Faste and luxious

[Info pour ceux qui sont perdus : nous avons séjourné dans cette région de Chettinad du 8 au 11 Mars dernier. C’était il y a tout juste un mois, on se rapproche !
Plus d’info sur la carte à ce lien]

C’est dans le temple de Tanjore, à l’endroit même où la veille Marion faisait ses croquis, que nous retrouvons Johana, Michael et Marcus !

Dès qu’il aperçoit Brice, Marcus court lui sauter dans es bras !
Et nous nous embrassons tous, faisant fi des regards amusés des Indiens. Nous sommes ravis de nous retrouver. Cela ne fait pourtant que trois mois et demi que nous ne nous sommes pas vus, mais voilà, ni les uns, ni les autres nous n’avons l’occasion de voir des copains si souvent.Nous sommes super contents que Johana et Michael aient annulés leur voyage en Oman et à Hong Kong pour venir nous voir au fin fond du Tamil Nadu. À moins que ce ne soit l’ombre du covid19 – alors émergeante à l’époque – qui ne leur ai fait changer leurs plans, et ce pour notre plus grand bonheur.

La visite du merveilleux temple de Tanjore n’est qu’un prétexte pour nos retrouvailles.
C’est aujourd’hui encore la fête du Nandi, et même si la foule est moins nombreuse que la veille, il y a tout de même trop de monde, dans une profusion de couleur, pour que nous puissions pénétrer le mandapa ou le sanctuaire. Mais cela n’empêche pas la foule de fidèles de se bousculer pour voir le linguam.


Ainsi, après en avoir fait le tour au ralenti, observé les prêtres souffler dans leur conque sacrée et refusé plusieurs dizaines de selfies, nous quittons le temple en direction du Fort de Tanjore (construit sous les Nayaks de Tanjore, gouverneurs des Vijayanagar).

Mais ici aussi, des bus déversent des flots incontrôlables de mignons écoliers criards en uniforme (ils doivent être deux cents aujourd’hui ! la hantise de Marion !). Ainsi, nous préférons profiter les uns des autres et retrouvons très vite le calme et la fraicheur de la voiture que nos amis ont louée pour la journée et prenons la route de Karaikudi, la ville la plus importante de la région du Chettinad, et notre lieu de villégiature pour les prochains jours.
Un dernier arrêt en chemin par le fort en ruine de Thyrumayam, d’où nous jouissons d’une vue à 360° sur la plaine qui nous entoure. Le vent est chaud, l’air est sec.


Nous en faisons le tour, passant même par la minuscule grotte creusée à une vingtaine de mètre du sol. Peut-être pas la meilleure idée du week-end au regard de l’accès périlleux…  Puis rejoignons le village de Kanadukathan.

Nos amis ont quitté la ville turbulente de Bombay quelques jours auparavant, pour la sérénité de cette contrée.
Ils se sont trouvés une jolie chambre dans une ancienne demeure, reconvertie en hôtel de charme. Du mobilier aux volumes des espaces, tout est confortable.

De notre côté, nous posons nos affaires à quelques centaines de mètres de chez eux, au cœur du village, dans une auberge déserte (le logement le plus cher que nous ayons jamais eu en Inde, mais bénéficiant d’une clim’ et surtout d’un calme incroyable). Nous n’avons jamais aussi bien dormi en Inde qu’ici. Pas un bruit la nuit. Rien. Le bonheur ! On ne pouvait espérer mieux après ces derniers jours bruyants.

Les vacances commencent !

Nous partons tous les cinq nous balader à vélo dans les ruelles incroyablement calmes, propres et paisibles du village. On se sent tellement loin de l’Inde trépidante.


Il faut dire que la région de Chettinad est particulière.

Située au Sud du Tamil Nadu, la région du Chettinad (qui inclut Karaikudi, sa capitale et 74 autres villages sur 1550 km2) est le pays des Nattukottai Chettiar, une communauté de la caste des marchands, qui ont largement émigré en Asie du Sud et Sud-Est et en particulier au Sri Lanka, en Birmanie et en Malaisie, entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle.
Les Chettiar se sont enrichis sous l’Empire Britannique, en commerçant alors avec ces régions du Raj.

Ils ont rapatrié une partie de leur gain dans leur région natale et c’est ainsi que le Chettinad prospéra pendant plusieurs décennies. Les Chettiar développèrent leurs villages en repensant la géographie urbaine : rues orthogonales, gestion de l’eau et innovations techniques qui dénotent avec la ruralité du Tamil Nadu.

Mais il se lancèrent aussi dans la construction d’imposantes maisons palatiales, de styles architecturaux divers (britannique, néo-baroque ou encore art déco), et aux matériaux et mobiliers de valeurs.
La laque et le teck de Birmanie, les céramiques du Japon ou d’Europe, le marbre d’Italie ou de Belgique, tout comme les miroirs et le cristal, les émaux de République Tchèque, rien n’est oublié, le tout dans une harmonieuse rencontre d’architecture tamoule, orientale et occidentale.

Cette soudaine émergence d’incongruité spatiale et de style, et l’étalement ostensible de richesse par des expatriés parvenus dans leur région natale, n’est pas sans nous rappeler les Diaolou, que nous avions vus dans le Sud de la Chine, il y a presque deux ans maintenant.

Mais voilà, la fin de l’Empire des Indes Britanniques mit fin aux échanges entre ses différentes contrées et à l’enrichissement des Chettiar.
Il y aurait eu plus de 10000 maisons-palais à travers la région. Malheureusement, la plupart ont été vidées, et sont désormais laissées à l’abandon. L’entretien de telles demeures est trop lourd pour les descendants, certains les ont démantelées pour revendre les matériaux, pour le plus grand bonheur des antiquaires du coin.
Aujourd’hui, seulement une dizaine d’entre-elles se visitent. Musées, hôtels* ou maisons encore occupées par quelques familles, nous allons pousser les portes de certaines d’entre-elles ce weekend.

Ainsi, assis sur nos biclous, et bercés par les doux rayons de fin de journée, nous zigzaguons à travers les ruelles rectilignes du village, bordées de ces imposantes maisons aux façades beiges**.










La première maison dans laquelle nous entrons nous impressionne par son vaste hall, au plafond cathédrale et aux colonnes en marbre noir.
À vrai dire, toutes ces maisons sont construites selon un même modèle, qui suit les règles du vastu shastra, la science de l’architecture de l’Inde antique.

Le vastu shastra décrit « les principes fondamentaux liés à la conception, l’orientation, les mesures, la préparation du sol, l’aménagement de l’espace et de la géométrie. Le vastu shastra s’intègre dans les croyances traditionnelles hindoues. Ses principes sont destinés à mettre en symbiose architecture et nature, environnement et conscience. Pour cela, le vastu shastra prend en considération les fonctions des différentes parties de la construction et utilise des motifs géométriques (yantra) issus de croyances ancestrales et applique un principe de symétrie et d’alignements directionnels ».
Un FengShui hindou en quelque sorte.

Ainsi, on retrouve une succession de cours intérieures et de halls qui créent une élégante perspective, s’enfonçant sur plusieurs dizaines de mètres sur toute longueur de la maison.
De larges colonnes en bois entourent la cour principale et centrale, sur laquelle donnent de petites salles.


En nous enfonçant et nous perdant dans les enfilades de pièces, nous découvrons les cuisines, les salons, les chambres.
À l’époque, une famille était composée d’une quarantaine de personnes, sans compter les aides et domestiques.
Ces maisons palatiales sont énormes. Nous tombons sous le charme alors que nous scrutons les détails des interrupteurs, des vitraux, des sculptures encadrant les massives portes, des fresques, des balustrades, du mobilier.

Les périodes, les architectures, les habitudes se côtoient dans un heureux mélange de styles que nous prenons plaisir à découvrir.
Johana, notre indéfectible guide, nous mène de maisons en allées, alors que les lumières dorées de la fin de journée se posent sur les toits de tuiles du village.


Nous entendons les oiseaux. Pas un moteur ni klaxon ne vient troubler le silence précieux.

Nous finissons la soirée avec les copains, entre apéro au bord de la piscine, et cuisine du Chettinad, réputée pour ses épices et curry savoureux.

Le lendemain, nous partons rejoindre le tout proche village de Kothamangalam.
Nous nous baladons dans les artères et venelles peu ombragées mais aux habitants souriants et bienveillants qui nous invitent à siroter, à l’ombre de leur rustique perron, de rafraichissantes noix de coco, tout juste cueillies par un grimpeur habile.


Alors que le soleil irradie le Chettinad de ses chauds rayons, nous nous installons dans le patio de la villa Saratha*, jolie maison d’hôtes rénovée par deux architectes français, et y passons plusieurs heures entre visite de la maison et de certaines chambres, jus de citron frais, croquis et longues papotes.

Une fois encore, la maison reprend la même organisation spatiale que celles précédemment visitées, mais nous avons la chance de croiser les propriétaires (et architectes donc), qui nous racontent un peu plus en détail les joies d’une telle restauration mais aussi les complications administratives à travailler sur le patrimoine indien.

Les matériaux sont beaux : teck de Birmanie, marbre de Carare, lustres de Belgique, les frises peintes en peinture végétale, le mobilier ancien et contemporain, les miroirs piqués, les sculptures locales, la couleur de certains murs, et puis toujours cette perspective, la cour intérieure, la coursive à l’étage, le volume des pièces et les ouvertures.





Il fait bon vivre dans ces palais. L’harmonie est belle, voici le bienfait du vastu shastra.

En quittant le village en autorickshaw, nous passons par une fabrique de gâteaux et sucreries locales. Du ghee, du sucre et de la farine, le tout sous un préau en tôle où une poignée de femmes s’affairent à enrouler et cuire cette pâte croustillante dans de grosses marmites où bouillonne l’huile.
Nous repartons la bouche pleine de laddu riches et denses.


Un dernier tour dans le village. Lumière chaleureuse, façades décorées, quiétude, apéro et diner, voila encore une belle journée.



Nous sommes le 10 Mars, et aujourd’hui c’est Holi, la célèbre fête des couleurs.
Il y a 5 ans, nous nous étions retrouvés en plein Assam, lors de cette célébration, complètement recouverts de ces poudres qui font la beauté de cette fête, à danser avec des Rajasthani, gouter du ban et voir un éléphant tout peinturluré.
Mais ici, il n’en est rien.
Le Sud de l’Inde ne célèbre pas Holi de la même façon que dans le Nord. On appelle cette fête Masi magam, célébration qui dure dix jours dans les temples de Shiva, principalement.

Ainsi, rien ne transparait, tout est calme dans le village de Kanadukathan.



Une fois notre délicieux uttapam de petit-déjeuner savouré et notre thé ingurgité (tous deux préparés dans des conditions sanitaires qui nous ferait hésiter dans le contexte actuel), nous partons avec les copains en direction d’un énorme temple perdu au milieu de nulle part.
Face à chacun des multiples sanctuaires, nous observons pour la première fois, des véhicules tel que le paon ou la souris qui font face à leur dieu respectif : Muruga (ou Saraswati) et Ganesh.
Les hauts piliers sculptés et la pénombre créent un cadre mystérieux dans lequel nous circulons doucement. L’ambiance est insaisissable – un peu malodorante aussi.



Perdu dans la campagne du Chettinad, ce temple est une jolie surprise.

En rentrant, nous passons devant un temple Ayyanar aux imposants gardiens sculptés, qui entourent la porte.

Ayyanar est un dieu local (bien que né de l’union des dieux Shiva et Vishnou, il n’appartient pas au répertoire des dieux hindous). En charge de la protection des villages du Tamil Nadu contre les mauvais esprits, les inondations et les sécheresses qui menacent les communautés agricoles, il passe ses nuits, monté sur son cheval blanc et armé d’une épée et d’une lance à galoper dans les villages pour en chasser les esprits malfaisants.

Dans les temples Ayyanar, les prêtres ne sont pas des brahmanes, comme il est de coutume dans les temples hindous, mais des artisans de la caste des potiers – les Velars.
Aussi, on retrouve ces larges sculptures en terre cuite, qui sont offertes à Ayyanar lors de la fête annuelle de Puravi Eduppu.

Les chevaux blancs d’Ayyanar sont entourés de gardes bedonnants à la peau bleue et accompagnés d’éléphants et de vaches, que l’on retrouve devant les temples, bien alignés, aux oreilles relevées et à la peinture délavée. Certains ont perdu une patte et flanchent, mais cette armée endommagée d’animaux de terre cuite nous émerveille. Les statues étaient à l’époque fabriquées collectivement par les habitants du village. Ce savoir-faire se perd, la terre cuite ayant été remplacée par le béton.Mais il est émouvant de pouvoir encore observer la vénération ancestrale des habitants du Tamil Nadu pour Ayyanar.

La journée passe rapidement. Nous faisons un dernier tour dans le village, et visitons une autre demeure. Celle‑ci est encore occupée par quelques membres de la famille. Nous aurons ainsi la chance de voir la maison dans « son jus ».
Mais tout y est. Les matériaux d’origine, le mobilier, les cours, la perspective. Ajouté à cela quelques vêtements suspendus, des toiles d’araignées, des portraits de famille et du riz qui sèche dans les vastes pièces qui composent cette maison.

Notre beau weekend entre amis prend fin.
Johana, Michael et Marcus prennent la direction de Madurai, avant de rentrer à Bombay.
C’était une belle pause, hors du temps et de l’Inde telle que nous la vivons d’habitude. Un séjour facile, sans contrainte. Et avec la chance d’être accompagnés des copains.
Merci donc d’avoir préféré le Tamil Nadu à Oman.

De notre côté, nous nous sentons bien dans ce village. Et rien ne presse – encore.
Nous profitons d’une journée supplémentaire, au calme de notre auberge et dans le charmant village pour quelques chai, dosa et uttapam, croquis, blog et balade dans la quiétude des ruelles du Chettinad et de ses maisons palatiales étonnantes.

 

 

‘* Deux architectes français, Bernard Dragon et Michel Adment, ont créé une ONG au début des années 2000 afin de défendre la conservation de ces maisons du Chettinad auprès du gouvernement du Tamil Nadu et obtiennent finalement l’inscription de trois villages dans une liste indicative de l’UNESCO.
En 2010, ils restaurent un de ces palais pour le transformer en maison d’hôtes de charme.
En parallèle, ils créent l’association ARCHE-S, dont les objectifs sont de préserver et de promouvoir le patrimoine culturel et naturel de la région du Chettinad.

** On parle ici de chettinad egg plaster, un enduit typique de la région, fait à base de coquille d’œuf. Construits en brique, les murs sont ensuite recouverts de plusieurs couches de mortier de chaux blanche, sur lequel on ajoute une autre couche de chaux.
La finition se fait à l’enduit de Chettinad, à l’œuf donc, sur lequel, enfin, frises et fresques seront ajoutées.

13 thoughts on “Faste and luxious

  1. Le luxe dans lequel vivaient les familles a sans doute rejailli et amélioré le sort de la population à qui elles donnaient du travail, donc du « pain ».
    Nul doute que les « vieux indiens » ont dû en avoir la nostalgie !
    En tout cas ces maisons-palais sont magnifiques.

  2. Très rafraîchissant ce post avec beaucoup moins de tumulte que dans les grandes villes… et des passages « histoire » intéressants.
    Je ne sais pas si ça vaut Oman… c’est juste différent

  3. Bonjour.
    Comme cela fait toujours du bien de lire de vos exploits.
    Je regrette de me pas avoir ete avec vous,mais en vous lisant,en voyant les super photos,j y etais quand meme.
    .ha les chettiars,mon premier cour dans le musee a Singapore afin de devenir Guide dans le Asian Civilisations Museum.
    Comme cela me fait dus bien de relire tout cela er de me rafraichir la memoire .
    Un grand merci pour une tres belle histoire avant de me coucher ce soir.
    Christine

  4. Coucou les amis ¡

    Incroyables ces petits palais défraichis. La vie dans ces demeures à la belle époque devait être magique !

    La cour intérieure de la seconde maison est magnifique. Je ne suis pas trop fan du vastu shastra, mais cette cours intérieur m’a presque fait changer d’avis. Je m’imagine bien vous mettre une fessée au Backgammon sur ces chaises en rotin.

    Gros bisous

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