3 jours à Pokhara

Nous quittons Tansen, après ces dix jours passés entourés des collines verdoyantes, des villages paisibles et des habitants accueillants. L’appel des Annapurna se fait de plus en plus grand.

Comme souvent depuis notre arrivée dans la région de Palpa, les nuages, accrochés aux arbres, à la route et aux reliefs montagneux, nourrissent abondamment la nature. L’environnement est extrêmement luxuriant, entre fougères, mousses, arbres à feuilles caduques, rizières et épineux en altitude.


Le camaïeu de vert est riche, et notre bus assis-mou nous mène tranquillement (ainsi qu’une chèvre qui a pissé un peu sur nos sacs) en direction de Pokhara, la seconde ville du pays.



6h40 et 130km plus tard, nous sommes déposés à Pokhara (900m alt.), sur les berges du lac de Phewa, où se concentre la partie touristique de la ville.

Nous remontons l’axe principal, passant dans un premier temps à travers le quartier de lakeside. Cette partie de la ville est intégralement dédiée au tourisme, et on y retrouve une succession de boutiques, restaurants, bars et cafés, hôtels de plusieurs étages et agences de treks.
À première vue, ce n’est pas vraiment le genre d’endroit où nous aimons nous retrouver…. Et à deuxième vue non plus. Cela nous démoralise d’autant plus que nous nous ne trouvons rien à portée de notre bourse.
Nous quittons cette portion de lakeside pour nous diriger, dépités, un peu plus au Nord, nous éloignant ainsi de la ville.
À mesure que nous progressons, les habitations se font moins hautes, les magasins de souvenirs moins nombreux.
À la place, les commerces de proximité réapparaissent, et les buibui se multiplient.
La rue semble plus tranquille.
Nous sommes alpagués par Guru qui nous invite à séjourner chez lui et sa femme, Mira. Le bougre est sympa, la rue est calme et les prix de ses chambres dans notre fourchette : nous y posons nos affaires.
Nous faisons la connaissance de Brice – un autre – en voyage depuis un bout de temps, avec qui nous sympathisons bien vite. Et hop, un nouveau copain.
Nous nous offrons une bière d’apéro, face au lac, et une autre pour l’anniversaire de Brice, agrémentée d’une pizza au feu de bois. C’est fête !





Et doucement et irrémédiablement, nous nous sentons prendre racine…

Planning initial : passer deux ou trois jours à Pokhara afin d’organiser notre trek, le permis pour le parc des Annapurna, trouver quelques vêtements chauds, fruits secs et barres énergétiques.
Planning réellement appliqué : trois semaines plus tard, nous quitterons enfin Pokhara – plein d’embonpoint, prêts et motivés pour l’incroyable randonnée qui s’annonce.

Voici ce qu’il s’est passé, ou comment les pièges de Pokhara se sont immuablement refermés sur nous comme autant de poupées russes, nous faisant perdre le fil du temps.

Au matin de notre premier jour, nous partons en quête d’une autre chambre, un peu plus confortable encore, que nous trouvons juste en face.
Installée à l’étage supérieur d’une maison familiale, entourée d’un petit jardin, nous sommes accueillis chez Shila, en compagnie de ses frères et parents, discrets et charmants.
Par la fenêtre de notre chambre, nous entendons l’eau qui coule dans la ruelle, qui en cette interminable saison des pluies, est inondée en permanence par la rivière en amont*. Les buffles beuglent, les oiseaux gazouillent, les insectes sifflent…

Nous voila ainsi posés dans un paisible endroit, lumineux et propre, où il fait bon trainer sur le balcon ensoleillé.
Piège numéro 1.

Les journées suivantes ne sont que succession de joyeuses et belles rencontres cosmopolites. Sanjeeb et Ajit (cyclistes aux grands projets, toujours prêts à aider) puis Lucija (procrastinatrice constamment occupée), son coloc’ Bobby (chanteur émérite aux bouclettes californiennes), Tomasz (yogi du haut de ses deux mètres), Kwan et Atman (dont les douces litanies résonnent encore à nos oreilles) – et leur acolyte Satchi, A.D. et Jessica (les collègues de singing bowl de Marion), Etienne (nouveau voyageur à long terme, champions de nœuds et toujours volontaire), Alex (grand reporter de la Belle Province), Elmouatasem (l’ultra sportif friand de pâtisseries)…

Piège numéro 2.
La plupart de ces voyageurs sont à Pokhara depuis quelques jours, semaines ou mois, vivant au rythme lent qu’impose cette ville. Ils n’avaient prévu de ne s’y arrêter que quelques jours… eux aussi.

Nous passons du temps avec les uns et les autres, buvant thé sur thé et nous baladant le long du lac aux eaux tranquilles.

Nous trouvons rapidement nos buibui préférés, celui qui fait le meilleur dal bhat, petit déjeuné, les meilleures pâtisseries, lassi, momos ou thukpa (soupe de légumes + nouilles), celui qui nous offre un peu plus de confort pour travailler au blog… ce que nous ne ferons pas très efficacement, notre vie sociale nous prenant du temps.

Car c’est bien là la douce nouveauté pour nous. Celle d’être dans une ville tant fréquentée par des voyageurs qui s’y sédentarisent. Des personnes – généralement – ouvertes sur le monde, et qui ont autant à offrir qu’à apprendre. Cela nous permet de nouer puis de tisser des liens, choses que nous n’avions pas coutume de faire dans notre itinérance permanente. Se recréer un réseau social, se faire des amis et des voisins. Avoir des habitudes à plus long terme. Cela nous manquait.

Le premier jour, alors que nous sirotons un petit thé au lait accompagné d’une paratha de petit-déjeuner, nous sommes invités à rejoindre deux gars sympas à la table du buibui voisin, le Chiya Chautari.
(Et c’est ainsi que nous deviendrons des clients habitués du resto’ qui sert des mets bien bons et surprenamment bon marché. Il sera bien vite au sommet de notre liste de cantines, rejoint par Unique, Sharma pour ses petits dej’, Umbrella cafe pour sa cuisine veg’, Margharita pour ses pizzas, parmi tant d’autres)

Ajit et Sanjeeb, des Népalais du cru, ont parcouru de nombreux pays à vélo. Ils prévoient d’ailleurs prochainement de retourner 3 mois en Europe. On papote, on explique notre programme, ils nous donnent des conseils, des bons plans. Ici, tous les locaux sont potentiellement guides de trek, et ont déjà arpenté l’intégralité des sentiers des Annapurna. Le courant passe assez bien.
Nous enchainons chiya sur chiya.
Piège numéro 3.

Il se trouve que nous sommes en fin de mousson, et cette dernière tarde à quitter la vallée.
Le ciel est bas, nébuleux et nuageux, ce qui empêche les sommets des Annapurna**, théoriquement visibles depuis le lac, de se dévoiler. Tous les soirs, des trombes d’eau se déversent sur la ville, inondant toujours un peu plus la rue dans laquelle nous vivons.
Sanjeeb et Ajit nous conseillent d’attendre encore une dizaine de jours avant de partir en trek.
Piège numéro 4.
Et nous reprenons un chiya.

C’est alors que Lucija, une pimpante et grande blonde à la coupe garçonne, vient rejoindre ces deux acolytes. Elle les connait bien – elle connait tout le monde d’ailleurs, et nous sympathisons promptement.
Elle vient de terminer sa session de singing bowls« les quoi ? » – et nous raconte.
C’est décidé, nous accompagnons Lucija l’après-midi même, pour la séance de 16h.
Piège numéro 5.

Un nouveau chapitre s’ouvre ainsi dans notre voyage alors que nous entrons dans cette petite pièce lumineuse, au premier étage d’un bâtiment en travaux accueillant une école maternelle.
Au centre de la salle, Atman est assis, entouré d’une vingtaine de bols aux tons cuivrés***.
Dans une de ses mains, il tient un maillet à l’extrémité recouverte d’un coussinet, et dans l’autre, un bâton en bois partiellement recouvert de feutre qu’il fait tourner autour d’un des bols et qui émet une douce et intense vibration – comme quand on joue du bout du doigt avec un verre en cristal. À l’aide de son maillet, il tape la face extérieure des bols, comme on le ferait d’une cloche, créant ainsi une rythmique mélodieuse et apaisante et dont chaque bol apporte sa tonalité particulière.

Nous sommes un petit groupe allongé, les yeux recouverts d’un tissu, le corps détendu, et nous nous laissons porter par cette ambiance vaporeuse et légère, où notre corps tout entier, doucement, se détend. Les muscles se relâchent et s’enfoncent dans le sol, nos extrémités s’engourdissent, notre cerveau se met progressivement au repos.
Graduellement, nous accédons à un intense apaisement, alors que le son des bols continue de raisonner, sous la voix chaude et profonde d’Atman qui fredonne quelques mantra adoucissants.
Quelle sensation incroyable. Nous sommes transportés, nous voyageons en pleine zénitude, loin de tout.
À la fin de la séance d’une petite heure, nous émergeons progressivement de notre léthargie.
Le réveil et retour à la réalité se fait en douceur, alors que nos orteils peinent encore à bouger.
Nous ouvrons nos lourdes paupières et faisons entrer la lumière sur nos yeux apaisés.
Silence encore.
Silence.
Danyabat. (« merci » en népalais)

Nous venons de finir notre première session de singing bowls.
Ce sera l’origine d’une longue série, pilier de la routine que nous mettons ainsi en place.
9h15, singing bowls.
Le matin, la session est partagée entre méditation – active – et relaxation – passive. Nous évoquons chakra et énergie, vibrations, ouverture et libération.
Kwan est lumineux. Il nous accueille chaque jour, heureux de partager son savoir et sa pratique sans être pour autant prosélyte. De notre côté, nous sommes irrémédiablement attirés par cette énergie bienveillante**** qui nous fait du bien.

Une fois la séance terminée, nous nous dirigeons vers un devenu traditionnel chiya, en compagnie de Lucija, Jessica, Tomacz ou A.D.
Le groupe se scinde après de longues palabres, et nous poursuivons (souvent accompagnés) par un bol de nouilles ou des momos dans un des buibui, avant de nous poser sur notre balcon et de repartir pour les singing bowls de 16h. Nos journées s’en retrouvent par conséquent très occupées.

Marion décide de prendre des cours, prodigués par Kwan, afin d’aller plus loin dans l’usage des bols.
Durant 4 jours, elle apprend et s’entraîne à les manier, à comprendre les vibrations et leurs impacts sur le corps et notre bien-être.

Le soir venu, Brice devient cobaye, bien content de se refaire un bain d’ondes au passage.
Nous évoluons dans cette atmosphère spirituelle, ou du moins relaxante. Les singing bowls deviennent partie intégrante de notre quotidien. Marion continue ainsi sa pratique.
Le bol posé sur les bouts des doigts, le maillet dans l’autre main, d’un coup léger nous frappons la paroi cuivrée, produisant un extraordinaire son, qui instantanément font vibrer nos sens.
Une fois, deux fois, trois fois… La résonance emplit la pièce et notre corps jusqu’au fond de nos cellules.
Nous sommes enivrés.

C’est ainsi qu’une dizaine de jours s’écoulent. Nous passons nos soirées avec les copains, à la terrasse d’un buibui, dans la cuisine de chez Mira, ou dans un bar à écouter des concerts improvisés de musiques soufies joués par un Iranien et un Israélien ou d’une Australienne maitrisant le Hang Drum.

Le temps passe, et nous retrouvons avec joie Manon (sans Sjoerd, qui est en « vacances » en Hollande) qui devient notre voisine de balcon. Notre quotidien à trois se déroule en douceur.

Nous continuons de lorgner l’horizon, tentant d’apercevoir les sommets des Annapurna, mais toujours rien.
Et puis Sjoerd devrait bientôt revenir, ce serait idiot de ne pas l’attendre (!).

La pluie continue de nous inonder certains soirs et, sur le lac, prolifèrent de petits arbustes aquatiques, que les habitants tentent de retirer quotidiennement.
Jour après jour, le niveau d’eau dans notre rue baisse, jusqu’au matin où Machhapuchhre (6993m alt.) fait son apparition au-dessus du lac. Le soleil frappe de ses chauds rayons la pointe qui brille au-dessus de la colline de Sarangkot. Et soudainement, l’impatience de partir marcher en montagne renait.


Nous partons ainsi faire notre permis pour le Parc National et passons par le marché d’occasion où nous trouvons polaires, bonnets et bâtons de marche.
Nous faisons le tour des superettes du coin pour acheter amandes, fromages et fruits secs, barres de céréales et flocons d’avoine.
Petit à petit, nous faisons le plein de victuailles.
Petit à petit, nous nous préparons. Nous étudions la carte et glanons quelques informations supplémentaires.

Sjoerd revient finalement de vacances (la valise pleine de fromages, d’une boite de Haribo pour Marion et de douceurs hollandaises).
…et nous profitons de nouveau de nos copains de voyage. Quel plaisir de passer du temps ensemble. Nous parlons projets, planning et voyage et partageons notre temps entre thés et bons repas.

Notre vie sociale bat son plein. Les longues conversations sur le pas de porte de Brice – l’autre Dupont, les dal bhat avec Lucija et Bobby, les innombrables chiya, le patron de la superette qui nous rassasie de glace à la mangue, les familles des différents resto’. En dix minutes, on s’arrête trois fois pour dire bonjour ici ou là, …



Et à vrai dire, ça faisait longtemps que nous n’avions pas eu l’impression d’appartenir à un réseau, à une communauté.
Certes, notre entourage n’est que fait de gens de passage, mais l’énergie qui émane autour de Pokhara et de ce quartier est belle.

Au matin du 22ème jour, nous quittons de bonne heure notre chambre, baskets aux pieds et sacs sur le dos*****. Manon et Sjoerd nous accompagnent pour un dernier petit-déj’ (on n’est pas sûrs de les revoir à notre retour de trek), et nous retrouvons Etienne, qui se joint à nous pour ce départ en direction de Besisahar, première étape du circuit.

C’est la première fois que nous partons pour une si longue randonnée et, si nous sommes plein d’enthousiasme, nous sommes tout autant intimidés par l’intensité de ce parcours autour des impressionnantes Annapurna.

 

‘* La rue étant continuellement sous 5 à 10cm d’eau. Le soleil, plutôt généreux, accélère ainsi la pousse de la mousse sur la chaussée. L’adhérence est des plus précaires, notamment quand la route tend à s’incliner, et nous marchons comme sur des œufs à chaque fois que nous devons rejoindre Brice, Lucija ou Bobby chez Mira… Mais nous sommes surtout souvent témoins d’une ou deux glissades de piétons, vélos ou motos quotidiennes.

** Il n’y aurait pas d’autres endroits au Népal où les montagnes s’élèvent aussi rapidement.
En moins de 30 km, l’altitude passe de 1000m à plus de 7500m. Les chaines du Dhaulagiri, des Annapurna et celle du Manaslu, qui culminent chacun à plus de 8000m d’alt., sont visibles depuis Pokhara.

*** En français on les appelle les bols chantants ou bols tibétains – même s’ils n’ont, à priori, rien de spécifiquement tibétains. Ce sont en fait des cloches ou des gongs, occasionnellement utilisés par les différentes religions asiatiques et notamment les diverses sectes bouddhiques. On en retrouve ainsi l’usage aussi bien chez les Bouddhistes tibétains, que chez les Zen. Pour les plus élaborés, ils sont faits d’un alliage de 7 métaux – associés aux sept chakras.

**** Il émane de cette ville, une atmosphère de quiétude et des bonnes vibrations. Les gens qui s’y retrouvent sont plus ou moins portés sur la spiritualité, ou en tout cas, sur le bien-être et le bien-vivre. D’aucuns diront que cela pourrait être une ambiance hippy, c’est en tout cas, très décontracté, laissant ainsi la place à la bonne humeur, au sourire et au respect.

***** Nous laissons à l’auberge beaucoup de nos affaires, afin de partir en trek avec un sac le plus léger possible. Le choix des vêtements a été minimal, il n’y a pas grand-chose « en trop ». Certes, dans ce cas, pas besoin d’équipement de camping, nous n’avons pas à être en totale autonomie comme lors de notre séjour autour d’Ala-köl. Et à vrai dire, nos sacs sont surtout remplis de nourriture pour les en-cas quotidiens.

12 thoughts on “3 jours à Pokhara

  1. Après les désertiques montagnes, la luxuriante végétation, et des mines …… mais des mines …… extrêmement réjouies et heureuses !
    La société a du bon …

  2. J’ai le grand bonheur d’avoir rapporté, l’an dernier, de Darhamsala, un magnifique bol tibétain au son prodigieux, qui accompagne la fin de mes cours de yoga, chaque semaine…
    Belle rando ! Bises.

  3. Nous aussi on est cool. Nous aussi on peut boire du the au lait et taper sur des bols (ou des bambous et être numéro 1). Va falloir qu’on se voit bientôt pour vous le rappeler je pense…
    Sinon ça fait plaisir de vous voir réjouit, la mine radieuse et les joues pleines. Les photos sont moins impressionnantes (paysage), mais elles appellent d’autres émotions tout aussi forte (bonheur de vous voir en photo plus que d’habitude.

  4. Vaut mieux chiller au son des bols de Pokhara qu’au son de Matt Pokora.
    (C’est très nul, mais je prépare une présentation dans un Ibis de Bruxelles, je plaide donc les circonstances atténuantes).

  5. Dear friends, it’s so beautiful for us to read about your adventures and we feel lucky that we were there!! A lot of love from us, it feels strange that you are not 3 days after us anymore, but you are in our hearts!!! Bisous from Sjoerd en Manon

  6. Hahaha ce trajet avec une chèvre a dû être magique !!

    Super la session de relaxation singing bowls. Je me serai endormi c’est certain…

    En tout cas, vous avez l’air d’avoir recharger à fond les batteries dans votre petite prison zen et verdoyante 🙂

    Bonne balade sur les sommets du monde !!

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