCF9231 DSCF9257 DSCF9261 DSCF9278 Et si on décide de ne pas prendre le pont, un chemin abrupte, glissant et archi poussiéreux descend dans le lit de la rivière pour remonter ensuite au niveau de la route.
Mais ça, pour K’rá Diêu, ce n’est pas facile.
Ok, va pour les petits ponts…DSCF9265 DSCF9276

Puis pour parfaire le tableau, le vent se lève, un vent de côté qui nous fait glisser sur les graviers.
Sur les bords de routes, quelques femmes portent des fardeaux, peut-être vont-elles chercher de l’eau.DSCF9281 L’environnement n’est vraiment pas accueillant.

Enfin nous rejoignons Toumlan… Ces deux heures de routes nous ont paru interminables (pourtant seulement 40 km).
Et Toumlan n’a rien d’hospitalié.DSCF9286Ici, tout n’est que poussière, vent et tristesse.
Une bourgade de farwest, aux rues désertes.
Le moral en prend un coup. Un sacré coup.
Bon bon bon…
On trouve une échoppe pour manger, après avoir tourné 20 fois dans « la ville » et que les autochtones nous aient gratifiés de no ou not have.
Finalement, nous trouvons une auberge pour poser nos affaires et réfléchir à la suite, désespérant de ne pouvoir continuer plus loin aujourd’hui.

Parce que voilà. Toumlan, située au milieu de rien, n’est donc pas la petite ville charmante dans laquelle les gens tissent la soie dans la joie.
La route qui mène au nord serait pire que celle-là. Celle qui part à l’ouest serait du même acabit, mais sur une centaine de km, et repartir en arrière…pfff… Oh non, pas ça !

Nous nous installons dans l’auberge, nous y rencontrons Léo, un australo-singapourien en moto (incroyable, cette ville ne doit pas voir plus de 3 bule par an et ils sont tous là ce soir).
Une grosse moto, celle qui fait que les nids de poule, tu ne les sens pas, et qu’on a eu l’impression qu’il volait sur la route quand il nous a doublé en peine sur K’rá Diêu.
Il est très enjoué, il a sillonné la moitié des routes du monde et nous remonte bien le moral.
Nous passons une bonne soirée riz/bière avant de nous coucher tôt. Nous avons une grosse journée le lendemain.

Jour 2 :
Réveil matinal. Il fait frais. Le soleil est à peine levé.
Nous chargeons et partons donc à l’ouest, on veut sortir de ce merdier.
On engloutit notre petit dej’ : porridge/entrailles/truc épais ah ouai, quand même ! (on fait avec ce qu’on trouve).DSCF9296 DSCF9298Ça va bien nous tenir au corps, se dit-on.

Après seulement 200m, la route est déjà défoncée. Des creux de la dernière saison des pluies, des éboulis, de la terre, de la poussière.DSCF9300 DSCF9303 DSCF9307 DSCF9310 DSCF9314 DSCF93185km et 45 minutes plus tard, on rebrousse chemin.
On ne tiendra pas 100km comme ça.
Et surement K’rá Diêu non plus.

Retour à Toumlan donc, nous partons plein nord – par la route en pointillé sur le plan, celle qui dit « motorcycle track, dry season only ».DSCF9320Léo a choisi cette option-là également, mais avec sa moto, il va beaucoup plus vite que nous*.

Au départ, nous sommes soulagés. La route est lisse et large. Certes elle est en construction, mais nous roulons bon train les dix premiers kilomètres.
On croise parfois des villages, constitués d’une grosse poignée de maison en bois. Des hameaux du bout du monde.DSCF9322 DSCF93271 DSCF9330 DSCF9331 DSCF9332 DSCF9334 DSCF9339 DSCF9346 DSCF9349Puis les travaux sont de moins en moins avancés, et la route est de plus en plus entrecoupée d’obstacles.
La boue replace la terre battue, puis les cailloux prennent la place de la boue, puis la poussière celle des cailloux.
La piste s’enfonce, nous longeons quelques petits villages dont les habitants nous regardent en souriants, et dubitativement.
Oui, on va à Tat Hai. Juste à 50km plein nord.

Il n’y a pas de mots pour décrire l’enfer que nous avons vécu.
La route 23 s’enfonce dans la forêt pour s’y perdre. Il n’y a pas de panneau, il n’y a pas de vraie route, mais plutôt un méandre de petits chemins.
On dégaine le GPS tous les 600m.DSCF9352 DSCF9354 DSCF9359 DSCF9378 DSCF9383 DSCF9390 DSCF9391 DSCF9399Impossible de couper « tout droit », K’rá Diêu ne le pourrait pas, et nous sommes dans une zone truffée d’UXO (ces bombes qui n’ont jamais explosé).
Il y a des crevasses, des cailloux, des racines et surtout… du sable.
Ou de la poussière de terre, ou de la poussière de sable. Peu importe.DSCF9361Fin comme de la farine, c’est meuble, on ne cesse de s’enfoncer, et ça s’infiltre partout.
Parfois 15 ou 20 cm de cette matière que la moto ne peut traverser.
On glisse, on tombe, on patine, on crie de rage et d’épuisement, on rebondit, on pleure.
On perd un sac, celui qui contient les sous, les passeports, les appareils photos, le disque dur, bref… tout ! Après avoir fait un semi-marathon dans le sable et demi-tour, nous le retrouvons. Quelle frayeur.
On n’a l’impression de ne pas avancer.
Heureusement, il y a les Laos, qui nous égaie de leur sourire et accueil.
Notamment quand on débarque dans l’un de ces villages perdus pour nous restaurer nous et notre monture.
Dans une épicerie, on choisit nos nouilles, la patronne les agrémente d’un œuf et d’herbes fraîches, et cela nous apparaît comme un vrai festin dans notre état de fatigue.DSCF9404 DSCF9413 DSCF9419 Stitched Panorama

On remonte sur K’rá Diêu, pour tenter de rejoindre Tat Hai.
On s’enfonce, on s’énerve, on se trompe et on recommence, on a chaud, on n’avance pas.
Et pour peaufiner le tout, le porte-bagage casse (merci les TGV).
C’est horrible.DSCF9397Franchement, c’est bien la journée la plus éprouvante nerveusement que nous avons vécu lors de cette bourlingue.

Traverser le pays par ces petites routes se devait d’être marrant, qu’il y ait des choses à y voir, et qu’on s’y amuse…
Depuis le début du voyage, nous nous sommes toujours dit qu’on ne continuerait pas dans une direction si on subissait ou si on ne prenait pas de plaisir.
Cette journée est la pire en deux ans de voyage, jamais nous n’en avons autant bavé, jamais nous n’avons autant subi.

Nous rejoignons, on ne sait pas trop comment, le village de Tat Hai Khan.
Il est 14h, ça fait 7h qu’on est parti : 60km.
On s’y arrête pour fixer le porte-bagages, la rivière est encore à quelques kilomètres au nord, mais éreintés, nous décidons de nous y arrêter pour la nuit.Stitched Panorama DSCF9428Nous demandons où dormir, et sans trop d’hésitation, Moon nous propose de nous héberger**.DSCF9440

La fin d’après-midi est calme. Nous tentons de nous remettre de nos émotions, on passe au temple, partageons du temps avec quelques moines, et échangeons sommairement avec les habitants.DSCF9433 DSCF9437 DSCF9448 DSCF4656 Stitched Panorama Stitched PanoramaOn se délasse d’une toilette***, on ingurgite notre bol de nouilles****, avant de filer dormir, à la fraîche, sur la terrasse de la maison.
La nuit est ponctuée du bruit des cloches des vaches, des aboiements des chiens et sous un ciel de pleine lune, notre corps se détend un peu.

Jour 3 :
Ok, nous sommes requinqués, et motivés pour sortir de cet enfer.
De l’autre côté de la rivière, la route semble en meilleur état (on nous apprend qu’il ne faut que deux heures pour rejoindre Muang Phin).
Nous remontons sur K’rá Diêu alors que le soleil pointe juste ses premiers rayons.DSCF9454En regardant par-dessus notre épaule on se demande encore une fois pourquoi les gens s’installent dans un environnement aussi hostile, au milieu de la poussière, si loin de tout.

On est courbatus et directement la route reprend avec son lot de sable, de poussière et de cailloux.
Nous nous perdons, faisons demi-tour, demandons notre chemin.DSCF9459 DSCF9463 DSCF9469 DSCF9471Nous arrivons finalement au bord de la rivière, de l’autre côté de laquelle nous apercevons le bac, Saint Graal qui va nous faire quitter cet endroit désolé.DSCF9473 Stitched Panorama DSCF9483 DSCF9490 DSCF9495On attend une bonne demi-heure qu’il daigne traverser dans notre direction, nous n’osons pas nous réjouir trop vite mais nous sentons que le pire est désormais derrière nous.DSCF9501C’est confirmé alors que nous effectuons les premiers tours de roues sur la rive nord, après une petit déj’ « du bon côté ».DSCF9514 DSCF9522 DSCF9528 DSCF9530Une piste large et rapide traverse le parc national. Nous redécouvrons les 3e et 4e rapports sur la boîte de K’rá Diêu.DSCF9538 DSCF9546Il y a bien des petits trous par-ci par-là, ou des zones de poussière (qui nous glace d’effroi quand on doit les traverser), mais nous jubilons tant nous déroulons les kilomètres nous rapprochant ainsi de la récompense ultime : dans moins de 40 km se trouve l’asphalte de la route 9.DSCF9553 DSCF9557Muang Phin.
Un marché minable, une artère unique, un monument à la fraternité lao-vietnamienne… et le bitume frais de la route nationale (pourtant le guide vantait aussi le passage par cette ville).DSCF9561Un véritable billard.
Paradoxalement nous avons mal aux fesses après seulement quelques dizaines de kilomètres parcourus.
Pas grave.
Il y aura bien à plusieurs reprises des zones de travaux pour faire appel à notre concentration. Mais au cœur de la civilisation.DSCF9570 DSCF9574 DSCF9576 DSCF9583 DSCF9589 DSCF9617 DSCF9619 DSCF9631 DSCF9636
Nous nous sentons délivrés. Ce trajet nous a usés et traumatisés.
133km plus tard, la récompense d’une douche chaude et un vrai lit s’offre à nous à Xeno.
Nous nous détendons et passons, tous les trois, une nuit réparatrice.

« Ça n’est pas facile, mais qu’on y est allés »

 

‘* : Alors que nous nous sommes arrêtés le second jour à Tat Hai… on apprend plus tard que Leo – si il a bien galéré aussi – a fait étape à Savanaket (soit plus loin que notre position le troisième et dernier jour). On ne joue pas dans la même catégorie.

‘** : Premières conversations tout en lao, Moon et ses parents (Li et Tu) nous aiderons à apprendre nos premiers mots.

‘*** : C’est bien la première fois (peut-être une fois précédente à Sary-Tash avant d’entrer en Chine) que nous découvrons des maisons sans toilette…
Tout le monde s’éloigne pour aller assouvir ses besoins dans les buissons.
(la douche, elle, se prend en public vêtu d’un longgi, comme dans de nombreux pays)DSCF9445

‘**** : on ne sait pas si c’est pour nous faire plaisir, mais on aura droit à du calamar dans nos bols… le Laos n’est bordé d’aucune mer, et nous sommes dans un endroit extrêmement reculé.
Pourtant, il est frais et délicieux. Même pas malade !

 

15 thoughts on “Route 23

  1. le camel trophy à côté c’est rien !
    heureusement que kra dieu est là, et muette !
    le même trajet en charrette doit être sympa aussi, plus long c’est tout
    vous avez fait réparer le porte bagage…?
    vous êtes fort quand même !
    bises bises

  2. Spécial dédicace à Jojo! J’approuve. Moi vos histoire de route pourries ça me rappel mon boulot, sauf qu’en général je suis en 4×4. Mais rassurez vous, on mets quasiment autant de temps par kilomètre.

  3. Et c’est de l’essence que le type pompe dans les cuves à l’intérieur de la cabanne en bois : vous n’êtes pas tombés malades mais Kra’dieu doit avoir les artères bien bouchées

  4. oh oh oh!

    Moi il m’a bien plu ce post.
    Mais je comprends que vous n’en gardiez pas un bon souvenir!!!

    Sur votre Selfie, on sent que vous êtes heureux d’avoir atteint le bac et d’avoir posé K’ra Dieu dessus.

    Et sinon, quand vous avez annoncé l’achat de K’ra Dieu, je m’étais demandé :
    Pourquoi ils ont acheté une moto ?Pourquoi ils ne continuent pas leur voyage de la même manière (transport en commun ou stop) ?

    1. Mais attention, ne vous méprenez pas.
      Je n’ai rien contre K’ra Dieu. Je trouve qu’elle a été valeureuse et qu’elle ne vous a pas fait faux bonds dans cette étape périlleuse.
      Ca a pourtant peut être été encore plus dur pour elle que pour vous…

  5. Et bin…
    En même temps, pas de gros emmerdements genre crevaison, combat avec les crocodiles dans les rivières, problème de santé in the middle of nowhere…

  6. Alors la big up !
    Bravo !
    Mais en voyant la taille des pneus de K’Ra Dieu, ça devait arriver… 🙂

    Et brick’sss, nickel la spéciale dedicace aux gadzaaaarts !!

  7. Bel’effs les bourlingots !

    Tat Hai me fait penser à Tahiti. Orthographiquement parlant bien sûr. L’ambiance quant à elle, y semble assez différente.

Ça vous inspire?