À Leh’z

Journée off aujourd’hui. Nous prenons le temps de nous reposer, et de ne rien faire*. Pas de moto, pas de sac à faire ou défaire. Repos dans le confort de la plus belle chambre que nous ayons jamais eu.

Il faut dire qu’avec la vue que nous avons sur le monastère depuis l’une de nos nombreuses fenêtres, on a l’impression de profiter pleinement de Lamayuru.

C’est à 16h que nous quittons l’hôtel pour une petite balade. Le monastère nous tente depuis hier et les lumières de fin de journée dorent doucement le paysage.
Les montagnes se parent de cette chaude couleur, alors que les façades blanches semblent répondre aux épais nuages.

Nous longeons ainsi le chora, où une multitude de pierres gravées du Om Mani Padme Hum sont empilées sur plusieurs dizaines de centimètres et rejoignons la route principale, où quelques camions au klaxon intempestif roulent aussi vite que la pente prononcée les y autorise, avant de nous retrouver sur le parvis du monastère.
Nous grimpons encore quelques mètres et nous posons devant ce majestueux tableau.
Seuls, nous profitons de ce paisible moment, repensant encore à notre incroyable épopée des derniers jours.

En contrebas, le monastère de Lamayuru trône sur une éperon rocheux, faisant face aux arides montagnes qui se dressent devant lui.
Construit au XIème s., ce monastère est considéré comme le plus ancien du Ladakh. Il appartient à la lignée Drikung Kagyu, une des branches dites mineures de la tradition Kagyupa du bouddhisme.

Nous en faisons le tour, longeant les murs blanchis à la chaux, et visitons le temple, où sculptures, tentures colorées, livres de prières, bougies et masques ornent les murs.


Accrochés à flanc de montagne, l’ancien village de Lamayuru expose ses ruines. Quelques habitants y habitent encore, mais on sent que la population a périclité, délaissant les maisons de pierre et terre pour le béton des nombreux hôtels qui parsèment la route.


Notre séjour ici est vraiment tranquille. Nous en avions besoin. On se regale de bons plats et de glace à la mangue.

Déçus de ne pas avoir revu Manon et Sjoerd, nous décidons ensemble d’un nouveau point de rendez-vous.
Eux feront plusieurs heures de route en arrière pour nous retrouver et ajourneront leur départ de la région, et nous accélèrerons un peu notre rythme.
Nous nous retrouverons ainsi à mi-chemin sur la route de Leh : demain/13h/partage de position GPS/village d’Alchi.

Le lendemain, nous reprenons donc la route, celle qui nous rapproche un peu plus de Leh, et de ce que l’on ressent comme étant la fin de notre épopée himalayenne**.


Le village d’Alchi est situé à une soixantaine de kilomètres de Lamayuru.
Il y a bien une route parallèle qui serpente, sur la carte, mais la fatigue nous fait choisir la solution facile : la National Highway 1.
C’est finalement la première fois que nous parcourons plus de 10 km sur cette route ralliant Kargil à Leh. Et nous sommes heureux d’avoir su fouiller et nous balader dans les vallées annexes, évitant ce grand axe.

Si les premiers kilomètres de route nous font traverser un paysage lunaire sculpté par l’érosion, puis un pittoresque défilé pour rejoindre le fleuve Indus au niveau de Khalsti, notre enthousiasme est un peu entaché par la multitude de casernes de soldats implantées tout au long de la route. Les baraquements de tôle bariolée, les zones de parking où une quantité impressionnante de camions attend, les affiches de propagandes nauséeuses et va-t-en-guerre… tout ça nous met mal à l’aise.
Ce jour-ci, nous sommes le 6 Août 2019, et nous pensons beaucoup au Kashmir***.

Nous roulons sur la large route asphaltée, croisant quelques camions, une poignée de minibus de touristes et des groupes de motards. Mais finalement, pas autant de monde que nous le pensions.


Au début c’est joli, mais pendant un long moment, il n’y a plus rien à voir, du moins, rien de bien nouveau.
Heureusement, les fameux messages de la BRO, dont la poésie candide nous fait toujours autant sourire, nous distraient le long de cette large vallée aux paysages répétitifs.
Les nombreux pylônes électriques, les rampes de sécurité tout comme les lignes au sol nous rappellent que nous roulons sur un axe majeur malgré, nous l’avouons, un trafic mesuré.


Le village d’Alchi est situé de l’autre coté de la rivière Indus, que nous traversons pour nous rapprocher du seul monastère de la région non installé sur une colline. Mais néanmoins l’un des plus anciens et populaires.

Serpentant sur une fine route poussiéreuse, nous trouvons rapidement le village.
C’est la première fois que nous faisons face au tourisme du Ladakh : le parking est plein de minibus et travelers, et les ruelles du village ne sont que boutiques, stands de souvenirs, restaurants onéreux et buvettes…

Les copains ne sont pas encore arrivés : nous sommes un peu en avance.
Nous en profitons pour aller visiter le temple.
Érigé à la fin du Xème siècle par Rinchen Zampo, grand traducteur de la renaissance du bouddhisme tibétain, le temple est construit en bois et la façade est sculptée de reliefs, bas-reliefs, et autres éléments décoratifs ouvragés.
À l’intérieur, les murs sont intégralement recouverts de fresques peintes par des artisans que le Grand Traducteur – comme on surnommait Rinchen – avait fait venir du Kashmir, où il avait étudié le bouddhisme sanskrit et travaillé à sa traduction en langue tibétaine. On lui attribue l’édification de plus de 108 monastères du Ladakh au Bhutan, en passant par le Népal et le Sikkim. C’est donc un type sérieux.

Les intérieurs des temples sont d’une pure élégance, et d’une réelle richesse patrimoniale (malheureusement parfois restaurées à la truelle par des moines peu précautionneux).
Les photos y sont interdites, mais quelle incroyable beauté. Chaque centimètre est recouvert de Bouddha, de motifs géométriques et floraux, ou de fresques racontant des faits historiques ou du quotidien (représentant parfois des voyageurs au faciès perse ou chinois).
Cela nous rappelle les grottes d’Ajanta, en Inde ou celles de Mogao, en Chine.
Dans chaque temple trône, en son centre, une immense statue, décorée, elle aussi, d’une multitude de détails.
Nous faisons le tour une fois, puis deux fois, et quittons les lieux, avant de tomber sur Manon et Sjoerd !

Chaudes embrassades mais c’est comme si nous nous étions quittés la veille.
On se raconte nos aventures respectives de ces derniers jours.
Nous tentons de comprendre le rendez-vous manqué sur la route de Lingshed, on les remercie chaudement d’avoir fait un tel détour et de bouleverser leur planning pour venir nous voir – on doit vraiment être des gens chouettes, et nous décidons de rejoindre ensemble Likir, un petit village voisin pour camper au pied du monastère.

Nous reprenons la route, suivant leur minivan au mini moteur que Sjoerd conduit néanmoins d’une main de pilote sur les longs virages nous faisant prendre de la hauteur, quitter l’Indus, et grimper en direction de Likir.


Tout autour de nous, le paysage n’est qu’un infini désert au paysage lunaire.
Partout où le regard porte, nous ne voyons que la rocaille et l’aridité d’un tableau monochrome.
Nous avons du mal à croire que nous sommes sur la National Highway 1, artère principale et stratégique de cette région.

En plein milieu de cet immense plateau désolé, nous bifurquons pour longer la vallée menant au monastère, et rejoignons rapidement de lit de la rivière où un tapis végétal d’arbres et cultures apporte cette apaisante touche de vie.


Arrivés en contrebas du monastère, nous finissons par trouver le « bon » spot pour y planter notre tente.
Du haut de la colline, le gompa apparait sur fond de ciel gris orageux et éclairé par les chauds rayons de cette fin de journée.
C’est ici, face à ce magnifique tableau que nous nous installons. C’est parfait.

Lamayuru – Likir : 076km (02h19’ sans les pauses, 05h38 autrement) – done

On commence à préparer le goûter. Il faut dire qu’ils reviennent de Leh et sont chargés de brownies, cookies et autres délicatesses. On profite pleinement de ce moment hors du temps. Les couleurs sont incroyables, il n’y a personne.


Un aqueduc coule en contrebas. Son flot frais et clair venant des hauteurs himalayennes nous offre une toilette régénératrice et une eau délicieuse. Le monastère nous observe, le ciel se dévoile, les nuages dansent, et nous buvons notre thé en bonne compagnie. La soirée sera toute aussi douce. Et nous dormirons au calme sous la protection des lamas.

Nos amis décollent au petit matin. De notre côté, nous prenons le temps de plier le camp et profitons de la quiétude matinale pour aller visiter le monastère avant quelques aloo paratha de petit-déjeuner.




Nous partons le ventre plein, direction Leh.
De retour sur la route principale, nous sommes encore aujourd’hui surpris par l’immensité du paysage.
Nous ne traversons que des zones désertiques, entrecoupées d’oasis verts et isolés que forment les villages tous les dix ou vingt kilomètres.




Pour faire durer le plaisir – et ne pas arriver trop vite à Leh**, nous entreprenons de remonter la vallée de Zanskar depuis sa confluence avec l’Indus, jusqu’au plus loin que nous puissions aller.


La rivière rejoint bien entendu Padum, mais la route est encore en construction, et la partie que l’on emprunte aujourd’hui est une large chaussée au bitume frais, seulement empruntée par quelques motards puisque c’est encore, à l’heure actuelle, un cul-de-sac.

Le décor change encore une fois.
La rivière brune serpente parmi des petites montagnes aux versants totalement secs et peu pentus.
Les veines minérales colorent la roche en un nuancier d’ocre, rose et violet. Et nous sommes toujours autant subjugués par les diverses orientations des strates géologiques.


Peu après le village de Chilling, nous devons faire machine arrière.
Si les bornes kilométriques indiquent la distance nous séparant de Nerak – que nous aurions bien voulu rejoindre pour enrager nos amis Hollandais, la route grignote encore la falaise au rythme lent des coups de pioches des ouvriers bihari qui la creusent.
Nous faisons donc une pause maggi soup et visitons brièvement le petit village, avant de reprendre la route.

C’est génial de conduire sur un billard !
Nous nous en étions déjà rendu compte en rejoignant Batalik après les pénibles journées sur la route de Padum : on a plus de liberté pour admirer le paysage et sommes beaucoup sereins.






Nous savourons d’être totalement seuls au cœur de cette belle vallée car une fois de retour sur la route principale, ce ne sera pas la même chose.


Il y a pourtant de la place pour doubler, de longues lignes droites pour le faire. Mais non, les Indiens ne peuvent pas ralentir, ils doublent dans le virage sans attendre que le camion venant en face ne soit passé, se déportant à peine, en klaxonnant à hauteur de nos oreilles.
Heureusement, ce n’est pas si fréquent, mais cela nous fait sortir violemment de notre méditation.

Les étendues désertiques sont démesurées, mais bien vite nous rejoignons Leh, la capitale régionale.




Il y a du monde, c’est certain, surtout quand on compare à nos expériences des jours précédents.
Mais cela demeure tout à fait supportable.

Après quelques déambulations fastidieuses dans les petites venelles d’un vieux quartier, transformé en spot pour les voyageurs, nous trouvons où garer nos motos, décharger notre barda et poser nos affaires, dans une auberge au calme avec vue sur un jardin fleuri.

Likir – Leh : 124km (07h35’) – done

Nous sommes enfin à Leh.
Cette ville marque le « début de la fin » de notre voyage.
Si nous souhaitions initialement visiter la région**, nos étapes précédentes ont néanmoins bouleversé le plan initial – pour notre plus grand bonheur !
Depuis Leh, il y a deux ou trois jours de route intenses pour quitter les sommets, sortir de cette magnifique région et rejoindre Manali.

D’ici-là, on fait un peu de maintenance sur les Royal Enfield (vidange, et chaîne, mais aussi remplacement de la roue dentée – et édentée – sur la moto de Brice), et surtout on se repose*.
On profite du confort que cette ville offre aux voyageurs étrangers.

À l’échelle de l’Inde, Leh est un village qui a subitement grossi – notamment grâce au tourisme.
On retrouve néanmoins un vieux quartier (qui tombe, à vrai dire, en décrépitude et ne devrait pas tenir très longtemps). Peu coutumiers des villes si touristiques (telles que Goa, Rishikesh, Hampi…) nous sommes surpris de voir que la ville est séparée en deux : pour les touristes locaux et pour les touristes étrangers, et elle offre beaucoup de confort à ces derniers.
Jolie boutiques de shawl en pachmina (tenus par de nombreux Kashmiri en détresse suite au récent évènement), massages ayurvédiques, café italien, falafel israélien****, apple strudel, english breakfast, pâtisseries françaises, vegan burger, barbecue coréen et momo tibétains au fromage de yak. Il y en a pour tous les goûts.

Nous passons ainsi 4 jours à Leh, entre blog, houmous, jus de pomme incroyablement bon du Kashmir et repos.
Et on l’avoue, ça fait du bien aussi.

Il y a pas mal de choses à visiter dans la ville et autour, d’autres vallées à explorer, d’autres plaines à traverser et rivières à passer, mais ça sera pour une autre fois. Cela fait maintenant 5 semaines que nous sommes à moto, et presque 3 mois que nous voyageons en Inde. Notre visa arrive à son terme, nous élaborons notre planning du retour à Delhi, située à encore 1000km d’ici.
Demain, nous quittons Leh… Direction plein Sud.

 

 

‘* Quand on dit qu’on ne fait « rien », ce n’est pas forcement exact. Au-delà de la lessive qu’il faut bien faire, le tri des photos et surtout la préparation du blog nous prennent un temps incroyable (plusieurs heures par jour en moyenne).
Pendant ce temps, celui qui « n’écrit pas », cherche des informations sur nos prochaines destinations, ou s’octroie parfois un peu de répit.
En gros, on n’avance pas vite dans nos bouquins. Problèmes de riches oisifs !

** Nous étions un peu réticents à l’idée de rejoindre Leh.
Dans notre imaginaire, c’est un endroit gâté par le tourisme de masse Indien.
D’ailleurs, nous avions initialement prévu un petit parcours dans les régions reculées du Nord de Leh, en allant un peu plus vers les frontières du Pakistan et de la Chine (Tibet). Mais la mafia locale des loueurs de motos a décidé de protéger leur marché, interdisant à tout motocycliste, dont la moto ne serait pas immatriculée à Leh, le passage vers ces montagnes, les contraignant ainsi à louer l’un des engins onéreux de leur flotte.

*** C’est le 5 août dernier, que le gouvernent indien a décidé unilatéralement de modifier la Constitution et l’Article 370. Un très important contingent militaire a été envoyé sur place (80000 soldats supplémentaires, en plus des 700000 déjà présents), pour prévenir les débordements d’une population pas très contente qu’il ait été décidé de leur sort sans l’avoir consultée.
Afin de contrôler l’information qui entre ou sort du territoire, les non-résidents ont été invités à quitter le Kashmir, et les communications internet et téléphoniques ont été coupées du jour au lendemain – permettant aussi de limiter les mouvements de contestation.
Nous écrivons cet article le 14 septembre. Cela fait 5 semaines maintenant que le Kashmir est coupé du monde – et qu’en l’occurrence nous n’avons aucune nouvelle d’Odile, Rashid, Farah, et de leur famille.

De leur côté, nos amis hollandais nous rapportent que dès le jour de l’annonce gouvernementale, les Ladakhi célébraient ce nouveau découpage administratif, se détachant ainsi de la région Jammu et Kashmir pour acquérir eux aussi, un statut d’Union Territory administré directement par le gouvernement central à Delhi : le Ladakh.

Tout ceci pour dire que nous n’apprécions pas trop les discours des affiches de propagande « nos valeureux héros de la bataille de Kargil » – qui au passage, n’est pas non plus la victoire écrasante que les Indiens veulent faire croire, mais juste un retour à un status quo après une invasion surprise des Pakistanais, une réaction tardive des Indiens, et une reconquête laborieuse des territoires conquis.

Et puis donc, il y a des casernes partout, des mouvements militaires incessants de colonnes de véhicules kaki et les vols continus d’hélicoptères le long de la vallée (à l’Ouest se trouve le Kashmir, au Nord le Pakistan) …
Ça s’inscrit dans le quotidien des Ladakhi… mais on a l’impression d’être en état de siège.
Bref, on n’est pas bien à l’aise sur cette route qui, somme toute, devrait nous fasciner !

**** Nous sommes surpris de trouver autant d’Israéliens. On se dit qu’ils sont tous ici et que ça doit être le moment parfait pour visiter la Terre Promise !
Blague à part, certains restaurants n’affichent leur menu qu’en hébreux, et on entend parler hébreux partout (même les vendeurs des boutiques).
Il y a des salades israéliennes dans chaque restaurant, tout comme des plats « méditerranéens », où houmous et schnitzel s’affichent en tête de liste. Et une nuée de voyageurs en short, pashmina sur les épaules et sandales aux pieds.

6 thoughts on “À Leh’z

  1. Même en passant par la route principale, ça reste magnifique. Ici, c’est le 19 sept. : un bon mois d’espace temporel intergalactique 😉

  2. Ca sent la fin de l’Himalaya tout ça!
    Snif…Quelle épopée !

    En Israël, il est assez généralisé de prendre plusieurs mois de vacances pour voyager après le service militaire.
    L’Inde est une destination souvent choisie par les israéliens pour ce voyage.

    Bises

  3. Où est le péage de l’autoroute. ??? Probablement super reposant cette fin de trajet en Royal Enfield.!!! Encore merci pour ce moment d’évasion.

  4. Coucou les amis.

    Moi je voulais encore que vous fassiez des miliers de km en Royal !!
    Je suis un peu triste du ton resigné de fin de voyage qu’a ce post, mais je suis certain que vous allez trouver d’autres « plans Bourlingue » pour nous faire rêver 🙂 en moto, en chameau ou en chariot 🙂

    Mais qu’est ce qu’il est mini le van des hollandais!!

    En tout cas bravo pour cet incroyable aventure à deux roues !!

    Bisous!!

Répondre à K-Pou Annuler la réponse.