Scary Meadows

Si on nous avait prévenu de la route qui nous attendait – ou si on avait simplement fait quelques recherches – il est fort possible que nous n’aurions pas visité les paysages de carte postale des Fairy Meadows.
Ou en tout cas, on aurait trouvé un autre moyen pour les rejoindre. À pieds certainement.

Il est l’heure du déjeuner lorsque nous rejoignons le pont de Raikot et le départ de la route pour les Fairy Meadows.

Une piste très accidentée qui s’élance dans un étroit vallon issue du glacier de Raikot.
Par sécurité, la route est interdite à tout véhicule, seules des jeeps privées peuvent y circuler (et on comprendra très vite pourquoi).
Après avoir rangé les motos dans un garage, Hashaam organise les deux voitures qui vont nous conduire le long des 17 prochains kilomètres de piste.

Comme toutes les automobiles du pays, nos véhicules sont importés du Japon (ou parfois de Hong-Kong). Nos Jeep Toyota sont antédiluviennes. Un châssis bien lourd, quatre roues motrices freinées par des tambours et aux pneus rustiques. Elles ont l’air robustes et – environ – fiables.
Les chauffeurs semblent bien réveillés, calmes et sereins.


Hashaam leur a fait comprendre que nous ne sommes pas hyper rassurés, mais ça doit être le cas de toute personne désirant monter là-haut. De toute façon, il faut faire confiance.

Notre équipe se scinde en deux groupes. Ashfaq restera avec nous, tandis que Hugo, Tahir, Touqeer et Hashaam passent en tête de peloton dans leur jeep jaune.

Le convoi entame sa lente montée à travers des pans arides et caillouteux. Les grands virages en épingles à cheveux s’enchainent, suivi de longues lignes droites. On zigzag à bon train une fois la transmission quatre roues motrices enclenchée et le différentiel bloqué.


Nous évoluons alors le long des montagnes majestueuses qui bordent le fleuve Indus et la Karakoram Highway le longeant.
Nous prenons très rapidement de la hauteur, et malgré la pente relativement faible du terrain, cette route glissante et accidentée donne déjà le vertige.

La Jeep est bâchée (n’a pas d’habitacle en dur), la banquette arrière, coincée entre les proéminents passages de roues, est peu épaisse et très inconfortable.
Nous glissons à chaque rebond du chemin mal carrossé, et nous nous agrippons aux modestes barreaux formant la structure qui tend la toile.

Puis nous virons à droite pour nous engouffrer dans un étroit val.
À mesure que nous progressons, les montagnes se resserrent pour n’être espacées que de quelques centaines de mètres, alors que le ravin plonge à pic se perdant dans la profondeur de la rivière quelques trois mille mètres plus bas.

Plus effrayant : la route, déjà peu généreuse, se rétrécit pour devenir à peine plus large que la jeep. Des empilements de pierre consolident la voie par endroit. La piste aréneuse et caillouteuse est guère rassurante.

Marion est horrifiée, sa main enserre la barre d’acier. Elle a perdu son sourire depuis de nombreux kilomètres. Installée du côté droit, et faisant dos au ravin, elle se concentre de toutes ses forces sur la paroi de la montagne.

De leur côté, Ashfaq et Brice parlent moteur, vérifient que le chauffeur a bien enclenché les 4 roues motrices, et observent cette magnifique vallée qui se déploie à mesure que nous grimpons.
Ashfaq, grand enfant, considère le vide qui nous borde avec amusement.
Brice est lui aussi pris de vertiges, mais la magie du décor prend le dessus sur sa peur et il continue à s’émerveiller (ce qui ne sera pas le cas sur le chemin du retour) et prendre des photos.

C’est éprouvant et vertigineux. Et même le mot vertigineux est trop faible pour exprimer ce vide immense / danger immédiat. Nous sommes assis dans un véhicule lourd de 2 tonnes d’acier qui nous écrasera comme de la chair à pâté en cas de chute. Il n’y a pas d’erreur possible.
Les virages serrés s’enchainent, on grimpe, on grimpe à une allure ne dépassant pas les dix kilomètres heures tant la pente mêlée aux chaos de la route mettent à rude épreuve le pourtant coupleux moteur Diesel. Jusqu’à cette petite pause …

Ah mais parce que ça ne va pas ? y’a un problème ? tout va bien ?…
Les deux conducteurs remplissent leur radiateur d’eau. Procédure normale, à mi-chemin.

 


Alors qu’il y a à peine la place pour se tenir debout contre la voiture, tout le monde (sauf Marion) sort de sa jeep pour longer la falaise et prendre quelques photos dans une contemplation crispée.

Nous reprenons notre route. Serpentant le long de la falaise abrupte.
Pour le plus grand bien de notre santé mentale, nous ne croiserons heureusement que deux voitures lors de notre ascension.

Le lit de la rivière se rapproche, pour conserver néanmoins quelques bonnes centaines de mètres avec la route qui nous offre désormais quelques lacets poussiéreux.

Certains virages sont très serrés et nécessitent quelques sympathiques marches arrière du véhicule, ne laissant que quelques centimètres entre les roues arrière à l’adhérence douteuse et le vide.
On est HY-PER relax.

Marion a ses mains qui se crispent d’autant plus autour de la barre d’acier. Prise d’effroi, elle est incapable de regarder la route ou autre chose que les rochers du côté droit. En gros, elle beug.

Lorsqu’enfin : SOULAGEMENT !
Au loin, se profile l’arrivée.


La fin de ce supplice. Le moment où nous pouvons descendre de ce véhicule de la mort. Marion desserre les mains, les dents, les jambes, tout. Elle pense avoir perdu 20 années de vie tellement son cœur était en panique.
Tout le monde semble toutefois contents d’être vivant.
Nous prenons nos sacs et nous remettons en marche.
Car encore près de deux heures nous séparent du plateau des Fairy Meadows.

Nous sommes surpris de nous voir attribués une escorte policière*.
Un mec du coin portant des mocassins et armé d’une Kalachnikov.

C’est donc lui qui va nous suivre pendant les deux prochains jours. Et on remercie le gouvernement pakistanais de prendre soin de ces touristes occidentaux.

Très vite, et suivant les capacités de chacun, notre équipe se scinde en sous-groupe (Tahir fermera la marche sur son cheval). Nous grimpons à bonne allure.


L’étroit chemin longe tout d’abord la falaise ouest de la vallée.
Puis il s’élève au-dessus d’une forêt de conifères. Nous marchons presque à hauteur de leur cime.

Les arbres bordent ce raidillon caillouteux jusqu’à ce que Nanga Parbat fasse sa majestueuse apparition et que nous réalisions que cette falaise est en fait la moraine creusée par le glacier Raikot, découlant de cette haute chaine montagneuse.

Nanga Parbat est le second plus haut sommet du Pakistan après le K2 (et pointe fièrement à la 9eme place dans le classement mondial) et pavane ses 8126m devant nos yeux.

Nous arrivons un peu essoufflés sur le plateau des Fairy Meadows, situé à quelques 3280m. Notre camp de base pour les deux prochains jours est situé au milieu d’une verte clairière, bordée d’arbres. Des chevaux, ânes et vaches finalisent le tableau alpin.
Au centre, un feu de joie nous attend et nous réchauffe incroyablement de ces hautes flammes qui sentent bon le pin, parfait dans ce paysage où les minimales sont déjà proches de zéro dès le précoce coucher du soleil.

Nous prenons place, avec Tahir, dans nos petites huttes, et découvrons le luxe suprême : un poêle à bois. Petit et cylindrique, il devient notre meilleur ami pour la nuit.

Chargé de pommes de pins, de copeaux de bois, de branchages et brindilles, c’est un bonheur pour les yeux et nos extrémités : ce crépitement qui sent bon, ces flammes rouges et jaunes qui dansent et dessinent ces graphiques motifs sur les parois du poêle, que ça fait du bien.
Nous retirons même nos bonnets pour la nuit.
Sous l’enseignement du maître Ashfaq, Marion maitrisera d’ailleurs tellement la combustion, que nous serons contraints d’ouvrir porte et fenêtre pour faire entrer un peu d’air frais alors que les flancs du poêle sont chauffés au rouge.


Le ciel est dégagé et clair ce matin. Il fait encore froid à l’ombre et notre balade nous fait longer la moraine de la veille.
Direction le camp de base de cette montagne géante.

Après avoir quitté notre clairière, notre itinéraire nous conduit tout d’abord à travers de belles forêts de résineux.


Très vite, nous rejoignons le bord de la moraine pour un point de vue magistral sur Nanga Parbat et le glacier de Raikot.
Nous continuons à travers les sapins pour déboucher sur une large clairière, pâturages pour les bergers locaux. Au bout, les collines sont ornées de nombreux arbres caduques aux couleurs chatoyantes de l’automne.
Et au-delà, prenant une place incompréhensible dans le paysage, se dresse Nanga Parbat. Le massif occupe tout l’horizon, et le cadre offert par les deux montagnes fermant la clairière en souligne la démesure.

avalanche en direct!


Nous reprenons notre route et traversons un merveilleux tableau d’arbres dorés par l’automne bien établi. Une mosaïque de jaune, orange et rouge pare les arbres qui perdent leurs ornements sous la brise fraiche. Nous sommes tous sous le charme (Brice n’avait plus vu de couleurs automnales depuis plusieurs années).

Enfin, nous rejoignons le point de vue sur Nanga Parbat et le glacier.


Finie la balade, commence alors la randonnée sportive.
Hugo, Touqeer et nous nous mettons à la suite de notre policier… ou plutôt, nous suivons tous Hugo qui impulse un rythme de locomotive.

Nous évoluons dans un premier temps sur les pans de pierres et cailloux de la moraine.



Peu après avoir enjambé une première rivière glacière, nous bifurquons pour traverser des paysages de pelouse brulée par le soleil estival, et rejoindre une clairière d’altitude où se dresse un énorme rocher dont on ne parvient à déterminer la provenance.


Notre escorte est éreintée – ou flémarde, et nous continuons tous les quatre notre ascension vers le camp de base de la face nord du Nanga Prabat.
Toujours plus haut, toujours plus beau : arrivés sur ce plateau (à bout de souffle, mais heureux) des vaches profitent de leur derniers jours sur ces alpages aux herbes roussies.

Encore une fois, une multitude de rochers ont poussé comme de nulle part sur cette prairie.
Grisés par notre exploit, nous tentons une dernière ascension.


Cette crête fait face au massif massif.
À notre droite le glacier de Diamir, tandis qu’à notre gauche le camp de base et plus loin le glacier de Raikot.
Le mur qui s’élève devant nous est sidérant.
Nous sommes pourtant déjà à 4100m – des peccadilles dans ces paysages.


Nous profitons au maximum tant que le soleil brille et nous réchauffe de ses rayons car à cette altitude, les températures sont fraiches même en milieu de journée.
Quelques photos et nous rejoignons Hugo – qui ayant pris de l’avance, s’est fait faire des avances par notre escorte.

Nous redescendons bon train, ne manquant jamais de nous retourner pour contempler le colossal Nanga Parbat.


De retour au camp, le froid ambiant stimule la pyromanie d’Ashfaq pour construire un grand feu, avant de nous retrouver pour un bon repas, toujours préparé dans des conditions basiques.


Réveil matinal le lendemain, après un copieux petit déjeuner où les plus gourmands du groupe ont su apprécier le miel local, nous nous enquillons dans une longue randonnée de 5min45s, temps pour rejoindre un beau plan d’eau reflétant parfaitement le paysage.

La route du retour en Jeep est un véritable supplice.
Marion ne sera pas parvenu à convaincre notre équipe de redescendre à pied, et Hashaam se joint à nous pour le trajet du retour.

En descente, Brice est nettement moins enjoué…
Marion étant déjà à son état de détresse maximum, elle a choisi de débrancher son cerveau pour le temps de la descente.
Hashaam et Brice tuent leur peur en s’enseignant mutuellement la langue de l’autre.
À chaque virage, le vide semble attirer notre voiture qui freine mal dans cette fine poussière.
Bref, cette route est un enfer.

Nous arrivons, comme l’atteste la simple présence de cet article, sains et saufs** au parking où nous retrouvons Wilayet et les motos.

Les derniers kilomètres qui nous ramènent à Gilgit sont également les derniers de cette incroyable aventure à moto de 1700 bornes.

Apres de chaleureux adieux le reste de notre équipe prend la direction d’Islamabad et nous nous dirigeons vers une parfaite auberge, qui sera notre pied à terre des prochains jours.
Nous avons besoin de temps pour réfléchir à la suite de notre voyage maintenant.

 

 

‘* : Le Pakistan est constitué d’une mosaïque ethnique complexe – nous nous attarderons plus tard sur ce petit bordel que nous peinons à comprendre. D’une vallée à l’autre, les comportements, l’éducation, les us différent ou c’est tout simplement la coutume qui prévaut parfois sur la loi d’État.
La situation s’est, un temps, radicalisée, atteignant son paroxysme suite aux attentats du 11 Septembre.
Ainsi, cette région reculée est très conservatrice – et peu éduquée, ce qui de l’avis des Pakistanais rencontrés, est souvent corrélé – et les échanges avec les villageois sont quasi inexistants.

En juin 2013, 10 étrangers ont été tués par un groupe extrémiste alors qu’ils dormaient au camp de base de Nanga Parbat.

** : Bien entendu, les conducteurs de ces jeep sont habitués à leur route, et connaissent très bien leur machine. Il n’a pas été reporté d’accident impliquants des touristes étrangers.
Cependant, les critères de sécurité ne sont pas les mêmes, la consommation de hashish dans ces régions étant courante, et les véhicules étant maintenus selon des normes moins contraignantes, nous avions nos raisons d’avoir peur.
… quelques jours plus tard, nous rencontrerons une touriste qui nous racontera avoir vu, sur cette même piste, une jeep fraichement tombée dans le ravin. Il est évident qu’il n’y a eu aucun survivant.

 

17 thoughts on “Scary Meadows

  1. I can totally relate to Marion’s condition, i have been there in this summer and my condition was same like Marion’s 😛
    btw this is beautifully written. Loved your overall journeys blog. Now looking forward to meet you guys again in Islamabad and we need a long session to hear your stories.

  2. Tout ça parceque vous avez pas voulu faire 17 bornes à pied
    Ceci dit, j’ai serré les f…. rien qu’en vous lisant, mais le Nanga ça se mérite et que c’est beau !

  3. Splendide, majestueux… les mots ne manquent pas pour décrire la beauté des paysages. Vous êtes bien tous les deux prenant la pause sur la crête.

  4. Papaaaa, c’est quand qu’on arriiiive ?
    La veritv je suis content que vous soyez arrives sains et saufs ! J’étais pas au niveau de Marion mais vous m’avez bien tenu en haleine quand même…

    J’ai aussi fait un trip avec ce genre de jeep sur les pentes du mont Pinatubo aux Phillipines, et ces petits engins sont au top du grip. Mais là c’est quand même extrême !!
    Mais ce qu’il y avait au bout de l’aventure est simplement magique.
    Les photos avec lel tons d’orange, de jaune, de l’automne et au fond le Nanga Prabat blanc immaculé culnincul à 8km sont magiques.
    Si vous me le permettez je la mets demain en fond d’ecran 🙂

    Un abrazo.

  5. C’est vraiment superbe!! Je sais pas comment vous avez fait pour tenir, gros respect, parce que moi, avec le vertige que j’ai, JAMAIS je n’y vais!! Je suis content que Vincent ait tenu le coup
    J’adore vous lire, on sent bien votre patte, les blocage du différentiel, le moteur diesel coupleux, on sent bien Brice à l’écriture. J’apprends aussi de nouveaux mots, comme « aréneux ».
    qinqin les copains

  6. “Nous arrivons, comme l’atteste la simple présence de cet article, sains et saufs”. Je n’ai jamais été aussi content de vous lire ;-))
    Les photos et l’écriture sont au top. C’est un de mes billets de Bourlingue préféré.

  7. Maori :  » c’est vrai que c’est impressionnant et ça doit faire peuuuuuur !!!!!  »
    Aude : « grave , j’aurai serré les fesses pendant toute cette route, et j’aurai prié tous les dieux que je connais !!! en tout cas les couleurs automnales sont super super super belles !!!!!! »

    des bisous et à demain pour la suite de vos aventures

Répondre à en-bourlingue Annuler la réponse.