Bonus

J20
Sanctuaire des Annapurna

Annapurna Base Camp (ABC) : 4120m alt.

Le staff est encore en train de nettoyer l’hôtel alors que les derniers marcheurs viennent de quitter les lieux.
Nous trouvons ainsi rapidement une chambre pour 4 – que nous partageons avec Dimitri et Akiko qui nous rejoignent quelques dizaines de minutes plus tard (cette dernière nous remercie dix mille fois à la mode japonaise). Nous nous changeons, et enfilons l’intégralité de nos vêtements, car sans le soleil pour nous réchauffer, l’ambiance est bien fraîche, même dans la pièce commune. Et la journée va être longue.

Les nuages descendent et atteignent le Camp de Base des Annapurna, nous plongeant dans un épais brouillard intimidant. Les flocons sont épars, mais continuent de tomber. On sait que tout autour de nous, une dizaine de sommets à plus de 7000m alt. se dressent silencieusement, tels des sentinelles. Nous partons tout de même faire un tour au bord de l’énorme moraine, admirant les restes du glacier gris. Le canyon creusé par son passage fait plusieurs centaines de mètres de large et coule jusqu’au Camp de Base de Machhapuchhare et le coude au bout du plateau. Nous sommes impressionnés. Le tableau est ocre, gris… mais surtout blanc, telle une photo en bichromie délavée.
C’est émouvant, et malgré les frissons qui nous parcourent, nous tentons de profiter le plus longtemps du moment sur place, contemplatif de cette beauté.

Nous nous installons sur la banquette – et sous la couverture que nous avons rapporté de la chambre, et attaquons nos premières tasses de thé à 300rs.
Abbas arrive à son tour, trop heureux de son exploit solitaire*. Il se joint à nous et installe son barda dans un coin.

Nous restons abrités dans la pièce commune faisant face à la vallée et à Machhapuchhare, saluant et félicitant par la fenêtre les nouveaux arrivants dont Bibek (un népalais vivant aux États-Unis)** et son groupe de potes, qui ouvrent rhum et snacks, tellement heureux de leur ascension.
C’est avec tout ce petit groupe que nous passons une grande et longue partie de la journée, entre plats de pommes de terre et pâtes, thé et discussions sympathiques.

Nous sommes dans le nuage. La neige tombe et un voile blanc nous entoure une bonne partie de l’après-midi. On regarde les marcheurs, transits de froid, qui arrivent au compte-goutte, se prenant dans les bras, se congratulant et enchainant les photos, une large banane en travers à leurs visages fatigués***.


Et c’est grâce à l’euphorie des autres randonneurs célébrant leur ascension que, soudainement, nous prenons conscience que nous sommes, nous aussi, au Camp de Base des Annapurna. Petit à petit, l’émotion de toute cette épopée nous gagne. À notre tour d’être fiers et émus, contents et étonnés de nos capacités, heureux de tout.
Et pour parfaire ce moment, un souffle de vent parvient à rompre l’épaisse couche nuageuse et vient délivrer temporairement Machhapuchhare (6993m alt.) et le bas de Gangapurna (7455m alt.) qui se dévoilent majestueusement à nous.

Quel moment extraordinaire !
Tout le monde quitte son auberge et se rue sur le parvis, jubilant d’apercevoir enfin ces sommets magiques qui semblent si proche de nous.



Et tel le rideau d’une pièce de théâtre éphémère, le voile de nuage se referme en quelques minutes, et nous rentrons tous poser de nouveau nos fesses sur la banquette, qui nous aura supportés dix longues heures durant aujourd’hui.
Le soleil se couche, baignant ce que nous pouvons voir de la vallée d’une lumière bleutée.

La soirée est sympa, nous papotons avec Bibek et Abbas, écoutons de la musique et les quelques Népalais qui chantent joyeusement et nous nous réchauffons d’un bon et riche dal bhat.


Très vite la température chute. Dehors, l’eau fige dans la nuit noire toujours sous un plafond nuageux.
En nous couchant dans notre chambre glaciale, nous sommes remplis d’un sentiment de satisfaction.
Même si le temps n’a pas été au rendez-vous, la vue sur Machhapuchhare nous a ravis. Elle a apporté son lot d’étoiles qui a illuminé nos yeux encore un peu plus.
C’était, une fois de plus, une belle journée.



J20
Sanctuaire des Annapurna

Annapurna Base Camp (ABC) : 4120m alt.

La nuit est fraiche, humide et nuageuse.
Brice tente bien une escapade nocturne pour quelques photos. En vain, les nuages occupent encore la majeure partie du ciel et la lune est voilée. Cela n’augure pas un temps dégagé pour le lendemain.

Tant pis, la journée va être longue, notre corps fatigue, nous souhaiterions regagner Chhomrong ce soir pour rentrer à Pokhara le lendemain.
Le départ se fera donc tôt dans la matinée.

À 5h30, Marion vient réveiller Brice : les nuages se dissipent, et on voit les montagnes !
Quelques courageux bravent le froid et se sont précipités dehors pour rejoindre le point de vue au bord de la moraine.
Le soleil n’est pas encore passé au-dessus des montagnes mais les lueurs de l’aube se précisent.
Le temps est clair, les lumières sont belles. Quelques nuages cotonneux planent loin au-dessus des sommets.

Nous pouvons enfin les voir ! Nous exultons de joie et comprenons la mesure du relief qui nous entoure.
Hier encore, nous ne pouvions deviner qu’ils étaient si proches et si hauts – nous sommes à 4130m alt, les plus petites montagnes nous dominent de plus de 3000m !

Nous comprenons pourquoi cette cuvette a été dénommée le « Sanctuaire des Annapurna ». À 360° nous devons nous tordre le cou pour admirer les joyaux de cette couronne au cœur de l’Himalaya.
Il fait frais en cette heure matinale, Brice porte encore le collant avec lequel il a dormi et n’a pris le temps d’enfiler ni pantalon ni veste, mais nous restons pantois, oubliant le froid, profitant du moment les mirettes grandes ouvertes.
Nous sommes émus par ce paysage grandiose, les langues de glaciers de plusieurs milliers de tonnes qui coulent des différents pans et se rencontrent dans une puissante fusion au bout de cette moraine, et tant pis si la glace est grise de poussière multimillénaire.

Déjà les vents balaient des plumets de neige poétique sur les sommets de ces masses endormies.
C’est majestueux, immense.
Marion a les larmes qui coulent.
Nous nous savons très chanceux, surtout en comparaison de la météo de la veille.

On ne sait pas combien de temps nous avons passé ainsi dehors à observer les montagnes dans un silence religieux, mais déjà Abbas est sur le départ. Cette éphémère rencontre nous a remplis le cœur de bons sentiments et se sont de sincères et chaudes embrassades que nous partageons avec ce bonhomme alors qu’il quitte le Sanctuaire.

Dès 6h30 du matin, les premiers hélicoptères entament leur ballet dans le ciel alors que nous n’avons pas encore reçus les lumières franches des rayons du soleil.



Nous filons nous préparer, ranger notre sac, gardant constamment un œil à l’extérieur.
Nous alternons entre petit-déjeuner au chaud dans la salle commune, et sortie au dehors pour surveiller l’évolution de la lumière. Nous retournons sur le promontoire faisant face au glacier, et avons la surprise d’y croiser rapidement Dan’.

C’est au tour d’Akiko et Dimitri de partir. Nous restons encore un temps à jouir de chacun des détails de ce merveilleux tableau, et tant pis si nous prenons du retard sur notre planning. Ces considérations sont insignifiantes dans ces moments. D’autant que les premières lumières directes illuminent le sommet d’Annapurna I. En parallèle, le ciel se pare d’un infini bleu franc et la masse nébuleuse coagule en nuages cotonneux. En aval, en plein contrejour, la silhouette de Machhapuchhare, encore timide la veille, s’élève majestueusement.


Nous nous mettons finalement en route vers 7h30.

Néanmoins, nous ne manquons pas de tourner la tête vers Annapurna et ses voisins durant notre descente.


Si le terrain nous y autorisait, nous aurions volontiers marché à reculons tant nos yeux ont du mal à quitter ce magnifique tableau.
Dans le vallon formé entre la moraine et les pentes de Hiunchuli, l’herbe brulée par les rayons estivaux prend aujourd’hui des tonalités dorées, et détonne avec le blanc immaculé d’Annapurna et le bleu marqué du ciel.






Dans notre descente face au soleil levant, les rochers massifs et gris, résultats de glissements de terrain, prennent une teinte noire qui contraste à merveille avec le jaune omniprésent des prairies.

C’est plein d’émoi et de ravissement que nous rejoignons le bord du sanctuaire, et repassons dans l’ombre, à travers l’étroit passage formé par Hiunchuli et Machhapuchhare, pour regagner le lit de la rivière Modi Khola.

Désormais, nous prenons la route du retour vers Pokhara.

C’est la fin d’un superbe périple, ce trek a réellement été incroyable.
L’épreuve physique en valait vraiment la peine. Chaque jour fut une récompense, primée par ces majestueuses montagnes qui nous ont permis d’évoluer en leur sein.
Nous considérons le magnifique spectacle de ce matin comme un énième bonus et nous sommes pleinement reconnaissants de la chance que nous avons, aujourd’hui mais aussi depuis le début du trek, il y a 21 jours.

Certes les sentiers les plus populaires des Annapurna sont désormais arpentés par de nombreux randonneurs.
Néanmoins, la plupart du temps, nous sommes parvenus à avoir des moments privilégiés avec la Nature, toujours emplis d’une humilité respectueuse face à des montagnes colossales et les paysages dantesques de l’Himalaya.

La joie éprouvée est riche et puissante. Nous avons poussé notre corps et contrôlé notre mental pour aller plus loin encore. Nous nous sommes sentis vivants, et cela faisait longtemps que ce sentiment léger de bien-être et de béatitude ne nous avait pas traversé.
Mais ces trois semaines au plus près de la Nature nous ont permis de réaliser le plaisir que la marche nous procure, le bonheur de la lenteur et de la contemplation de tant de beauté.
Nous avons adoré analyser les strates et couches géologiques, se questionner sur la naissance de ces montagnes, et par ricochet, sur la Terre et ses merveilles.
Nous nous sommes retrouvés émus par une cascade, nous avons scrutés les hauts plateaux, mais aussi des sauterelles et des scarabées, et nous sommes émerveillés d’un lac d’altitude ou d’un épi de millet.

La montagne nous attire, c’est indéniable. Elle nous impressionne et nous intimide tout comme elle nous émeut et nous réjouit. Elle nous appelle. Ce rapport d’échelle est exaltant, passant de l’immense au minuscule, de l’insoupçonné au magistral, du fragile au solide, de l’eau à la glace, de la roche à la poussière, des vallées aux plaines, des sommets aux failles.

Cela nous pousse à aller encore plus haut, et plus loin, plus longtemps et plus isolés. Mais en aurions-nous le courage ?
Aujourd’hui, nous sommes galvanisés, ressourcés et apaisés.
Que c’était bien !

Pour nos statistiques personnelles, nous avons marché plus de 360km en 22 jours.
Nous avons franchi un col à 5416m alt., et dormi à 4870m alt. alors que nous sommes partis de 890m alt..
Au total, nous avons grimpés quelques 30 000m et en avons descendu un peu moins. Une journée de 2000m D‑, une ascension de 1500m D+ un autre jour, nous avons eu froid et mangé beaucoup de riz.
Nous avons perdu une bonne poignée de kilo chacun, nous avons eu beaucoup de hauts et rarement des bas.

Nous sommes désormais sur le chemin du retour, nos yeux chargés de ces vues inimaginables et fabuleuses, notre cœur des battements intenses et profonds, et notre peau des frissons de joie.
Nous redescendons le sourire aux lèvres… et les jambes en coton.

 

‘* C’est sa femme qui lui a fait la surprise de lui offrir, pour ses 70 ans, un billet d’avion, le voyant passer des heures sur internet à regarder des films et des reportages sur les montagnes et les expéditions au Népal. Tu veux y aller ? Et bien vas-y !

** Bibek et Abbas s’étaient croisés à l’aéroport à Dubaï, 3 semaines auparavant, arrivant du même vol depuis la Californie. Ces retrouvailles à 4120m alt. sont belles et surprenantes.

*** Une grande partie des randonneurs s’arrêtent au MBC (Machhapuchhare Base Camp) à 3700m alt., pour ne pas souffrir du mal des montagnes, et font l’aller-retour au sanctuaire.

 

11 thoughts on “Bonus

  1. Féerique ! Sensationnel ! Toutes Mes félicitations pour ces exploits ! Majestuosité du décors ! Bravo ! Merci pour ces partages…. bisous

  2. Vous me fascinez un peu plus tous les jours. Encore !!! Moi aussi je veux me sentir VIVANTE !! je vous embrasse les marcheurs.

  3. Grandiose, majestueux, magnifique… les mots manquent. Ca devait être impressionnant ce panorama de géants depuis le camp, d’autant plus avec ce mélange de couleur : le blanc des sommets et le doré de l’herbe séchée par le soleil.
    Merci de nous avoir fait vivre cela au plus proche avec un post toutes les 2 étapes

  4. Tout simplement BRAVO les amis !!!!!

    Bravo pour vos efforts, bravo pour le chemin, bravo d’y être arrivé, bravo d’avoir réussi à partager avec nous vos émotions, la beauté de votre aventure, et d’être aussi vrais envers vous-mêmes dans les moments difficiles comme dans les moments de joie.
    Même sur le toit du monde, vous pensez à vos proches, et vous êtes aussi émerveillés par la montagne que par les histoires de vies de voyageurs que parfois vous n’avez connu que quelques heures. En fait…bravo pour votre humanité !

    Un beso enorme !!!

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