… y’en a encore !

Nous nous réveillons sous un large ciel bleu mais patientons un peu, attendant que le soleil vienne réchauffer notre tente. La nuit a été fraîche, voire froide pour Marion qui en a un peu souffert (nous sommes tout de même à 4200m d’altitude).
Ainsi, notre journée débute avec les rayons du soleil qui apparaissent doucement au-dessus des montagnes nous entourant. Sur la route, nous entendons les premiers motards et véhicules qui s’élancent en direction de Leh.

Nous rangeons nos affaires tranquillement et plions notre tente nazi : c’est surement la dernière fois que nous l’utilisons lors de cette aventure himalayenne.
Nous quittons ce joli campement, à califourchon, serrant les réservoirs froids de nos motos. Le « village » de Sarchu n’est qu’à une vingtaine de kilomètres, nous prendrons un petit déjeuner là-bas.

Nous retrouvons le doux asphalte de la veille, déroulant son étroit ruban noir à travers la vaste vallée qui s’ouvre progressivement. La rivière Tsarap dessine de larges méandres sablonneux, créant un tapis uniformément gris. Nous longeons la rive gauche, entre douces pentes d’un côté, et amples et imposantes montagnes de l’autre.

Nous roulons bon train de bon matin. Nous sommes seuls dans cette vallée et ne croisons que de rares camions citernes d’essence. Quel plaisir de pouvoir savourer encore plus longtemps ces incroyables paysages.

Au détour d’un énième virage, Sarchu se dévoile à nous. On ne sait si cet endroit n’eut jamais été un village. Aujourd’hui ce ne sont qu’une enfilade de cabanes en tôle et bois qui abritent quelques chambres sommaires, quand ce ne sont pas de vastes campements de luxe installés de l’autre côté de la rivière.
Sarchu est en effet situé à mi-chemin sur la route Manali-Leh, et nombreux sont ceux qui s’y arrêtent le temps d’une nuit, pensant satisfaire le besoin d’acclimatation. Situé à 4300m alt., autant dire que la plupart des voyageurs désirant rejoindre rapidement Leh passent, à priori, une nuit plutôt inconfortable.

Peu-importe. Il est 10h00, et à cette heure, tout le monde a déjà plié bagage depuis longtemps. Nous rejoignons donc Sarchu ravis de ne pas y avoir fait halte, mais heureux de pouvoir y prendre notre petit-déjeuner, au calme.
Nous nous installons en terrasse, au soleil, et savourons notre thé-omelette avant de rejoindre le checkpost, situé en amont d’un pont enjambant une rivière.
Mais rapidement, nous comprenons qu’il y a un problème. Plusieurs camions semblent bloqués et plus rien ne bouge de part et d’autre du pont.
Au pied de l’étroit tablier métallique, en bas d’une petite côte, un des véhicules est en panne. La cabine grande ouverte laisse apparaitre la mécanique, la benne est coincée contre la falaise, un attroupement autour du moteur, tout cela n’est pas de bon augure.
Nous garons les motos et partons examiner la situation, visualiser l’espace que nous aurions pour doubler le premier camion sans tomber dans le ravin, si le camion numéro 2 peut avancer ou reculer, idem pour le numéro 3…
Les militaires du checkpost viennent observer à leur tour, puis nous aident à passer en faisant déplacer les véhicules de quelques dizaines de centimètres. Victoire ! nous traversons le pont !
Mais le temps passé à discuter, le bouchon s’est étiré de l’autre côté, les véhicules s’entassant pour ne plus laisser aucune manœuvre possible sur la route étroite, inondée et caillouteuse, les énormes rochers qui la bordent, et les larges camions stationnés – à la limite du convoi exceptionnel. Tout cela empêche indéniablement tout dépassement, même pour nos étroits véhicules. Il va donc falloir attendre.
Pendant ce temps, les chauffeurs des autres poids-lourds se joignent autour du véhicule en panne pour le pousser (oui oui, ils poussent le 36 tonnes.) et le sortir de sa panade, dans un nuage de poussière et de garniture d’embrayage brulée.
Une heure après avoir englouti notre omelette, nous doublons enfin le convoi, parvenant à nous frayer un passage face aux nombreux automobilistes pourtant peu enclins aux concessions.

Enfin, nous pouvons souffler. Nous sommes de retour sur cette belle route, seuls.


La journée va être belle. Nous sentons que nous nous enfonçons de nouveau dans un incroyable paysage. La rivière Yunam, lovée au creux du canyon ocre, accompagne notre douce évolution. Les montagnes aux flancs gris coulent sur cette verte lande plaine, où la vie humaine n’a pas tenté de s’installer. Nous sommes encore une fois, surpris par les échelles démesurées. Nos yeux tentent de définir l’étendue qui nous entoure, mais nous peinons à en discerner les contours.
À mesure que nous progressons en direction du col, le paysage se resserre, nous faisant longer de sombres mastodontes minéraux aux sommets enneigés. Roche ocre, rouge et terre de sienne, cailloux et sable, chaque kilomètre effectué est l’occasion d’émerveillement face à cet environnement, malgré la chaussée poussiéreuse qui retrouve un caractère accidenté. Notre épopée n’est définitivement pas terminée.


Nous continuons de suivre la Yunam, nourrie par les neiges. Alors qu’elle était canalisée en amont, nous longeons, cette fois-ci, son vaste lit, chargé d’alluvions. La route est en éternelle construction sur quelques kilomètres et de larges cailloux plat du lit d’un affluent nous rendent le passage éprouvant.

Après le franchissement d’une courte passerelle de bois, Marion perd l’équilibre et tombe. Rien de grave, elle relève la moto et se remet en route.
Mais arrive un passage de rivière, qui mériterait, pour le coup, l’installation d’un pont.
On observe le terrain très accidenté de la rivière : il y a beaucoup d’eau et un débit intense, et les cailloux sont larges. Brice s’élance, ça secoue pas mal, mais ça passe en soubresaut et déséquilibre. Alors qu’il va aider un motard en peine, Marion se lance à son tour, essayant de prendre le même chemin que Brice. Malheureusement, les cailloux sont imposants et font dévier la roue avant qui prend une autre direction. L’eau et le poids de la moto entraine Marion, qui perd pied et tombe sur son flanc dans le glacial courant de la rivière. Elle tente alors de redresser la moto. Mais elle est trop lourde cette fois-ci et parvient à peine à la maintenir hors de l’eau le temps que Brice et l’autre motard viennent lui porter aide… et se mouiller les pieds à leurs tours.
Brice s’occupe alors de la moto et rejoint la berge, tandis que Marion bien mouillée et secouée par cet échec, se remet doucement. Heureusement, nous portons notre pantalon imperméable depuis le passage du Pensi-La, ainsi que nos coupe-vent. Mais il n’empêche qu’au moment de se remettre en selle, nous avons les pieds trempés, et un peu plus que ça pour Marion… La reprise de confiance est compliquée.
La route continue de nous emmener dans ces larges étendues d’altitude. Les épais nuages cotonneux habillent le ciel bleu, et les montagnes noires se parent d’amas de neiges. Nous serpentons paisiblement à travers ces plaines verdoyantes où seules quelques herbes parviennent à pousser.

Le passage du col de Barralacha (4928m alt.) nous fait quitter la rivière Yunam et nous rejoignons, après le passage d’un lac étrangement bleu, d’interminables lacets – et le croisement d’un énième et impressionnant convoi militaire, le campement de Zig Zag Bar pour un bol de nouilles chaudes, le temps de faire sécher nos chaussettes/chaussures/gants.





Nous ne nous attendions pas, qu’avec le passage du col, le paysage change si brutalement.
Les flancs des montagnes se parent progressivement d’arbres et de plantes. Le large lit de la rivière aux pierres roses devient une vallée encaissée. Tout devient plus vert et plus habité à mesure que nous perdons de l’altitude.


Quelques pâturages occupent les plateaux tandis que des murets de pierres dessinent des lignes bien droites séparant les cultures dans cet environnement naturel. De longues cascades coulent des parois et irriguent les terrains en aval, tandis que subsistent les restes d’amas de neige de l’hiver dernier.
Nous traversons encore quelques passages d’eau, certains étant bien profonds, sur plusieurs dizaines de mètres, et bordant une haute falaise.




Notre descente nous fait rejoindre la confluence de la rivière au niveau du village de Darcha, où un impressionnant éboulement a imposé au fleuve un large détour.

Et puis, sans trop nous en rendre compte, les pins recouvrent les abords de la route, accompagnés de fleurs et papillons. Les cultures en terrasse habillent dorénavant la vallée. Nous avons l’impression d’avoir rejoint les Alpes.


Nous sommes fatigués et les derniers kilomètres se font à bon rythme sur une route désormais bitumée et dans la hâte d’arriver.
Néanmoins, ce nouveau paysage nous perturbe. Nous n’étions pas prêts. Pas préparés à quitter si subitement les hauts plateaux arides du Ladakh.
Malgré la beauté de la Nature qui nous entoure, nous sommes émus.

On retrouve aussi un peu plus de monde sur la route, les abords de la rivière sont constellés de tentes et campements dortoirs pour les Indiens en courtes visites dans la région. On réapprend à conduire avec « du monde », et prenons garde aux quelques camions qui déboulent à tombeaux ouverts dans les virages.

La rivière Bhaga s’écoule dans une gorge en contrebas que la route vertigineuse surplombe de plusieurs centaines de mètres quand nous arrivons à destination.

Sarchu – Keylong: 128km (07h18’ dont 53’ de pause à cause du camion cassé) – done

Keylong est un petit village installé en contrebas de la route principale. Les maisons de béton aux façades colorées s’accrochent sur les pans abrupts de la montagne, s’enfonçant dans la gorge où coule la rivière.
Nous sommes plutôt satisfaits de nous arrêter ici. Cet endroit semble assez calme, même si nous réalisons que nous avons quitté les immensités himalayennes et retrouvé « l’Inde ».

Keylong possède encore quelques temples bouddhistes, mais les Hindous sont majoritaires dorénavant.
Dans les ruelles du village, les échoppes de momo côtoient celles de sucreries indiennes et samosa.

Nous trouvons rapidement un hôtel sur les hauteurs du village, dont notre chambre possède de grandes fenêtres qui nous permettent de garder un œil sur les montagnes, et finissons la soirée dans un petit buibui autour d’un bon rice and vegetables.
Nous sommes bien claqués. Les heures de route, l’intensité des émotions face à la variété des paysages de la journée, les rivières, l’altitude et puis un peu de nostalgie d’avoir finalement quitté les infinis plateaux et les imposantes montagnes du Ladakh…, nous font rejoindre Morphée de bonne heure.

6 thoughts on “… y’en a encore !

  1. Marion : tu déchires. Faut vraiment avoir du courage et de l’abnégation pour continuer la route en moto malgré les chutes, l’eau glacée…
    Le convoi militaire est impressionnant : j’imaginais pas que y’avait autant de camions

  2. Impressionant. Je pense pas avoir deja passe autant de temps a regarder vos photos. Je sais pas pourquoi tout le monde s’extasie sur Marion. On sait tous que tu es capable de bien plus difficile, y compris de supporter Brice depuis tout ce temps.

  3. Coucou les amis !!

    Ça fait plaisir de vous relire après tant de temps 🙂
    Content de retrouve toutes ces couleurs…Le bleu du ciel, le bleu du lac, l’ocre des montagnes, le vert des montages, et le blanc des sommets. Un post haut en couleurs et en sensations 🙂
    Une panne, un chekppoint, une chute, un thé-omelette au soleil ! Il y en a pour tous les goûts.
    Faites un bisou de ma part aux montagnes arides. Elles vont me manquer aussi.
    Bonne continuation.
    Tchusss

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