Sur les rotules

J21
ABC – Chhomrong

Annapurna Base Camp (ABC) : 4120m alt.
Chhomrong : 2337m alt.
24.5km – total : 7h31’

Nous avons laissé le Sanctuaire des Annapurna derrière nous, au pied de Machhapuchhare et entamons désormais notre longue descente le long de la rivière Modi Khola.
Quelques minutes auparavant, nous étions encore dans l’éclat du cirque couronné de sommets étincelants, la lande baignée de l’éclat des pâtures dorées.
Nous replongeons désormais dans l’ombre projetée par ce couloir resserré et flanqué de monumentales parois, mais des souvenirs sublimes plein la tête.

Cette vallée est impressionnante dans la lumière matinale. Les couleurs, les reliefs… le tableau est différent de celui traversé la veille.

Partis plus tard que prévu, nous redoutions trouver beaucoup de monde sur le chemin, mais nous doublons vite les groupes et les quelques personnes qui font de nombreuses pauses. D’abord Bibek et ses amis sortant de leur gueule de bois, puis notre ami Abbas dans une section raide où des pierres sont ajustées tant bien que mal parmi les racines. Et très vite nous nous retrouvons à nouveau seuls à parcourir les sentiers à l’ombre des forêts.
Malgré la perte d’altitude globale, nous appréhendons fortement les deux infinies volées d’escaliers, celle de Bambou, et celle de Chhomrong.
Car contrairement à la boucle autour des Annapurna, le trek menant au Sanctuaire est une impasse. Il n’existe pas de voie alternative sur le chemin du retour. Nous savons ainsi tout ce qui nous attend.
Les prochaines montagnes russes nous démoralisent et nous cassent déjà les pattes.

Les couleurs éclatantes aujourd’hui nous permettent tout de même de profiter d’un nouveau paysage, et puis quand c’est beau, on ne s’en lasse pas. Mais les descentes nous fatiguent énormément. Une fois encore, nous débranchons notre cerveau et oublions la douleur. Nos rotules s’usent, nos quadriceps s’échauffent, nos ligaments fatiguent. Nous doublons les villages-dortoirs les uns après les autres. Nous saluons et encourageons les randonneurs en pleine ascension, les exhortant à garder courage tant cela en vaut la peine.
Et on avance, on avance.


Nous enchainons les kilomètres pour nous rapprocher au plus vite de notre but. On ne prend plus trop de plaisir désormais. Premier objectif, quitter la « zone touristique » pour rejoindre notre auberge isolée de Chhomrong.
Nous n’avons plus qu’en tête le chant de sirènes de Pokhara. Les copains, les bons petits plats, un logement confortable avec un bon lit dans lequel nous pourrions dormir sans avoir froid… Rhaaa, voilà ce qui nous trotte dans la tête alors que nous dévalons tant bien que mal les pentes nous rapprochant de notre récompense. Fini les photos. Les pauses contemplation se font rares désormais.

À mesure que nous enchainons les escaliers, nous nous transformons en de petits vieux qui ne peuvent plus plier leurs jambes correctement. Nos mouvements sont saccadés.

On comprend pourquoi les gens semblaient tant en peine alors qu’ils redescendaient du Sanctuaire.

À la fin de la longue descente nous ramenant à Bamboo (1850m D-), il est midi. Cela fait 4h30’ que nous descendons et nous sommes presque contents de pouvoir soulager nos guiboles dans la longue montée qui s’en suit. Nous déconnectons nos cerveaux et régulons respiration et foulée pour ne pas trop réfléchir. On avance à pas lents, sous le soleil torride. Bientôt tout sera terminé.

À l’apogée de cette usante montée se tient l’horrible petit village resto-route de Sinuwa et son démoralisant point de vue sur l’impossible calvaire nous menant à bon port. Cette dernière épreuve est un accablant chemin de croix, nous faisant descendre 500m de marches raides, pour nous en faire grimper tout autant sur l’autre versant.

Nous arrivons au pont en clopinant. Nos jambes sont anéanties, mais nous sommes néanmoins heureux que la descente soit enfin terminée…
Nous enchainons aussi sec avec la grande montée de Chhomrong.
Pas facile, mais on sait que c’est la fin.
On traverse le village où les tentations d’une halte réconfortante sont légions… et les possibilités d’y trouver le gîte si nombreuses ! Mais malgré la fatigue nous gardons à l’esprit que ce qui est grimpé aujourd’hui ne sera pas à faire le lendemain. Nous doublons ainsi les dernières maisons du village mais, à 15h, nous retrouvons avec bonheur le petit havre de paix de notre auberge sur les hauteurs qui dominent les collines avoisinantes.

Nous avons parcouru près de 25km éreintants au terme de sept heures et demie de montées et de descentes.
Nous sommes lessivés, usés. Cela doit être la journée de marche la plus difficile du séjour.
Les genoux souffrent. On s’offre une bonne douche, on s’étire sans parvenir à faire disparaitre les courbatures. Le corps n’en peut plus. Nous l’avons poussé dans ses profondes ressources. Il a jeté l’éponge avant notre cerveau.

Un bon gros bol de popcorn et deux thés au lait – respectivement du maïs et des bufflonnes du proprio’ – nous aident à patienter jusqu’au dîner que nous engloutissons.
Nous trouvons encore un reliquat d’énergie pour monter le tumulus derrière la maison et observer le soleil couchant qui inonde de ses derniers rayons les versants Ouest d’Annapurna I et de Hiunchuli.


Ce soir nous dormirons comme des loirs.

Annapurna Base Camp (ABC) : 4120m alt.
Chhomrong : 2337m alt.
24.5km – total : 7h31’




J22
Chhomrong – Matkyu

Chhomrong : 2337m alt.
Matkyu :  1676m alt.
5.6km – total : 1h58’

Il n’y a pas à dire : les lumières de l’aube sont tout de même incroyablement franches.
Elles soulignent chaque détail du paysage, dessinant des ombres douces et des contrastes profonds, magnifiant les reliefs.
L’atmosphère matinale des campagnes est chaleureuse. Les oiseaux chantonnent, les bufflones sont sorties pour la traite, le foyer familial se met progressivement en route, la vie sort doucement de sa léthargie.
Chacun a son propre rythme paisible, effectuant des gestes rituels.
De l’eau glacée sur le visage pour nous rafraichir, les mantra du temple et les prières de la mamie, le papy qui revient le seau chargé de lait frais, nous prenons le temps de nous poser dehors et de contempler ce nouveau jour.

Le ciel est bleu. Un beau bleu comme on aimerait qu’il le soit toujours. Les montagnes sortent de la pénombre, éclairées par les rayons chauds du soleil, qui s’étire dans la vallée.

Nos jambes sont lourdes, courbatues et lasses. Nos mouvements sont saccadés, maladroits. Ça sent la fin du trek tout ça. L’ambiance paisible de ce matin nous invite à profiter une dernière fois du paysage, et malgré la douleur, nous escaladons la colline pour admirer la vallée que nous avons empruntée ces derniers jours. Nous savons que nous ne reverrons pas d’Annapurna I, Hiunchuli et Machhapuchhare de si tôt. Qu’ils sont majestueux.
Nous dégustons notre petit-déjeuner, installés sur la table au centre de la cour : un dernier porridge et pain gurung pour la route. Demain, nous aurons le choix. Celui de nous réveiller à l’heure qu’il nous plait, et de déjeuner ce qui nous sied.

Nous quittons l’auberge à 7h30.
La mamie du foyer nous accompagne un court moment pour nous indiquer le chemin de traverse.
Pas facile à trouver ce raccourci parmi les épis de maïs, les coteaux et les fermettes, mais les fermiers joviaux nous ramènent vite sur le droit chemin.
Droit, mais incroyablement pentu.


Et dès les premières marches, la douleur se fait ressentir. Sans trop y penser, nous débutons notre descente, mais nos jambes ont du mal à suivre le rythme. Nous sommes en peine.
Les cultures en terrasse habillent les flancs abrupts, c’est plutôt joli et nous sommes contents de traverser quelques derniers villages aux maisons en pierre. Cela ne parvient cependant pas à détourner notre attention des souffrances qui inondent nos jambes. Malgré nos bâtons pour nous accompagner, nos genoux ont mal dans cette descente continue de 3km only et 740m D-. Ceux de Brice sont désormais parcourus de décharges de douleur à chaque marche. Nous apercevons assez tôt, un très long pont suspendu traversant la rivière en contrebas. Cependant, celui-ci tarde à être rejoint dans ce supplice sans fin.
Alors que nous approchons l’hideux village de Jhinu, nous croisons de plus en plus de maisons aux toits de tôle d’acier bleu, et de marchands de souvenirs. Nous nous rapprochons du point de départ d’une des routes menant au Sanctuaire. Nous rencontrons de nombreux groupes qui entament, quant à eux, leur longue ascension, en direction de Chhomrong. C’est le premier jour de leur trek, et ils semblent déjà dans le tourment.

Nous rejoignons enfin l’immense passerelle qui enjambe la Kyumrung Khola. Nos jambes sont soulagées.


Nous la traversons en de longues oscillations, et sommes presque ravis de voir que le sentier continue sur une côte à la déclivité douce.
Depuis ce nouveau versant, nous jetons un dernier coup d’œil sur les massifs aux sommets immaculés, un peu triste de nous en éloigner.
Après un court passage à l’ombre d’une forêt, les derniers 2.6km sont surtout éboulis, poussière et flaques de boue sur une route en chantier pas ou peu inclinée, découpée dans la montagne à coups de pelleteuse.
Cette dernière section se fait dans une amère désillusion. À ce moment-ci, nous ne faisons que mettre un pied devant l’autre et sommes partagés entre fatigue, joie de terminer, contrariété face à l’état de la route et nostalgie de nos 22 derniers jours.
C’est déjà fini ?

Nous débouchons soudainement sur le minuscule hameau de Matkyu vers 9h30.
Sans trop nous en rendre compte, nous sommes déjà sur un parking où les nombreuses jeep et une poignée de bus entassent les touristes retournant à Pokhara.
C’est dans cette ambiance que notre randonnée autour des Annapurna prend fin.

Le bus actuellement sur le départ est archi plein et nous n’avons aucune envie de passer les quatre prochaines heures debout. D’après le « chef de gare » (un type qui collecte l’argent et semble être un peu plus au courant que la moyenne), le prochain véhicule serait là dans une vingtaine de minutes.
Ainsi nous nous installons à l’ombre et nous lançons dans l’attente.
On attend. On attend 20 minutes un bus qui n’arrivera finalement qu’une heure trente plus tard. Nous retrouvons le timing népalais.
Peu importe, nous avons le temps.

Bien entendu, durant cette période, d’autres randonneurs ont eu le temps de rejoindre le parking à leur tour, tout comme les locaux, et rapidement, nous nous retrouvons trop nombreux pour la taille du bus, déjà bondé, quand il arrive dans un nuage de poussière.
Ça bouscule, ça joue des coudes, mais nous trouvons deux places à l’arrière du bus, et celui-ci démarre deux heures après notre arrivée sur ce parking de Matkyu.

La route pour rejoindre Pokhara est horrible. Creusée à flanc de montagne, la chaussée poussiéreuse et comblée d’éboulis s’avère glissante. La voie n’est pas beaucoup plus large que notre véhicule. Elle serpente sur une abrupte paroi dans une succession d’épingles à cheveux pentues. Les quelques croissements se font à quelques centimètres du précipice.
Cocktail parfait pour initier des sueurs froides à Marion dès les premiers virages serrés.
Tout comme lors du trajet menant aux Fairy Meadows au Pakistan, elle n’ose regarder par la fenêtre.
Au-delà du nuage de poussière, la vue semble toutefois magnifique.

Au bout d’une bonne heure de calvaire, nous rejoignons le lit de la rivière.
Puis la route traverse quelques villages recouverts d’une épaisse couche de crasse. Nous croisons des randonneurs, se couvrant le nez des particules soulevées par notre véhicule. Et nous nous confortons dans l’idée de ne pas finir ce dernier tronçon à pieds*.

Une autre heure plus tard, nous sommes à l’embouchure de la Modi Khola au village poisseux et chaotique de Nayapul.
Nous pensions alors que le reste du trajet se ferait sur une belle et confortable route d’asphalte… mais pas du tout. La piste nous autorise néanmoins d’avancer à un train un peu plus rapide et limite les cahots.

Le bus met un temps incroyablement long à parcourir les 65km le séparant de notre destination.
Mais cette période nous permet de prendre progressivement conscience que nous laissons ces montagnes et notre fabuleuse aventure derrière nous… et qu’à l’arrivée, nous retrouverons le confort et les amis.
Depuis plusieurs jours déjà, Brice pense à ce qu’il voudrait manger une fois de retour à Pokhara.
Nous sommes de plus en plus proche de concrétiser ses attentes !

Petit à petit, les larges plaines retrouvent leur place. En nous rapprochant de Pokhara, la vallée s’ouvre un peu plus encore, et les rizières au vert éclatant font leur retour. Nous avons hâte.

4h20 plus tard, nous sommes déposés au bord du lac de Phewa.
Pokhara, nous sommes de retour !

‘* Nous aurions pu rejoindre la route « principale », en une journée de marche supplémentaire.
Nous avions même émis l’hypothèse de, pourquoi pas, pousser encore un peu « plus loin » le plaisir de la rando’, en rajoutant trois ou quatre jours de marche pour rejoindre directement Pokhara par la colline de Panchase.
Quelle classe cela aurait été de rentrer « à pied » ! Mais une fois le Camp de Base des Annapurna laissé derrière nous, nous avons abdiqué, ce défi se révélant désormais être au-delà de nos capacités physiques du moment.

Chhomrong : 2337m alt.
Matkyu :  1676m alt.
5.6km – total : 1h58’

 

5 thoughts on “Sur les rotules

  1. Bravo oui, mais ça se plaint beaucoup sur ce poste : village hideux, sentier éreintant pour les jambes et les genoux… tout ça au milieu d’un paysage superbe.
    Vous avez une chance inouïe (nous aussi de pouvoir vous suivre), même si on comprend bien l’état d’esprit qui était le vôtre quand vous avez terminé votre trek 🙂

  2. Coucou les amis du toit du monde!

    Je rêve où j’ai vu un singe sur une des photos ….ça doit être l’altitude … 🙂

    En tout cas, on sent bien à vous lire que la descente est plus difficile que la montée. Plutôt contre natural comme postulat. Mais ça se comprend.
    Impressionnante la passerelle! Même pas une tite photo avec vous dessus.

    Un peu triste que ça se termine…mais bon… vous nous avez fait vivre des moments incroyables. Merci pour cete aventure !

    Bisou

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