Ô Tilich’Ô

J7
Khangsar au Camp de Base de Tilicho

Khangsar : 3750m alt.
Col de Sri Karta : 4283m alt.
Camp de base de Tilicho : 4135m alt.
9.3 km – total : 3h10’

Si nous sommes à près de 3800m alt., la nuit s’est très bien déroulée. Aucun symptôme du mal des montagnes, et emmitouflés sous nos deux couvertures, nous avons même eu un peu trop chaud.

Cependant, le réveil est un peu déconcertant. Nous n’avons plus d’eau dans la maison, ni pour la douche, ni pour les toilettes, et Laxmi est sortie en verrouillant la porte depuis l’extérieur…ce qui est tout de même très contrariant !
Elle et sa sœur reviennent 20min plus tard, un charmant sourire accroché à leurs visages tannés, pour nous préparer le repas.
Nous engloutissons nos tsampa et nous préparons à partir. Chacun son rythme : nous partons à 7h15, accompagné d’Étienne, tandis que Lars a pris une peu d’avance.

Ce matin, Marion a les jambes lourdes. Serait-ce dû à l’altitude ? Ou peut être simplement la fatigue ? Cela fait déjà une semaine que nous avons quitté Pokhara.
Quoiqu’il en soit, la mise en route est difficile. Heureusement, les premiers kilomètres se font en pente douce.

Nous avons le soleil dans le dos, la vallée est baignée par la lumière matinale. C’est magnifique. Les couleurs sont contrastées, les reliefs des pentes érodées sont soulignés par la lumière encore rasante.
Et dans notre ligne de mire, le mont Tilicho, paroi de glace immaculée presque verticale sur fond bleu, nous saute au visage.
Arrivés au monastère de Khangsar, le chemin grimpe sec.
Quinze minutes pour gravir 130m D+ et dépasser le palier des 4000m alt.


Le souffle se fait plus court, il faut apprendre à raccourcir nos pas, tout en conservant le rythme, surtout quand la déclivité se fait plus forte.
Sur l’étroit chemin qui serpente parmi les arbustes épineux, nous rejoignons un groupe de porteurs chargés d’apporter provisions et matériels pour le camp de base de Tilicho.
Ils sont chargés comme des bodets. D’aucuns transportent des bouteilles de gaz, d’autres des victuailles (tu crois que sur un plateau de 36 d’œufs, combien arrivent au camp ?), l’un charrie même des plaques de verre, il doit avoir dix pièces d’un mètre carré chacune. Tout cela est supporté grâce à des lanières prenant appui sur leur front.
S’ils avancent à petits pas, il n’en est pas moins difficile de les doubler.
Le terrain ne nous offre pas assez de place, et nous devons redoubler d’effort pendant quelques secondes et pour passer un porteur, comme dans un sprint mais à 4km/h et avec 12kg sur le dos, pour ensuite reprendre le rythme, rattraper le prochain gaillard et redonner un nouveau coup de collier.
On comprend bien vite que tout voyage à dos d’homme. Ou au mieux par mule pour les charges les plus lourdes ou les moins fragiles, comme les sacs de ciments, les barres d’acier, les poutres ou planches de bois de construction…

Nous rejoignons vite le village-hôtel de Sri Karka.
Et dire que Brice voulait venir jusqu’ici la veille. Ces derniers kilomètres auraient été éreintants.
Le chemin étroit continue à flanc de montagne dans des herbes sèches et arbustes aux couleurs automnales, suivant les courbes de la montagne à altitude plus ou moins constante.
Et toujours dans un paysage grandiose.


Au bout de deux heures, nous arrivons dans la section la plus périlleuse.
Le petit sentier se dessine à peine en travers d’une pente de cailloux glissants.
Le long de la première paroi, le terrain est suffisamment stable et plat pour évoluer à bonne vitesse.

Mais passée une première courbe, nous arrivons dans un paysage de cheminées de fée, ces concrétions sédimentaires, qui pointent dans ce paysage enseveli comme les proues d’épaves échouées sur une mer oblique. Une autre succession de ces orgues aréneuses forment une crête nue, plongeant continument vers le fond de la vallée.
Cette formation rocheuse dessine un croissant embrassant l’aval de la rivière.
C’est magnifique… mais follement vertigineux.
Un mauvais pas, un appui mal assuré et c’est la glissade sur plusieurs dizaines, voire centaines, de mètres.
Et nous devons en permanence regarder vers le haut, afin d’éviter d’éventuelles chutes de pierres.

Brice ne cesse de faire des pauses pour contempler ce tableau extraordinaire et le graver dans son appareil. Marion n’est pas rassurée, mais les yeux grands ouverts, nous admirons ce paysage rocailleux aux diagonales et formes abstraites incroyables.


Et effet, le sentier imprime parfois des pentes un peu trop importantes, descendant en lacets serrés entre deux colonnes de roches, et nous atteignons la limite d’adhérence de nos chaussures. Brice dérape, Marion glisse et tombe sur les fesses. Nous sortons les seconds bâtons pour parer à toute nouvelle chute.

Plus loin, un couple de marcheurs nous alerte de la présence de blue sheeps, un petit troupeau de moutons sauvages (Grand Bharal en français) se tient quelques mètres en surplomb du sentier. Leurs sabots font rouler des cailloux qui avec une telle pente deviennent de dangereux projectiles, ou font glisser des pans de mur.

Nous savourons néanmoins le paysage fabuleux.
Nous nous y sentons si fragiles. Et une nouvelle fois si humbles, si éphémères.

C’est ici que nous rejoignons Lars, nous évoluons tous les trois sur les derniers tronçons de ces chemins de silice. Étienne, quant à lui, a pris du retard – ou son temps.


Le dernier kilomètre se fait le long d’une face tout aussi pierreuse mais à la pente moins prononcée.
Le tracé remontant lentement jusqu’au camp de base, longe deux rivières asséchées dans un paysage de désolation majestueux.



Retour sur terre, nous arrivons à destination peu avant midi et demi, et le camp de base est composé de trois hôtels-dortoirs au-devant de chacun d’entre eux s’étend une longue pièce à vivre.

Si nous sommes parmi les premiers à rejoindre le camp depuis la route de Manang, il règne ici le tumulte des marcheurs revenant du lac et se pressant pour repartir au plus vite. Et cela fait beaucoup de monde. Ce qui augure que ce soir, nous ne serons pas seuls non plus.
Nous négocions difficilement une chambre pour quatre.
Aller, c’est juste pour une nuit. Ça va être top demain !

Nous avons bien fait de privilégier une nuit à Khangsar et couper le trajet vers le camp de base en deux étapes. La plupart des randonneurs s’aventurant vers le Tilicho partent directement de Manang. Bien entendu, dormir à Khangsar nous a raccourci de moitié la journée de marche, mais nous permet aussi d’arriver de bonne heure et d’éviter la foule.

Au fur et à mesure que l’après-midi avance, les nouveaux arrivants se pressent et bientôt toutes les chambres sont prises.
Ce soir, il y a beaucoup de personnes dormant dans la salle commune, notamment des groupes de Népalais*.
On se dit, d’ailleurs, que ce n’est pas marrant pour les derniers arrivés, qui sont souvent les plus lents, souvent aussi les plus fatigués, et qui se retrouveront à passer une mauvaise nuit inconfortable et non régénératrice. Ce soir-là, ils seront au moins une vingtaine à s’endormir, installés sur des matelas tout de même, dans la grande pièce commune.

Nous n’aimons pas du tout l’ambiance vache-à-lait du lieu et pour fuir les mauvaises vibrations ambiantes, nous nous éloignons et prenons un peu de hauteur.

Chacun de nous trouve son caillou, ouvre son bouquin et profite des rayons du soleil, seul moyen pour nous maintenir au chaud, avec le brise fraiche qui souffle.
La paysage est grandiose, nous nous sentons petits dans cet univers hostile.
Il n’y a plus d’arbre. Seulement quelques arbustes et herbes sauvages cramoisies. Sur le versant le plus proche de nous, quelques yaks et chevaux aux poils épais paissent les pentes raides.
Depuis la rivière qui coule au pied du camp de base, s’étirent deux moraines nues, vestiges de leur glacier respectif situés plusieurs centaines de mètres plus haut.
Plus loin, on aperçoit le chemin qui sinue en longs zig-zags et qui rejoint le lac d’altitude 900m plus haut.
Le mur de Tilicho et les sommets adjacents disparaissent déjà sous les nuages.

L’itinéraire de Tilicho est aussi moins plébiscité en raison de l’incertitude qui demeure avec la météo.
Contrairement à la région plus aride de Thorung-La – pourtant seulement à une poignée de kilomètres plus au Nord – le climat est plus humide ici. Il y a beaucoup de nuages et d’autant plus de précipitations. Le temps y est versatile, et c’est d’ailleurs un ciel qui se fait de plus en plus menaçant – les températures chutent dès que le soleil est occulté – qui nous contraint à rentrer, tous les quatre, dans la salle commune.

Nous trouvons une table et nous installons dans le brouhaha de cette pièce trop petite pour le nombre de personnes qui s’y entassent.
Nous nous réchauffons tant bien que mal de quelques tasses de thé, et notre fine équipe fait un peu plus connaissance. Nous glanons aussi quelques informations pour organiser l’ascension du lendemain et avançons un peu plus encore dans nos bouquins.
Malgré tout, la journée semble interminable. À 16h, on regarde déjà le menu pour le diner – hors de prix.

Nous engloutissons nos deux tournées de dal bhat et filons au lit dans notre mini chambre (juste la place pour y caller les 4 lits côte-à-côte et basta).
Nous nous couchons tôt.

Demain matin, réveil à 4h00 pour aller au lac.

NOTES
Nous réalisons que nous sommes en pleine période de vacances népalaises, et le trek menant au Lac Tilicho est très plébiscité par des groupes de Népalais.
Tristement, nous réalisons que beaucoup d’entre eux jettent leurs déchets par terre, parsemant le sol d’emballages et bouteilles en plastique. De plus, plutôt que d’emporter dans leur paquetage des barres de céréales (énergétiques, peu onéreuses et manufacturées au Népal), ils mangent des Snickers importés d’Inde.

N’ayant malheureusement pas autant de temps que nous, nombre de Népalais qui viennent à l’assaut de Tilicho prennent un bus de nuit depuis Kathmandu jusqu’à Besisahar, puis une jeep jusqu’à Manang et une seconde jusqu’à Khangsar, pour se retrouver parachutés à près de 3800m d’alt., 24 ou 30 heures après leur départ. La plupart n’ont aucune préparation sportive (rappelons que seuls les pays développés prodiguent une éducation physique), n’ont jamais fait de randonnée, ne savent pas où ils s’aventurent (une fille nous demandera même s’il fait froid à Tilicho et si elle peut se baigner dans le lac), et n’ont aucune connaissance du mal des montagnes, de ses symptômes et sa dangerosité.
On les croise donc souvent avachis sur les bords des sentiers menant au camp du Tilicho, puis vers le lac, habillés très chaudement (doudoune, bonnet, gants dans la torpeur de la journée), crachant leurs poumons dans un nuage d’effluves d’ail (si au Ladakh, c’était le gingembre qui était conseillé pour faciliter l’acclimatation, ici, on prône une solution moins romantique, mâcher des gousses d’ail).

Khangsar : 3750m alt.
Col de Sri Karta : 4283m alt.
Camp de base de Tilicho : 4135m alt.




J8
Tilicho

Camp de base de Tilicho : 4135m alt.
Lac de Tilicho : 5020m alt.
11.2km – total : 3h55’

Entassés tous les quatre dans notre petite chambre, nous ne dormons que d’un sommeil léger.
Étienne et Marion ronflent fort, et dehors… on entend un clapotis sur les toits en tôle.
En pleine nuit, nous sortons jeter un coup d’œil et observons cet épais nuage blanc au-dessus de nos têtes qui décharge une pluie fine sur le camp et la vallée. Indéniablement, il doit neiger sur le chemin menant au Tilicho.

Nous partons nous recoucher attendant de voir ce qu’il en sera à 4h00, heure à laquelle nous pensons partir.
En nous réveillant quelques heures plus tard, le temps est toujours aussi mauvais.
À dire vrai, le plafond nuageux s’est bien relevé et la lumière de la lune, tamisée par la nuée, nous permet de voir que les flancs des montagnes alentours sont recouverts d’une fine couche de neige.
C’est beau !… mais nous ne sommes pas maso’, et traverser l’isotherme trempés par la pluie, pour ne pas trouver un chemin enseveli sous la neige, le tout dans l’obscurité précédant l’aube tardive ne nous enchante guère.
Et pourtant, on hésite longtemps, notamment quand on voit que les plus braves s’élancent vers le lac.

Nous décidons cependant de nous recoucher. On verra bien dans une heure… finalement il pleut encore.
Toutes les 20 minutes, l’un de nous sort voir le ciel.

Doucement, l’hôtel se vide. Tout le monde part, sauf nous.
On se dit que le temps va bien finir par se lever. Et puis, de toute façon, ça bouchonne sur une partie très raide du chemin. À seulement 10 minutes de marche d’ici, une foule de plus en plus nombreuse grimpe dans la boue et s’agglutine quand elle se confronte aux personnes les plus lentes (souvent des groupes de Népalais, qui marchent hyper doucement), un cheval en peine (car certains font l’ascension à cheval) ou d’autres marcheurs fatigués physiquement…

Depuis l’hôtel, on les observe. Allez, c’est décidé, on ira plus tard.
Et puis, s’il le faut, nous passerons une nuit supplémentaire ici.

Le jour se lève enfin. Les nuages se diffusent progressivement et laissent apercevoir de belles tâches de ciel bleu. On découvre les versants des montagnes autour de nous, recouverts d’un élégant voilage blanc.

Cette fois-ci, il ne nous en faut pas plus pour sauter hors du lit.

Nous retournons nous remplir le ventre d’un tsampa conséquent dans le petit (et seul) buibui du camp. Les morceaux de viande de yak y sèchent accrochés au-dessus du poêle, dont la suie condensée goutte dans nos bols si on n’y prend pas garde.

Et ce n’est relativement pas cher. Ce qui ne plait pas au proprio’ de notre hôtel, qui nous met dehors. Nous trouvons, par chance, une chambre plus confortable chez le voisin, libre que l’après-midi. Pas de soucis.

Après ce faux départ contrariant, il est 08:25 quand nous entamons l’ascension vers le Lac de Tilicho.
Comme tous les randonneurs du camp sont partis plus tôt, nous sommes les seuls pendant une grande partie de la montée.Le ciel est parfois bleu, parfois blanc. On se dit qu’on verra bien jusqu’où on peut aller et que si les conditions météo sont trop mauvaises, nous ferons marche arrière.
Cependant, pour le moment, nous ne croisons pas grand monde, signe qu’il semble possible de pouvoir rejoindre le lac. On avance d’un bon rythme, bistari bistari (slowly slowly en népalais), régulant notre respiration et nos pas et, comme à notre habitude, sans pause.
Nous grimpons bien, tous les trois avec Lars, tandis qu’Étienne, un peu plus lent, creuse l’écart.



Nous croiserons bien quelque groupe de Népalais haletant – et à la vivifiante haleine d’ail – avachis le long du chemin.

Il faut dire que ce n’est pas facile.
Nous commençons à 4135m alt., si les températures sont clémentes, le souffle se fait court, d’autant que ça grimpe fort.
Le sentier est à peine assez large pour s’y croiser, le terrain de terre est stable mais la déclivité est importante.
Le chemin file tout droit, le long de la paroi aride, pour ensuite grimper en lacets serrés un pan raide qui monte sur le plateau, 900m plus haut. Depuis le bas du sentier, nous apercevons le tracé longiligne puis la succession de zig-zags. Ce n’est pas très motivant et pourtant le paysage nous pousse à continuer.

C’est intense. En effort, mais aussi en couleurs, en textures, et en lumières.
Nous en prenons plein les yeux.
Alors que sur la paroi que nous longeons, la terre grise est recouverte de chatoyantes herbes jaune orange roussies par le soleil, le versant de l’autre côté du ruisseau Marsyangdi est une longue crête de roche noire, saupoudrée des tombées de neige de la nuit précédente.

Au-dessus, quand les nombreux nuages denses veulent bien momentanément s’éclipser, on découvre le massif de Tilicho (7134m alt.), ses parois blanches, et son pic Khangsar Khan (7485m alt.), à la face sombre – tant elle est raide et que la neige ne parvient à s’y accrocher. Nos regards se perdent dans l’opacité des nuages, à la recherche du moindre signe de relief.
Suspendus au versant de la montagne, nous volons sur notre petit sentier portés par l’attraction du sommet, enivrés par l’harmonie que cette nature, pourtant hostile, nous distille.

Au bout d’une heure, nous arrivons au pied de la volée de lacets.
Il commence à faire froid, le vent se lève, et les nuages s’abaissent progressivement, sans pour autant que le temps soit menaçant. La météo peut être très changeante ici.
Nous rajoutons une épaisseur et reprenons notre lente, mais constante ascension. Nous rattrapons les randonneurs les plus lents.

Nous sommes en forme, et convaincus par le sourire des gens que nous croisons dans leur descente.
C’est incroyable comme l’adrénaline et la joie que nous procure ce lieu est enivrante.

Si le sentier a été nettoyé par les marcheurs, ses abords sont frangés de neige à mesure que nous grimpons.

Une fois arrivé sur l’arête du plateau, une fine couche de neige recouvre l’intégralité du paysage.
Le brouillard aussi.
Nous ne sommes plus loin, ce serait idiot de nous arrêter ici.
D’autant que nous sommes chauds et gonflés d’enthousiasme, un grand sourire en travers de notre visage glacé par les températures.

Le relief est vallonné, et les quelques légères pentes s’avèrent glissantes.
Parmi les nuages se dessinent deux étendues d’eau bleues. Serait-ce le lac Tilicho ? se demande Marion.

Mais le chemin continue son sillon, presque imperceptible, mais désormais balisé de pierres et de poteaux.

Le ciel se découvre légèrement. Au pied d’une petite colline, nous distinguons quelques drapeaux tibétains accrochés à un stupa.
Plus que quelques minutes et nous y sommes.

En moins de deux heures, nous avons rejoint le promontoire, à 5020m alt., dominant le lac de Tilicho, cent mètres plus bas.
Quelle joie !

Nous en avons le souffle coupé. Le temps n’est pas optimum, mais l’atmosphère déserte du lieu, l’hostilité des éléments dégagent une puissance, et un instille un profond respect pour ce lieu.
Nous sommes plein d’émotions. Sans parler de la satisfaction d’être aller si loin, d’avoir su écouter et utiliser notre corps pour atteindre ce lieu magique.

L’euphorie n’aurait pas du tout été la même si nous n’avions pas eu à souffrir de cette semaine de marche. Préparation nécessaire pour rejoindre ce sommet.
C’est d’autant plus gratifiant de penser que nous sommes arrivés ici seuls, à pied, sur déjà 120km de sentier.

Et quelle splendeur. Ce lac est parmi les plus hauts du monde. Très profond aussi, sa profondeur moyenne est de 86m. Nous sommes arrivés par sa partie Sud. Sur la rive occidentale, une lande de terre vient fondre dans le lac, et plus loin, au-delà des 4 kilomètres de long, continue le difficile trek menant à Jomson par le col de Mesokanto. À l’ouest, la grande paroi de glace du Tilicho s’étend jusqu’au ciel. Des glaciers glissent sur plusieurs dizaines de mètres dans l’eau bleu ciel trouble.


Le soleil vient parfois éclairer les montagnes, et nous nous réjouissons d’apercevoir notre ombre… pour un court moment car le temps empire.
Dans la grosse demi-heure pendant laquelle nous attendons Étienne, nous avons le temps de nous refroidir.
Il se met à neigeotter, ce qui n’entache pas notre enthousiasme pour autant.
Nous mettons toutes les couches que nous avons (Lars a oublié ses gants) et engloutissons nos granola et nos fruits secs.
Quand Étienne arrive enfin, nous ne tardons pas trop, quelques photos pour célébrer notre challenge commun et prenons le chemin du retour.
Nous grelottons dans le vent glacial.
Lars a les doigts gelés et fait de grands ronds de ses bras pour activer sa circulation sanguine.


Nous rejoignons vite le bord du plateau.

Le vent se calme une fois que nous replongeons dans la vallée que nous dévalons pour rester au chaud, surtout Brice et Lars qui sautent comme des cabris seulement ralentis dans leur rythme par quelques randonneurs éreintés.
Ça descend aussi sec que cela grimpait, et les genoux aussi bien que les cuisses prennent cher !


Les températures se radoucissent aussi.
Nous ne mettrons qu’une heure et demie pour rejoindre le camp. Les jambes brûlantes de nos 10km de marche.

Nous desserrons nos chaussures, nous nous régénérons sous les fugaces rayons du soleil et nous étirons tous les muscles possibles.
La chambre n’est toujours pas libre. On se prend un thé bien chaud. Nous débattons quelques minutes sur l’éventualité de prendre directement la route pour Khangsar, mais nous sommes trop éprouvés pour 10km de plus, nous repartirons demain matin.
On se trouve finalement une table et ne la lâcherons pas jusqu’au soir, bouquinant, préparant les prochains jours menant au col, et jouant aux cartes en attendant que la journée progresse.

Dans la même période, le temps se dégrade très vite et il se met à neiger de gros flocons qui bientôt s’accrochent aux toits et au sol.
De pauvres randonneurs continuent d’affluer au compte-goutte dans des conditions climatiques de plus en plus mauvaises. Tout est plein. C’est dans la dining room qu’ils s’installent, prêts à y passer la nuit. Nous sommes contents de récupérer une chambre, un matelas, des couvertures.

Comme une nouvelle habitude, nous dinons extrêmement tôt et filons nous coucher alors que la neige continue à couvrir le paysage. La chambre est beaucoup plus confortable, même si Étienne y ronfle toujours aussi fort.

L’imprévu météorologique de ce matin nous rappelle la réalité de la montagne et la versatilité des éléments à 4000 ou 5000m.
Cela fait 8 jours que nous marchons, il nous faut accepter ces aléas, et nous réjouir de ce que nous avons déjà l’immense chance de voir. Ça aurait pu être « mieux » ? Disons plutôt « autrement ».
Faisons-nous plaisir en profitant des moments présents.
Que la montagne est belle ! Ce voyage est beau !

Nous nous endormons avec la hâte de voir à quoi va ressembler le paysage demain, recouvert de cette couche blanche.

 

‘* Le trajet qui monte au lac est parfois parsemé de déchets de bonbons, de snacks, que nous ramassons en redescendant, arrivant au camp de base les poches de nos vestes, pantalons et coupe-ventes remplies.
Brice fait la morale à un mec au lac, alors qu’il jette son papier par terre.
S’en suit une discussion avec des Népalais, leur expliquant que nous habitons la même planète**.

** Il faut dire que depuis notre départ et sur les 8 jours passés à arpenter le circuit des Annapurna, nous sommes surpris par la propreté des chemins et des efforts fournis par les populations locales (en dépit de leurs habitudes – peu d’éducation environnementale – et de la pression touristique supplémentaire).
Mais en cette période de vacances népalaises, le trek menant au Lac Tilicho est très plébiscité par des groupes, qui tristement se débarrassent de leurs déchets au bord des routes.

Camp de base de Tilicho : 4135m alt.
Lac de Tilicho : 5020m alt.
11.2km – total : 3h55’



J9
Tilicho à Khangsar

Tilicho Base Camp : 4135m alt.
Lac de Tilicho : 5020m alt.
Col de Sri Karka : 4283m alt.
Khangsar : 3750m alt.
Total : 20.6km (11.2 km + 9.4 km) – total : 7h30’ (4h00’ + 2h40’)

Le matin de ce troisième jour, nous avons prévu de partir tôt du camp de base pour Khangsar, ou un peu plus loin en direction du Thorung-La si les jambes nous y portent.
Mais le ciel est si bleu, quasiment sans nuage quand nous nous réveillons et les montagnes sont recouvertes d’un manteau blanc.
Brice est soudainement hyper motivé pour remonter au lac. Lars se joint à son enthousiasme, tandis qu’Étienne et Marion doutent de leurs jambes. Mais ils ne tardent pas à être convaincus quand qu’ils sortent la tête dehors.

Nous faisons nos bagages en vitesse, engloutissons notre tsampa et nous décollons à sept heures et quart, ultra motivés.
Nous attaquons la montée, plein d’entrain et à bon rythme.
Cependant, dans la tête, c’est plus difficile que la veille. Nous connaissons le chemin, et nous savons à quoi nous attendre.



La ligne de neige est aujourd’hui beaucoup plus basse que la veille.
Et au-dessus de celle-ci, les reliefs sont intégralement couverts de blanc.
Quelques nuages s’accrochent progressivement aux flancs des montagnes, mais le tableau demeure globalement inondé de lumière. C’est comme si nous découvrions un nouveau paysage.
Et nous sommes d’autant plus submergés d’émotions.


Sur le plateau, les limites du chemin ne sont plus visibles, nous suivons les quelques empreintes laissées au sol, nos pieds crissant dans la poudreuse fraiche – et réalisons que la neige et le ski nous manque.


Nous arrivons au sommet en premier, Lars nous y rejoint quelques minutes plus tard.
Bizarrement, nous avons doublé moins de monde que la veille, et le point de vue sur le lac – et la guitoune attenante qui y vend du thé – est beaucoup moins fréquentée.

Autour de nous, du bleu et du blanc. Partout ce tableau bichromatique en contraste permanent.
Les parties hier terre de sienne sont aujourd’hui uniformément immaculées.
Le bleu du lac semble répondre à celui du ciel qui se noie dans les nuages moutonneux.

Les deux idoles, hindoue et bouddhiste, qui accueillent les marcheurs, sont baignées par le soleil, les pieds dans la neige.

Nous avons la banane. Il faut froid (et Lars a oublié ses lunettes) mais nous sommes super heureux de la décision prise ce matin, et d’être ici. Ça valait vraiment le coup de faire la montée une seconde fois.
C’est différent, c’est autrement.
Nous en profitons de nouveau, sans nous lasser, toujours chanceux et heureux.


Le retour nous semble « long ». Nous sommes fatigués. Nos jambes, pas encore bien requinquées de la veille, chauffent.
Mais nous n’y pensons que peu, absorbés par la contemplation du paysage alentour. Les lumières, lors de notre descente, sont fabuleuses. Les lignes obliques et les horizontales se dessinent harmonieusement, traçant des limites nettes en bleu, blanc, noir et orange.





De retour au camp de base à onze heures et quart, nous confirmons notre décision de retourner à Khangsar. On sait que la route va être longue, mais nous ne souhaitons pas rester une nuit de plus ici, et sommes contents de retrouver Laxmi.
Quelques étirements, on refait notre sac, et on décolle… les jambes lourdes et de belles ampoules aux pieds de Marion.

La section périlleuse, sujette au glissement de terrain, est toujours aussi impressionnante.




D’autant que c’est dans le passage le plus étroit et le plus raide, que nous croisons une caravane de mules chargées comme des bourriques lancées à toute allure, et nous devons nous ranger pour ne pas glisser dans le vide, poussés par leur lourd fardeau de sacs de ciment, ou de bouteilles de gaz.

Et puis ça regrimpe encore, pour rejoindre Sri Karka.
Ce n’est pas une journée facile. Physiquement, nous poussons. On en a déjà eu plein les jambes ce matin.
Heureusement, le temps est beau, le ciel est bleu. Un vent frais souffle sur nos visages en plein soleil.

La dernière descente précédant l’arrivée à Khangsar nous achève.
Il n’est pas 15h quand nous rejoignons le village à bout d’énergie, les jambes lasses.
C’était une très grosse journée.

Les ruelles du village sont couvertes de faisceaux de blé et millet fraichement moissonnés et qui sèchent dans le soleil automnal.

Nous retrouvons « nos chambres », le demi-saut d’eau brûlante pour la douche, et la bonhommie de Laxmi.
Le soleil disparait vite derrière les nuages, puis la montagne sans que nous ayons pu profiter de la terrasse.
Nous nous réfugions dans la cuisine où notre amphitryon démarre un feu. Le froid arrive rapidement.
Nous passons la fin de journée à jouer aux cartes et à nous réchauffer de thé, accompagnés de la Crazy light team. C’était chouette de partager ces quelques jours avec Étienne et Lars.

Une dizaine de jeunes Népalais arrivent chez Laxmi au coucher de soleil. Ils sont bruyants, mais très gentils. C’est un peu ce qu’on se dit, chaque fois que la nuisance sonore de ces groupes est importante.
Marion s’improvise guide touristique/mère-poule, leur expliquant l’ascension jusqu’au camp de base puis au lac, leur demande de conserver leurs déchets, mais leur enseigne aussi les risques qu’il y a à grimper vite…
(Ils viennent de Kathmandu, directement déposés en jeep à 3700m alt., sans trop savoir dans quoi ils se lancent, mais prêts à faire l’aller-retour camp de base-lac-Khangsar en un jour…)
Grâce à leur présence, Laxmi a demandé à sa sœur de lui prêter main forte en cuisine. Elles s’affairent pour nous préparer un super dal bhat aux champignons, terminant sur une tarte aux pommes régénératrice.

Nous nous endormons, la tête bien pleine des images de neige et de lac, de ciel, de roches, et de montagnes.

Tilicho Base Camp : 4135m alt.
Lac de Tilicho : 5020m alt.
Col de Sri Karka : 4283m alt.
Khangsar : 3750m alt.
Total : 20.6km (11.2 km + 9.4 km) – total : 7h30’ (4h00’ + 2h40’)

11 thoughts on “Ô Tilich’Ô

  1. Belle motivation (et récompense) d’être retournés au lac une seconde fois.
    Merci pour la visite : je n’avais pas eu l’occasion d’aller à Tilicho lors de mon tour des Annapurnas (devais juste avoir grimpé jusqu’à Khangsar en rayonnant en étoile depuis Manang)

  2. Nous aussi nous sommes éblouis de tant de beautés contrastées !
    Et, ce n’est pas grave, si nous oublions nos lunettes de ☀️
    Lars a l’air un peu étourdi …. mais tellement souriant !

  3. Mais bien sûr qu’il fallait y retourner au lac!
    Sous la neige et au soleil c’est encore plus beau!

    Ah la la qu’est ce que j’aimerais faire ce trek avec vous!

    Et lars quand même ! D’abord tes gants, puis tes lunettes ! Qu’est-ce que c’est que cette organisation ! Demande à Brice de te faire une check list!

    Et puis alors tous les Népalais ne sont pas montagnards!!!…???
    Ca alors!!!

    Bravo les amis. Vous êtes formidables !

  4. Que c’est beau !!
    Par contre le chemin entre risque de glissade sur cailloux glissants et risque de chute de pierres ne m’a pas trop rassuré non plus…si vous n’avez pas de photos de ces coins c’est pas grave 🙂

    Super le lac tichtichtich ooooooh tichtichtichtich (speciale dédicade à la strass plomplomplom).
    En tout cas Bravo !!

    Incroyable ! Les paysages de la deuxième montée au lac sont à couper le souffle.
    Les contrastes entre le blanc des sommets et les couleurs vert, gris, automne, quelques centaines mètres plus bas sont simplement magiques.
    Vous avez bien fait d’y retourner !
    Et bravo à Marion d’avoir tenu le coup malgré les ampoules, et les kms accumulés dans une même journée.

    Moi aussi je veux y aller !

    PS : J’ai imprimé le post précédent et je l’ai donné à Laura sur papier en lui disant : « Un día iremos de vacaciones allí. Puedes empezar a entrenar !  »
    Je crois que je vais faire la même chose avec celui là !

    Bisous !!

Ça vous inspire?