Trait d’union

J17
Tatopani – Ghorepani

Tatopani : 1269m alt.
Ghorepani : 2866m alt.
16.0km – total : 5h34’

La journée de marche pour rejoindre Ghorepani ne va pas être aisée.
Non que les distances soient grandes (seulement 16km), mais il y a 2080m de dénivelé positif, autant dire que cela va grimper sévère ! On nous annonce entre 6 et 8 heures de marche pour rejoindre cette étape – mais la plupart des marcheurs coupent le trajet en deux.

Nous nous réveillons tôt ce matin et engloutissons nos bols de porridge et muesli (il n’y a plus de Tibétains ici, c’est donc la fin du tsampa).
Lars prenant son temps, nous quittons l’auberge avant lui. Il est 6h45.

À cette heure-ci, nous ne croisons aucun véhicule sur le kilomètre et demi de piste qui descend le long de la rivière. Nous enjambons une dernière fois la gorge de la Kali Gandaki, puis une seconde rivière pour finalement trouver le point de départ de la longue ascension qui nous attend.

On commence à monter. Ça grimpe tout de suite de manière très abrupte. D’abord par un morceau de route en construction (pas très sympa), puis par des chemins de traverse aux escaliers de pierre bien entretenus. Ceux-ci relient des petits villages endormis aux maisons colorées et aux cultures en terrasse.
Une montée constante et intensément raide.
Alors on « débranche nos cerveaux », on synchronise notre respiration et notre foulée et on s’isole dans sa bulle.

Pour l’instant nous sommes encore à l’ombre, et n’en sommes pas mécontents.
Après 45min d’escalier, la déclivité s’amoindrit sensiblement. Et une demi-heure plus tard, nous rejoignons un plateau incliné où sont installés les premiers bourgs.
Le sentier longe le versant cultivé et les maisons bigarrées, et nous sommes gentiment salués par les gens qui s’affairent à leurs activités matinales.

Nous avançons plein Sud, et distinguons parfois le chemin qui se perd entre les montagnes. Nous nous demandons lequel, parmi les sommets des hautes collines qui nous entourent, est celui que nous devons rejoindre.



Les derniers villages accessibles par – de rares – jeep sur des pistes boueuses sont dépassés, et nous sommes désormais à la merci des marches. On note que s’il n’y pas une importante affluence de randonneurs, ce sont les habitants locaux qui maintiennent constamment ces degrés en bon état.

C’est dans ce très beau paysage de villages bucoliques mis en lien par un réseau de volées d’escaliers que Lars nous rejoint à grandes foulées. Il vole de marche en marche.


Il n’est pas 9h, et déjà le soleil chauffe. Nous buvons beaucoup. Heureusement, le chemin possède de nombreux points d’eau où nous remplissons nos bouteilles et nous désaltérons fraîchement.
Devant les maisons, le linge sèche, les animaux broutent paisiblement, la vaisselle est en train d’être faite à l’eau froide des torrents. Toute l’activité matinale de ces villages que nous sommes ravis de traverser se déroule sous nos yeux.
Malgré la difficile ascension, nous nous sentons chanceux de passer par là, touchant d’un peu plus près la vie locale de ces habitants du Népal.



À mesure que nous progressons et que le soleil s’élève dans le ciel, le chemin s’enfonce à l’ombre de la forêt, nous abritant de la torpeur et nous isole de cette immense vallée aux cultures en camaïeu de vert, qui semblent si douces alors que chaque léger souffle de vent fait danser les tiges de blé.

Nous pénétrons une très belle forêt. Les bambous et plantes tropicales disparaissent à nouveau, et les arbres feuillus se couvrent de mousse dégoulinante de leurs branches, comme la forêt enchantée d’un film de Tim Burton.


Des rivières, des cascades, des cailloux, des racines, des branches tordues et dansantes. Voilà notre environnement une fois que nous passons le village de Shikha – marquant la moitié de l’ascension.

Mais malgré la fatigue de cette infinie montée, ces marches inégales, le terrain irrégulier avec ses pierres plus ou moins bien disposées et la chaleur, nous décidons de poursuivre.

Les températures diminuent à mesure que nous gagnons en altitude.
Ce trajet n’en finit pas. On continue de grimper, encore et toujours. Les surfaces planes sont quasiment absentes, imposant à nos muscles d’être en effort permanent.
On a mal aux jambes, ce qui doit être la première fois depuis notre départ, et c’est peut-être la journée la plus continument physique et épuisante depuis le début de ce trek… peut-être aussi est-ce dû à l’usure des jours précédents ?

Les dernières volées de marche sont vraiment éprouvantes. Nous savons que la fin approche, les genoux et les cuisses sont fatigués, le moral en prend un coup, il devient difficile de le motiver à puiser l’énergie nécessaire pour terminer.

Puis, nous parcourons les derniers mètres, nous élevant désormais à 2866m alt., alors que nous joignons Ghorepani peu après midi. Quel répit !

5h30 d’ascension ! On nous en annonçait 6 à 8… Et nous sommes heureux de ne pas avoir fait durer l’épreuve deux heures supplémentaires.

Ghorepani est un village ultra touristique dénué de tout charme. Installé sur une ligne de crête, il s’étend désormais aussi sur ses flancs, tout en maisons de béton, plaques de tôle et parois en contreplaqué. Aucune atmosphère sympa. Ça pique les yeux.
Ce lieu se situe à un gros kilomètre du sommet de Poon Hill, promontoire populaire pour avoir une vue magnifique sur toute la chaîne des Annapurna, Dhaulagiri et Machhapuchhare. Et malgré le manque évident de caractère du lieu, nous nous bouchons le nez et y faisons halte.

Nous trouvons tant bien que mal une auberge familiale, plutôt propre et calme. Nos hôtes ne sont que des femmes, de la grand-mère à la petite-fille, en passant par la cousine et les nièces.
D’ailleurs, quelques guests sont accompagnées de femmes-guides, chose assez rare pour être remarquée.

Un rapide tour du hameau et nous nous rendons compte de l’affluence touristique de ce lieu. Un flot de marcheurs submerge le sentier provenant de Pokhara pour remplir les dizaines d’auberges au confort sommaire. Nous trouvons à l’arrière d’une habitation, un buibui moins-cher-que-les-hôtels-mais-trop-cher-quand-même pour un thé et une assiette de momos/thukpa.

Cet après-midi, le ciel est plutôt couvert, et les températures de nouveau fraîches, ainsi nous nous réfugions autour d’un poêle dans un café, dégustant un apple struddel de réconfort, en compagnie de Lars et de Dan, re-re-re-rencontré.

Nous migrons plus tard vers le foyer de notre auberge, les jambes et le corps las de cette journée, impatients d’aller rejoindre Morphée. La journée de demain s’annonce intense et longue pour rejoindre le chemin menant au Camp de Base des Annapurna.
D’autant qu’avant cela, nous espérons pouvoir bénéficier d’une vue – apparemment incroyable – sur les Annapurna du haut de Poon Hill, Inch’Allah il fera beau… nous réglons notre alarme de bonne heure, et nous endormons pour le moment, sous la douce musique des gouttes de pluies sur les toits de tôle bleue de Ghorepani.

Tatopani : 1269m alt.
Ghorepani : 2866m alt.
16.0km – total : 5h34’




J18
Ghorepani – Chhomrong

Ghorepani : 2866m alt.
Crête de Deurali : 3200m alt.
Pont sur la Kyumrung Khola : 1891m alt.
Chhomrong : 2337m alt.
17.2km  6h27’

Nous sommes extirpés de notre sommeil vers 4h du matin, alors qu’une ribambelle de randonneurs équipés de lampes frontales passent devant l’auberge, en direction du point de vue de Poon Hill.
De notre côté, nous trainons encore sous les chaudes couvertures. Le ciel semble couvert, ce qui n’augure rien de bon pour la vue spectaculaire sur les Annapurna.

Et une heure et demie plus tard, alors que nous quittons notre chambre, le ciel est bien bas.
Nous partons bon train en direction du belvédère (payant…)
Mais nous ne discernons par la moindre montagne à travers le rideau de brouillard, et c’est sans regret que nous faisons demi-tour, profitons du lever de soleil à travers les couches nuageuses, et rejoignons notre auberge pour un dernier petit-déjeuner en compagnie de Lars.


C’est, à son tour, la fin du trek. Il part en direction de Pokhara, rejoindre sa copine et accessoirement Etienne, qui nous nargue régulièrement de photos alléchantes de bons plats !

C’est ainsi en binôme que nous commençons cette nouvelle journée à 6h50, partant en direction de Chhomrong, village étape sur le trek menant au Sanctuaire des Annapurna (Annapurna Base Camp).

Très peu de monde emprunte ce sentier de traverse, et nous sommes ravis du calme général qui règne alors que nous quittons Ghorepani.
De longs degrés bordés de feuilles mortes nous conduisent à travers un bois enchanté, à 3200m alt. sur le haut d’une crête.



Une clairière pleinement dégagée nous offre une vue aussi privilégiée que celle de Poon Hill.
En direction du Sud-Est, le paysage en dégradé de bleu crée une peinture matinale emplie de magie : dans ce tableau, les nuages blancs tracent une ligne parfaitement horizontale sur des silhouettes de collines qui s’estompent dans le lointain.

En contrebas au milieu de la vallée, un avion rompt le silence, se dessinant devant les pentes vertes partiellement déboisées de la montagne.
Derrière nous, vers le Nord, les nuages peinent à s’effacer et libérer les puissants sommets.

Après quelques minutes de contemplation sereine, nous entamons une longue descente, et nous nous enfonçons dans une magnifique forêt de plus en plus dense.
L’environnement est humide : les arbres sont couverts d’une mousse dégoulinante, les marches suintent, la terre est mouillée. Les branches d’arbres se tordent et s’entrelacent dans une atmosphère mystérieuse.





L’étroite rivière qui coule au fond de la gorge se transforme parfois en cascade dégringolante et que nous sommes bien en peine de suivre.
Les cailloux gouttent de l’eau qui leur coule dessus. Les falaises sont couvertes de végétation exubérante, dans des tons orangés. Les fougères sont omniprésentes, tout comme une multitude de plantes tropicales. Le sentier se couvre de feuilles mortes.
Cet environnement est magique et enchanteur, tellement différent des derniers jours.


Ne croisant qu’une toute petite poignée de marcheurs, nous descendons seuls, bercés par le doux bruit de la chute d’eau sautillant parmi les rochers. Ces infinis escaliers de pierre sont à nouveau une nouvelle épreuve pour nos genoux, qui encaissent les chocs irréguliers.

Nous passons quelques heures à perdre irrémédiablement les mètres que nous avons tant souffert à accumuler la veille… Et qu’il faudra regrimper pour rejoindre le village de Chhomrong.
Mais nous tentons de ne pas y penser, de profiter entièrement du paysage extraordinaire et de nous projeter pleinement dans le moment présent, alors que nous traversons cette nature sauvage et luxuriante.


En quittant la forêt, le sentier nous fait rejoindre le sommet d’une nouvelle colline à 2870m alt., où le village de Tadapani s’est installé. Nous traversons quelques surfaces planes et dégagées, déroulant nos jambes dans de longues foulées le temps – trop court – de rejoindre le bord du pinacle.
La vue depuis cette clairière est belle. Tout autour de nous, les cultures en coteaux habillent les flancs pentus.

En contrebas, très loin en dessous de nous, nous apercevons la gorge encaissée Kyumrung Khola que nous devons rejoindre et enjamber, et le sentier qui remonte sur le versant qui nous fait face.

Le pont suspendu qui traverse la rivière encaissée semble si loin, profondément installé dans le creux de la vallée.
C’est psychologiquement difficile de descendre si bas quand on sait qu’on devra en remonter autant… et c’est ainsi que nous attaquons une heure d’escaliers interminables, plus raide encore que ceux de la veille, nous faisant perdre 830m de dénivelé en 3,6km.
Quelques villageois habitent ces flancs abrupts, et nous traversons leurs terrains, les saluant rapidement avant de reposer nos yeux sur les cailloux mal ajustés qui forment les marches. Les cuisses chauffent fort, et encore une fois, nous louons l’achat de bâtons de marche. Bizarrement, notre chemin est envahi de mouches noires dont la majorité nappe les marches, et nous prenons soin de bien serrer les dents.

Épuisés, nous atteignons le pont suspendu dans un soulagement profond. Nous sommes à 1891m alt., nous avons perdu 1309m depuis le point de vue de ce matin.

Nous jambes sont heureuses de marcher à plat dans les oscillations du pont, avant d’attaquer la montée sur le nouveau versant. Une caravane de mules nous nargue en nous croisant, descendant le sentier caillouteux à toute allure.

La suite n’est évidemment qu’ascension. Pour autant, savoir que nous ne descendrons plus aujourd’hui nous rassure et nous redonne du moral – à défaut de faire disparaitre la fatigue.
Cette partie du trajet se déroule dans un décor vert éclatant, de cultures de millet et de hameaux aux façades des maisons blanches et toits en pierres de lauze (merci Mouta’).


Nous ne croisons que peu de randonneurs aujourd’hui.
En effet, cette journée est comme un trait d’union entre le trek de Poon Hill et celui du Sanctuaire des Annapurna, que peu de gens relie.

Les cinq derniers kilomètres et 700m D+ se font en fatigue sur un étroit sentier à flanc de montagne. Le ciel est un peu couvert et un léger voile couvre la vallée. Il est temps d’arriver.


Marion est épuisée alors que nous approchons du village de Chhomrong. La première auberge que nous rejoignons à 13h20 fera bien l’affaire. Et à vrai dire, notre choix fut le bon.
Comme c’est le cas depuis notre départ de Tatopani, les auberges sont posées sur le chemin de randonnée : le sentier traverse leur cour. Notre gîte de ce soir ne déroge pas à cette règle, et la table sur laquelle nous passons la fin de journée à bouquiner se tient en centre d’une courette en pierre plate.
Autour de nous ne sont que champs, nature et vue incroyable sur la vallée que nous dominons et qui s’étend à perte de vue. Derrière nous, Annapurna et Machhapuchhare se dévoilent timidement derrière les épais nuages de cette fin de journée.
Nos affables hôtes sont Gurung, ils possèdent de vastes terrains agricoles et quelques animaux. Nous sommes bien accueillis dans cette famille, réconfortés d’un délicieux chai au lait frais de bufflonne.
Une bonne douche, un peu de croquis et de lecture, des étirements dans tous les sens, et le nettoyage des épis de maïs pour Marion, cet après-midi se déroule en douceur pour nos corps fatigués d’une journée trop longue.

Nos hôtes nous préparent un dîner à base de dhindo, cette pâte de millet brune collante que l’on accompagne de dal et légumes (et d’un peu de riz en plus, si on n’a pas eu assez de féculents !!).
Si avec ça on n’est pas requinqués.

La soirée s’écourte très rapidement, nous nous endormons comme des masses.
On savait que la journée serait difficile, mais on n’avait pas prévu qu’elle représenterait autant de dénivelé. Nos genoux, fessiers et jambes ont bien souffert aujourd’hui, mais nous avons bon moral.

Nous sommes à l’entrée du Sanctuaire des Annapurna, on se rapproche du Camp de Base, c’est fou !
Une fois encore, il y a maintenant plus de deux semaines, nous ne nous imaginions pas capables de marcher si longtemps. Nous brûlons d’impatience de rejoindre ce Sanctuaire.

Ghorepani : 2866m alt.
Crête de Deurali : 3200m alt.
Pont sur la Kyumrung Khola : 1891m alt.
Chhomrong : 2337m alt.
17.2km – 6h27’


 

7 thoughts on “Trait d’union

  1. bonne année les loulous…
    bon ok ca tire un peu… mais Marion, avoue que grace à ta salle de sport découverte, tu es foutue comme une déesse !

  2. On ne vous arrête plus : de bourlingueurs à trekkeurs 😉
    En tout cas, c’est très vert, luxuriant et ça change : de quoi me conforter dans l’idée de revenir au Népal ce printemps dans un coin où les altitudes sont loin des hauts sommets (Lacs de Gosainkund et vallée du Langtang)

  3. Coucou les amis.

    Comment ça fait bizarre de voir de nouveau des bananiers !!!! J’ai l’impression que vous êtes sur une autre planète !

    1600m de dénivelé positif. Le profil de votre étape pique les yeux aussi….et les cuisses sûrement 🙂 bravo !

    Bisous

Ça vous inspire?