Là où l’on va : pas besoin de route

Aux aurores du 6ème jour, nous quittons Gilgit en direction de Skardu.

Située au confluent des rivières Indus et Shigar, la capitale du Baltistan niche dans une large plaine à 2200m, entre les chaines de montagnes du Karakoram et de l’Himalaya.
Cette ville est idéale pour explorer les sommets environnants… ce que nous ne ferons pas.
Pas cette année en tout cas, puisque les températures en cette fin septembre frise le gel en soirée.

Bref, ce n’est pas un bled perdu, et pourtant.

La route est longue, on a été prévenu.
Elle n’est pas en bon état non plus, on nous l’a dit.
Mais nous ne savions pas encore vraiment à quoi nous attendre.

Nous quittons donc Gilgit, bien installés sur LEO et LEX, direction plein Est.

Roulant sur la Karakorum Highway, l’air frais de ce matin nous fait du bien.
Le doux asphalte de cette voie rapide défile sous nos pneus lisses.

Et puis au bout de 35km, au confluent de la rivière de Gilgit et du fleuve Indus, arrive la bifurcation pour Skardu.
Nous traversons la vallée encaissée sur un pont fraichement construit et nous nous élançons sur la chaussée déjà peu large. Il ne nous faut pas plus de 500m pour la voir se réduire et disparaitre en quelques pièces de bitume éparses sur une piste accidentée de 2.5m de large.


Le groupe s’arrête alors, on en profite pour faire des photos des montagnes énormes qui nous encadrent. Des strates de granit blanc de plusieurs dizaines de mètres d’épaisseurs lézardent leurs flancs, tandis que des traces d’oxyde de fer coulent sur la roche.
Le moins fier d’entre nous demande à Hashaam : « ça va être comme ça pendant les 170 prochains kilomètres ? » et lui de nous répondre : « ça va être pire ».

Le groupe reprend la route, longeant la montagne, sur la berge Nord de l’Indus.



Nous fermons la marche, Marion pour prendre son temps, et Brice pour prendre du plaisir à creuser l’écart avec le peloton de tête, pour les rattraper une fois Marion dans le rétro’, bondissant de patch d’asphalte en patch d’asphalte, rétrogradant pour jouer avec la zone rouge et voler par-dessus les sections les plus caillouteuses à une poignée de kilomètres par heure… et de se retrouver au détour d’un virage derrière un camion bariolé roulant au pas.
Et dire que cette route étroite et défoncée est le lien principal entre les deux villes de Gilgit et Skardu.





Tout ce trajet est éprouvant, accidenté, caillouteux, poussiéreux, vertigineux. Nous nous arrêtons régulièrement pour reprendre nos esprits avant de nous élancer à nouveau, une fois le groupe réuni.

À plusieurs reprises, nous sommes stoppés par les engins de chantier, déblayant la route sous la supervision de l’armée et qui, dans un nuage de poussière, déversent les gravas dans le lit de la rivière quelques centaines de mètres en contrebas.

Ceci crée des embouteillages monstres, notamment au moment où la route est régulièrement réouverte et que camions et automobiles, dans les deux sens, cherchent à s’insérer sur l’étroite chaussée bordée, d’un coté de la montagne, de l’autre, du ravin.
Il n’est pas rare alors de voir les camions, croulant sous le poids de leurs fardeaux, se lancer dans des manœuvres à moins d’un mètre du précipice. Notre respiration se coupe alors, on grimace et on laisse passer ces véhicules chargés à ras-bord, espérant que la structure de la « route » tienne.

La route de Skardu serpente donc dans la vallée de l’Indus, très encaissée sur cette section, et la paroi de la montagne est parfois si abrupte qu’un demi tunnel est alors creusé dans la roche, ne laissant que le champ libre au passage d’un camion.

Parfois de fines chutes d’eau rafraichissante goutent de la roche, dans cette poussière environnante. On en prend alors plein les pieds et le pantalon de cette fraiche boue, avec l’impression que ça rafraichit aussi nos motos.
Mais, toujours pas de bitume.

Les villages sont peu nombreux le long de la route, et ne sont accessibles que par des ponts suspendus qui font désormais partie du paysage.


Et lorsqu’on dit suspendu, ce sont vraiment des ponts suspendus.



Une étape salvatrice à mi-parcours. Lunch-time !


Fatigués, quelques chapati, dhal, pois chiches, et chai nous réconfortent et nous donnent la force de repartir. Nous n’avons de toute façon pas le choix. La digestion se fera en route, alors que les rebonds et vibrations reprennent rapidement.

La seconde partie de la route est autrement plus éprouvante.

La vallée y est moins encaissée.
La route monte et descend. Elle suit le relief et serpente dans les méandres des affluents du fleuve.



Le trafic y est plus dense, on retrouve plus de camions.
Ceux-ci évoluent au pas sur ces routes cahoteuses.

Ces camions décorés font partie du folklore des routes pakistanaises.



Leur chauffeurs courtois nous saluent et se déportent généralement quand nous les croisons – nous sommes alors le long de la paroi rocheuse, ou quand nous les doublons, il nous faut alors viser juste car un mètre plus à droite, et c’est la rivière.

Ce n’est pas le cas des bus et minivans pressés qui foncent à tombeaux ouverts. Dans les villages, dans les virages… peu importe, il faut se pousser pour ne pas se faire faucher.

Les villages traversés sont faits de maisons maçonnées de pierres grossières, de petites échoppes façonnées de planche de bois. La route étroite est souvent encombrée de piétons et villageois vaquant à leurs occupations. Là encore, on se demande comment de larges engins parviennent à se frayer un passage sans emporter un habitant.

Là encore, on se demande pourquoi la DDE pakistanaise a décidée de refaire les 170km de cette route en une seule fois et non pas par tronçons, afin de laisser un peu de répit de poussière et de cailloux aux habitants de ces villages isolés.

Les abords des villages sont faits de champs verts, délimités par des murs de pierres.
Mais il faut rester vigilant et constamment garder un œil sur la chaussée qui est au mieux, faite de terre battue, et au pire de pierres rondes logées dans le sable.

Quelques sections larges ont permis aux engins de faire de larges pistes, sur lesquelles il nous faut alors filer à vive allure pour ne pas subir les vibrations dues au relief en tôle ondulée.

Ceci se fait dans un nuage de poussière – encore, qui malgré les visières des casques rabattues, s’insinue partout, notamment quand nous doublons ou croisons un autre véhicule…. Ou qu’une bourrasque vient à s’engouffrer dans la vallée, suivit d’un lent camion dont le moteur peine à tourner, qu’un éboulis est en train de se faire et que le vent fait voler ce fin sable dans les airs.
Autant le dire, le Paris-Dakar n’a plus de secret pour nous.

Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises.
Un peu plus loin, une chaussée revêtue de plusieurs centimètres de cailloux fins et de sable crée un embouteillage de véhicules aux roues ensablées… Là encore, la conduite sur ce terrain est physique pour garder le contrôle de la moto, et éviter à tout prix de s’arrêter.
Paris-Dakar encore une fois.

À mesure que nous remontons la rivière, les flancs des montagnes nous entourant s’aplanissent et le couloir de la vallée s’élargit.


Ainsi, après plusieurs heures de route, nous traversons un pont de fer antique de la largeur d’un camion.
Il ouvre enfin sur l’immense vallée de Skardu, zone de confluence s’étendant à perte de vue.



Enfin ! On y est !
Nos visières poussiéreuses nous empêchent de voir les vraies couleurs de ce merveilleux paysage lunaire qui s’offre finalement devant nous.
À cette saison, les méandres du fleuve ne parviennent à submerger des larges plages de sable fin qui nous intrigue.


Encore quelques kilomètres avant de rejoindre la ville, nous traversons des paysages désertiques, du sable, des pierres, et très peu de végétation.


Nous arrivons éreintés dans notre auberge.
L’excitation du challenge est à son apogée, mais nos corps quelque peu meurtris par ces sept longues heures.


Macérant dans notre état poussiéreux, nous nous détendons dans l’immense jardin de l’auberge, autour d’un bon chai salvateur.
L’eau chaude pour la douche est en train d’être bouillie.
Tout va y passer, aujourd’hui c’est jour de lessive !

11 thoughts on “Là où l’on va : pas besoin de route

  1. C’est rien de dire que la route est en piteux état et que ça devait être éprouvant en moto. Vous êtes bien sur la dernière photo : on vous sent heureux d’avoir terminé l’étape du jour

  2. Comment vous faites pour savoir que c’est du granit blanc? Vous avez pris un guide de géologie avec vous ou vous êtes simplement doués ? Vous m’étonnez à chaque fois avec ce type de petites remarques/anecdotes que j’adore lire mais que je serais bien incapable de savoir si j’avais eu la chance d’être avec vous à ce moment là

  3. Bravo les jeunes !!
    La c’est meme plus le Dakar, c’est une spartanrace en moto…
    Et sans casse mecanique ni même une seule chute ! Au top !
    Mais vous allez faire comment pour repartir de la où vous êtes arrivés ?
    Re-170 km dans la poussière ?
    Bises !

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