Savon fou

Nous sommes ravis de revenir à Hassan et faire découvrir à Catherine les merveilles que sont les temples de Belur et Halebidu. Ces deux somptueux sites sont les plus beaux édifices hindous que nous avons vus… et pour autant ils ne sont pas du tout plébiscités par les touristes étrangers.

Nous les avions déjà visités dix jours plus tôt, alors que nous étions en route pour rejoindre Mysore.
Nous nous étions dit que si ça valait vraiment le coup, nous lui proposerions d’y revenir. Ce n’est pas « si loin », Quelques 3 heures de bus. Et puis la route est belle.
On traverse alors de grandes étendues aux cultures vertes, ponctuées de surfaces lacustres. Les routes, en très bon état, sont bordées de maisons au long toit d’ardoise et aux murs de brique souvent peints de slogans publicitaires.



Une fois la gigantesque gare routière d’Hassan rejointe, nous nous dirigeons vers notre hôtel.
Le lendemain, nous sillonnons les routes de l’arrière-pays pour rejoindre les deux anciennes capitales de la civilisation Hoysala.

POINT HISTOIRE
Cette dynastie est apparue au Xème siècle dans la région de Malenadu – dans les montagnes des Ghats occidentaux (cette chaine séparant le plateau du Deccan de la côte de la mer Arabique).
Au XIIème siècle, profitant des luttes intestines au sein des Chalokya de l’Ouest, les Hoysala en profitèrent pour étendre leur territoire sur du l’équivalent de l’actuel état Karnataka. La période Hoysala fut une période importante dans le développement des arts, de l’architecture et de la religion en Inde du Sud.
Au XIVème siècle, la situation géopolitique dans le Deccan est bouleversée avec de nombreuses incursions et conquêtes du Sultanat de Delhi qui finit par prendre le petit Empire en tenaille.
À la mort de son dernier empereur à la bataille de Madurai en 1343, les territoires furent administrés par Harihara I, qui fonda plus tard l’Empire Vijayanagar.

Nous commençons par prendre la direction de Halebidu, la première capitale de l’Empire déchu, mise à sac par le Sultanat de Delhi au XIVème siècle. On n’y trouve plus grand-chose. Les ruines de la ville ont été, pour la plupart, ensevelies.
Mais ce qui subsiste est dans un état exceptionnel. Notamment le temple de Hoysaleswara.
Aux premiers abords, celui-ci semble massif. Une sombre construction de pierre de savon, le stéatite, pierre plus facile à tailler que le granit, et résistante à l’érosion.
Sur une plateforme (jagati), le temple accueille deux sanctuaires et leur superstructure en plan de croix, tous deux dédiés à Shiva.
L’un pour le Roi, et l’autre pour la Reine.
Face au temple, à l’Est, deux massifs nandi monolithiques abrités sous un mantapa ouvragé trônent fièrement.
On approche, on laisse nos chaussures au pied du jagati et pénétrons dans la pénombre de ce bâtiment à la façade austère. Le temps que nos yeux s’habituent à l’obscurité, nous sommes subjugués par la beauté des décorations de ce mantapa.
Tout est noir, de la couleur caractéristique de la pierre de savon.






Pour autant, nous ne savons où poser notre regard. Chaque colonne est différente, et délicatement ouvragée.


La plupart ont été tournées, les sillons des outils y ayant creusés des disques de différents diamètres et gravés tout en finesse. À leur tête, on trouve parfois de magnifiques petites statues. Et les plafonds sont constamment décorés de motifs floraux ou de scènes mythiques.
À la croisée des galeries se tient le saint des saints, idole que les visiteurs fervents viennent vénérer entre deux selfies.

Nous traversons le temple et sortons par l’Est, contournant les nandi, immenses pièces aux formes douces sculptées dans la masse, avant de faire le tour des temples.



Quel travail incroyable, nous sommes abasourdis de tant de finesse et détails.


Une profusion d’informations, de formes, d’ombres, de reliefs, tout ceci dans une harmonie taillée au couteau, dans une précision mathématique.



Chacune des faces est découpée en 11 étages de fines décorations. Certaines frises dépeignent des scènes du quotidien ou des faits historiques, une autre est uniquement ornée de fleurs, de lions ou de makara – animal imaginaire, à tête d’éléphant, denture de crocodile, corps de lion et queue de poisson.Pour la réalisation du temple, les pièces étaient sculptées dans des ateliers extérieurs, puis encochées pour sertir les cavités.
Le plan est en étoile, centrée sur les sanctuaires. Les angles des faces sont plus ou moins aigus, rajoutant à l’abondance de formes, de géométrie, d’élégance. Aux « fenêtres », des représentations des différentes divinités, sous leurs multiples avatars.


Partout.
Et avec notre connaissance pauvre de l’Hindouisme, nous tentons de deviner tel ou tel dieu ou de reconnaître un passage du Mahabharata et Ramayana (les deux livres de la mythologie hindoue), scrutant avec assiduités ces murailles d’information.
Heureusement, nous nous octroyons les services d’un guide qui nous permet de gagner en savoir, et de nous accompagner dans cette visite.
Ici encore, les travaux de précisions sont remarquables. Les représentations semblent sortir du mur. Devant nous, Narashima dévorant les entrailles du démon Hiranyakashipu, là Parvati et Shiva accroupis sur un nandi.
Encadrant les portes, des statues de femmes dansantes, couvertes de bijoux, semblent en mouvement, et nous invitent à pénétrer une dernière fois dans ce temple prodigieux.



Nous quittons les lieux pour nous aventurer à quelques kilomètres du village.
D’un bond de rickshaw, nous rejoignons un très joli boari (les puits en escaliers nombreux au Rajasthan) et contrairement à ceux découverts à Jaipur ou à Bundi, où le temple se trouvait sur une des faces du puit, ici un des niveaux est couronné d’une ribambelle de petits temples.


Nous refaisons un saut vers le temple de Kedareshwara – délaissés par les touristes (si nous avions eu peu de gens lors de notre première visite, nous étions en weekend lors de la seconde). Lui aussi a été construit à la fin du XIIème siècle. L’accès à l’intérieur du temple est interdit, mais nous avons pris soin d’analyser une fois de plus chacune des frises.



Sur le chemin du retour, nous nous arrêtons dans un complexe jaïn, où une cérémonie a lieu.

Dédiés à trois Tirthankars (parmi les 24 que compte cette religion), ces trois temples ont aussi été construits au XIIème siècle, alors que l’Empire Hoysala était encore de confession jaïn.
D’architecture dravidienne, ces temples possèdent également de magnifiques piliers tournés, qu’une fois de plus nous observons en détail.



Alors que l’ambiance à l’intérieur est pleine de ferveur, le parvis rassemble nombres de dévots venus pour les festivités. Des enfants jouent, et un vaste repas est servi.
Assis sur un des murets du temple, une poignée de croyants écoutent le discours d’un moine, que nous découvrons, assis en tailleur, nu. Il est vrai que le Jaïnisme prêche le détachement du monde matériel.
Nous prenons un second bus qui traverse les jolis paysages vallonnés de l’arrière-pays d’Hassan, et arrivons à Belur, qui s’apparente à un gros village.

Nous remontons la rue du bazar au bout de laquelle se dresse un gopuram jaune du complexe de Chennakeshava, porte d’entrée du temple à l’instar de tous ceux dans Sud.
En y pénétrant, nous entrons dans la vaste cour comprenant plusieurs mandapa et temples.
Si nous prenons le temps de déambuler autour des autres bâtiments, c’est le temple central qui est le plus important, dédié à Vishnu sous la forme de Kesava.

À première vue, le temple trapu, comme pour celui d’Halebidu, semble bien austère. Nous notons cependant que les moucharabiehs sont plus ouvragés et que de la pierre rouge est utilisée pour agrémenter la décoration des façades.

Mais en nous approchant, les sculptures se revèlent…







Une fois à l’intérieur, de nouveau, nous tombons des nues. Le travail de sculpture est encore plus impressionnant.
Les colonnes sont magnifiques, les plus ouvragées sont garnies de couronnes, de motifs, ou ont une base à 24 pointes. L’une des colonnes comporte presque l’intégralité en miniatures des statues du temple. En effet, une a intentionnellement été oubliée par l’artiste, en signe d’humilité et pour preuve que la perfection n’existe pas.
D’autres sont partiellement recouvertes de pigments que laissent les dévots dans leur prières, et qu’ils achèvent par les petits sauts – bonds de zébulon, les bras croisés, en se pinçant l’oreille opposée après avoir fait le tour de l’objet d’idolâtrie.
Enfin, une impressionnante colonne sous la forme d’une cariatide aux courbes ensorcelantes, et au travail de sculpture à la précision incroyable : les couvre-chefs sont creusés, les vêtements, les bijoux, les postures et les expressions du visage, tout est gravé minutieusement.



Arrivés au transept, le plafond orné sur plusieurs niveaux est époustouflant, là encore avec des pièces qui apparaissent suspendues en son centre. Nous sommes bouche bée. C’est beau.

Ces temples sont un vrai coup de cœur, cet endroit est magnifique.
Nous quittons les lieux subjugués par tant de finesse et élégance, et tout autant admiratifs devant le travail, détails et techniques que la construction de ces temples a nécessités.









9 thoughts on “Savon fou

  1. Ok mais la vraie question c’est, si jamais tu te frotte avec un bout de temple, tu es plus propre apres? C’est vrai que c’est tres beau et impressionant de se dire qu’il y a des gens dont le seul travail a du etre de bosser sur ces temples. Genre comme les mecs qui ont fait la ctahedrale Notre Dame.
    Et je tiens a faire remarquer qu’on apprecie tous les nouveaux T-shirt et les chaussures de Brice.

  2. Encore des sites étonnants et prodigieux !
    Et Catherine qui ne rate rien et qui rit en mettant ses chaussures ou les retirant ?
    Beau voyage en « vrai » !

  3. De la dentelle sculptée ! Plus que magnifique ! Merci pour ces merveilleux documentaires… J’en suis accro ! Bises.

  4. Coucou.

    Le temple en pierre de savon est incroyable ! Mais est ce qu’il mousse quand il pleut 🙂
    Non, en réalité la finesse des sculptures et la couleur de la pierre donne l’impression que le temple est en bois…c’est vraiment surprenant!

    La photo avec les trois dames en Sari est super 🙂

    Un abrazo fuerte!

    PS : La bourlingue fait du bien en ces temps de restriction, et permet de s’évader un peu. Merci pour ça aussi.

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