Secoués comme un Hushe

La région du Gilgit-Baltistan a une densité de hauts sommets incroyables, et à mesure que l’on se rapproche de la frontière avec la Chine, les sommets s’accentuent et le relief en devient plus accidenté.

Hashaam avait entendu parler du petit village de Hushe, parmi les points de départ aux expéditions vers ces géants de roche et de glace.

Il n’y a jamais été, mais nous savons seulement que la route qui y mène est en très mauvais état, et que le trajet sera long et éprouvant. Qu’à cela ne tienne. Les routes du Gilgit-Baltistan n’ont plus de secret pour nous.

Départ matinal dans les frimas de l’aube pour nous élancer encore plus vers l’Est sur une route qui remonte la rivière.
La route longe le désert que nous avons traversé la veille, pour rejoindre ensuite l’Indus, qui sculpte ses méandres parmi les montagnes.


Une petite heure plus tard, premier checkpoint alors que nous pénétrons le district du Ghanche.

D’un côté, la route rejoint le Cachemire indien (disputé et réclamé par le Pakistan depuis la partition de 1947), de l’autre, nous entrons dans la vallée de Shyrok.

Le paysage change alors radicalement, et ravi nos yeux déjà émerveillés de ces paysages traversés.
Si en cette saison, la rivière s’écoule paisiblement en de nombreux bras aux flots non chalands, le lit du fleuve large de plusieurs centaines de mètres laisse à penser qu’à la fonte des glaces, la rivière doit sculpter ses berges d’un puissant courant.











L’asphalte existe encore, se devine souvent, disparait parfois au détour d’un virage sous une fine couche de sable fin, ou lors de travaux. Mais nous filons néanmoins bon train et les 100 premiers kilomètres sont parcourus en 3:30 heures jusqu’à Khaplu.

Quelques kilomètres en amont, nous bifurquons, empruntant un pont suspendu qui enjambe les eaux placides du fleuve.

C’en est désormais terminé du bitume pour les deux prochaines journées. C’est ainsi que nous prenons la direction de Hushe sur une piste plus ou moins dégradée.

Après un segment de route rectiligne sur la berge caillouteuse du fleuve, nous traversons le village de Saling, dont les verts marécages et prairies apportent cette touche colorée printanière.
Pierres, dos d’âne, sable et enfants qui chahutent le long des routes… (nous ne sommes pas au début de nos peines)






… pour ensuite rejoindre l‘embouchure de la rivière de Hushe et le charmant village de Machilu qui la surplombe.


Les maisons aux charpentes de bois et aux façades blanchies à la chaux rappellent incontestablement les architectures tibétaines. Les solides encadrements des fenêtres et des portes sont bariolés et le village se tient fièrement au milieu d’un paysage ocre de montagnes nues.

En lieu et place du temple ou monastère bouddhique se tient une très belle mosquée vieille de plusieurs siècles (que nous ne pouvons pas visiter).

Sur le chemin du retour, nous aurons l’occasion de nous y balader, après nous être restaurés, dans ce très beau décor, et de prendre conscience de l’agencement de ce village et de sa construction labyrinthique. En effet, pour parer aux rudes hivers, des sortes de tranchées et passages couverts sillonnent en partie le vieux village, pour permettre aux habitants de circuler durant les froids mois de l’année.



Sur les toits, abricots, noix et diverses herbes sèchent sous le soleil chaleureux de ce mois d’octobre.

La rue qui nous conduit au centre du village nous fait longer des falaises étourdissantes de hauteur.
Encore une fois, nous sommes ahurit face aux dimensions grisantes de notre environnement.
Les montagnes gigantesques, les vallées immenses… seuls les arbres, les gens minuscules dans les champs, les maisons au loin de l’autre côté du fleuve démesuré parviennent à nous raccrocher aux échelles et nous soulager de notre vertige.

Notre épopée reprend.
Nous alternons entre route à flanc de colline et hameaux et leurs cultures en escalier.
Les petits moteurs des motos se débrouillent bien, mais les pneus manquent parfois de grip.
Le terrain est de plus en plus accidenté, et de moins en moins stable.

 


Le rythme se ralentit et la fréquence des pauses s’intensifie. On fatigue et on s’émerveille.
On s’enfonce dans cette vallée du bout du monde et on réalise la chance que nous avons d’être là.
Un passage de pont ou le détour d’une vallée deviennent prétextes pour de cours répits.



Il faut sans cesse se dresser sur la moto, tenir fermement le guidon tout en serrant la machine entre nos jambes.
Nous sommes de plus en plus éreintés, mais nous tenons bons. Pas le moment de perdre le moral.
C’est beau !

Les vallées s’encaissent, et le flot paisible de la rivière devient rapide, rebondissant de rochers en rochers arrondis par l’érosion et le cours du temps.

Et enfin, au détour d’un verger, surgit le minuscule village de Hushe dans lequel nous arrivons extenués mais sous les cris de joie de enfants et le salut des adultes.
Il nous aura fallu un peu moins de 2h30 pour parcourir les 35 kilomètres depuis la jonction avec la vallée de Syrok.

Le petit bourg est modeste.
Les visages des enfants et de plusieurs adultes rencontrés sont souvent noircis de crasse.
Les maisons sont extrêmement simples et comme dans toutes ces régions reculées, l’électricité demeure un luxe.

 

Les habitations ne sont chauffées qu’au poêle et les villageois vivent avec de nombreuses épaisseurs de vêtements troués ou usés par le temps.
De toute façon, rien n’arrive jusqu’ici. Ils sont loin.

Néanmoins, bien que Hushe soit très isolé, il n’est pas difficile de trouver un interlocuteur anglophone et le village compte plusieurs écoles (aussi bien pour les filles que pour les garçons).

Ceci est dû à la relative popularité que Hushe a acquise grâce à sa proximité avec les plus hauts sommets de la région. Le village sert de camp de base alternatif pour explorer K2 et a reçu le soutien de nombreuses associations et fonds de développement européens.
(deux films documentaires ont été réalisés par un français sur un porteur de Hushe:
Little Karim, premier pakistanais à avoir atteint le sommet du Gasherbrum et Mister Karim, quand ce même porteur accompagnera la premier descente à ski de K1).

Nous logerons d’ailleurs dans un refuge financé par l’Espagne.
Nous passons la soirée à la lampe de poche et emmitouflés dans toutes nos épaisseurs de vêtements possible. L’électricité et l’eau chaude ne sont pas conviées ce soir.

Mais quel souvenir que de se réveiller avec la vue sur le Mashabrum – nom donné au K1 – alt. 7821m – par notre fenêtre, sous un ciel d’un bleu azur.

Il nous reste encore quelques heures avant la tombée de la nuit pour nous promener.

Nous traversons les plantations de blé et pommes de terre. Les femmes sont encore dans les champs à fagoter, secouer et trier les épis coupés, et préparer les fourrages. Les terres sont retournées pour y déterrer les pommes de terre.
Situé à une journée de route de Skardu et uniquement accessible par Jeep la moitié de l’année, Hushe se retrouve en autarcie complète les mois d’hiver. Encore une fois, l’hiver s’annonce et les villages se préparent.

Notre balade nous mène vers les hauteurs du village. Nous longeons les cultures en terrasse, les canaux qui abreuvent ces parcelles, les pépinières d’arbres protégées des vents et des animaux (surement), et petit à petit, nous grimpons, enjambant rochers et cours d’eau.


Et puis, sans crier gare, nous nous retrouvons à 3333m, sur la crête d’une moraine et laissant apparaitre devant nous, Mashabrum le Grand.
La tête dans les nuages, son imposante face nous rend silencieux. Le vent nous glace, le soleil nous réchauffe. Nous sommes émus de cette incroyable journée et de son apothéose.


À notre réveil, il fait grand beau temps.
La froide nuit est oubliée au profit (de délicieux pancakes) de ce magnifique décor qui s’offre à nous. Masherbrum rayonne.
Nous partons nous balader dans les champs.

À cette heure matinale, les locaux sont déjà en train de travailler. Les tracteurs tournent à plein régime, les gens s’affairent dans une unité collective. Les greniers de pierres vont pouvoir être remplies afin de nourrir les animaux pour les prochains mois.

Nous contemplons ces majestueuses montagnes qui bordent Hushe. Ce village, lové aux creux de ce paysage, les gens, la rivière, les arbres, les couleurs… Tout est bien.

Un dernier coup d’œil sur Mashabrum avant de reprendre la route, la piste, la poussière et les cailloux.

Hushe était une belle récompense.

 

 

 

 

10 thoughts on “Secoués comme un Hushe

  1. Grandiose. Magnifique. Par contre, vous etes marrants a vous plaindre de mettre 3:30 pour faire 100Km. C’est votre faute aussi, a force de s’arreter tous les 100m pour prendre une photo de concours.

  2. Ca prend du temps aussi de lire toutes ces jolies photos. Je me suis pas chronométré pour parcourir tout le post. C’est toujours aussi splendide. Brice : t’avais froid sur la moraine ? T’es moins souriant que Marion sur votre selfie. Pourtant le couvre chef local te sied à ravir 😉

  3. Vous êtes prêts pour le Paris-Dakar les Giraudol.
    Mais ca sera moins beau…

    Les gens ont le téléphone a Hushe? L’eau qu’il boivent, ils vont la chercher a la rivière?

    1. Pas de réseau GSM à Hushe.
      Mais il y avait une ligne fixe dans le refuge où nous étions.

      Quant à l’électricité, je pense qu’elle est fourni par des centrales hydroélectriques dans les ruisseaux… Nous en avons vu pas mal en tout cas en aval.

      Enfin, l’eau de la rivière ou des sources avoisinantes est souvent l’eau de boisson en effet.
      Pourquoi s’en priverait on?

  4. Encore un post MAGNIFIQUE !!
    Vous vous surpassez sur le Pakistan !!

    En vous listant, je me suis rappelé de ce que vous disiez avant de commencer ce trip en moto :  » Pour une fois on va se laisser porter, et on va se prendre des ptites vacances avec une agence de location »… bonjour les vacances 🙂

    En tout cas, le jeu en vaut la chandelle (j’ai aucune idée de l’orthographe de cette phrase), et je vous mets au défi de la traduire en pakistanais.

    Bisous

  5. Coucou! trop beau ce post!! et j’ai appris un nouveau mot qui vient de cette phrase « aux flots non chalands ». J’imagine donc, qu’on pourrait dire, être chaland comme une barre de fer ou comme un Reeback. J’en apprends tout le temps sur la bourlingue. bisous les copains

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