Mon doudou d’hindou du Tamil Nadu

[Info pour ceux qui sont perdus : nous avons séjourné dans les régions décrites ci-dessous entre le 21 Février et le 2 Mars dernier. Plus d’info sur la carte à ce lien]

Le retour en Inde est plutôt éprouvant.
Notre arrivée a été, toutefois, assez simple.
Nous atterrissons dans la soirée à Chennai (anciennement Madras), et rejoignons notre hôtel en taxi. Nous n’avons pas envie de galérer en transport en commun. Il est tard.
Dans la seule lumière des néons blafards sur la peinture brillante bleu pastel des murs, l’accueil n’est pas très gai, mais suffisant. Pas de fioriture. Pas de cocooning. Nous sommes bien en Inde, et déjà la nostalgie du confort et la chaleur de nos amis d’Heenatigala se fait sentir.

Nous habitons le quartier populaire de Triplicane. À l’heure tardive à laquelle nous arrivons, il y a pourtant encore beaucoup de monde dans les restaurants de kebab, biryani, ou parota.
La rue est en effervescence.
Notre hôtel, dans une allée en retrait, est pour autant calme.
Condition sine qua non pour un retour en Inde en douceur.
Installé dans l’ancien consulat de Turquie, délicieux édifice de l’époque coloniale, il a été partitionné en d’innombrables chambrettes plus ou moins grandes. Si les murs ont bien été rafraichis du même coup de peinture uniforme et que les pièces sont propres, le reste baigne encore dans son jus.


D’antiques panneaux électriques, des ventilateurs ronronnant, des persiennes aux fenêtres, des rambardes en bois le long des coursives et d’immenses arbres dans les calmes cours intérieures. L’ambiance qui y règne est paisible.
Un dédale de couloirs et d’escaliers traversent les trois bâtiments qui nous isolent du tumulte de la rue.
Et si notre chambre fait face à la grande mosquée du quartier, nous y dormons comme des loirs.

Et il faut bien ça pour se protéger de la ville.
Car dès notre première journée, Marion est prise d’une terrible migraine, qui la cloue au lit presque 36h.
Brice sort seul se confronter à la rudesse de la ville.
La transition de notre calme allée à la rue trépidante est courte, et dès le coin de rue passé, c’est toute l’Inde qui saute à la figure.
Les klaxons, le monde, le manque de trottoir (ou leur encombrement par des motos ou sempiternels gravas empêchant de les utiliser), les odeurs de pisse et les mendiants.
Habitués des petites villes indiennes, ce sont bizarrement ces deux derniers points qui nous ont sautés aux yeux (et aux narines) à Chennai.
Nous avions rarement vu autant de personnes faire la manche (nous avions aussi rarement séjourné dans des grandes villes). Et la chaleur du Tamil Nadu et l’air relativement sec exacerbent les odeurs des ordures. Et contrairement au Karnataka ou au Kerala qui ont installé de nombreux toilettes propres dans les villes, le manque d’infrastructure, aussi bien que de collecte efficace des déchets, conduit de nombreuses personnes à uriner dans les rues, dans un parfum pestilentiel.

Ces désagréments olfactifs, visuels et auditifs ne se cantonnent heureusement qu’aux grands axes.
Dans les petites rues de ces vieux quartiers nous retrouvons nos bases. C’est sale mais pas insalubre.




Le sourire des gens et leurs bontés quand il s’agit de nous aider. Les étals de fruits bien achalandés, les échoppes colorées de friandises en tout genre, les casseroles noircies d’huile continuellement bouillante pour frire tantôt des samosa, tantôt des wade ou des puri au côté de samovar d’eau chaude pour la préparation du thé. Car comme évoqué lors de notre trop court passage dans le Kerala, nous avions découvert que le thé au lait n’est pas du tout préparé de la même manière que dans le Nord*.

D’ailleurs la culture est très différente, à commencer par la langue, dont les Tamils sont très fiers. Le tamul est une langue dravidienne, cette branche totalement distincte des langues indo-européennes – dont l’hindi, autant que le français ou le polonais font parties.
Ici rien n’est inscrit en hindi et il serait offensant de gratifier les passants d’un namaste (नमस्ते) ou de les remercier d’un shukriyaa (शुक्रिया), on a donc appris à respectivement utiliser vanakkam (வணக்கம் – bonjour) et nandri (நன்றி – merci). Plus nous passons de temps en Inde, et traversons les régions, plus nous réalisons que l’Union Indienne n’est qu’un patchwork de multiples cultures et nations**, fédérées avec des bouts de ficelle dans une entente de facto.

La nourriture diffère. Elle est délicieuse, aussi.
Servie sur des feuilles de bananiers en guise d’assiette, nous nous délectons de meals ou de sambar rice.

Comme à notre habitude, nous déambulons dans les rues colorées de la ville où les femmes sont en sari et les hommes portent en majorité le traditionnel longgi.
Nos pérégrinations nous font rejoindre, aux alentours de 13:00, l’immense plage qui borde la ville.

La grève est battue par de puissantes vagues. Quelques pêcheurs utilisent une partie de la large bande de sable pour étaler leurs filets, ou stocker les très nombreuses boites de polystyrène.

Présentant peu d’intérêt, nous quittons le bord de mer pour nous perdre à nouveau dans les ruelles du vieux quartier de Milapore.









Ici aussi, au-delà de quelques temples et églises (Saint-Thomas a terminé son évangélisation et sa vie à Madras), la ville n’a que peu de monuments dignes d’intérêt.

Nous tentons bien notre chance dans le quartier du fort, mais lui non plus n’est désormais qu’une succession de bâtiments administratifs sans grande valeur ou mal entretenus quand il s’agit de patrimoine historique.

La vrai découverte se fait alors au musée de la ville de Chennai.
En dehors de la collection surannée de la section d’histoire naturelle aux taxidermies poussiéreuses, et la muséographie désuète mise de côté, nous tombons sur la très complète collection d’artefacts et de sculptures de la partie méridionale du pays. Il est vrai que nous bénéficions aussi, d’un audioguide super complet qui nous accompagne deux bonnes heures. Nous nous attardons ainsi sur les détails, et comprenons notamment un peu mieux les successions et les influences des différentes dynasties ayant régné dans le Sud du sous-continent.

Désormais, nous remettons dans l’ordre les Pallava (IIIème au IXème siècle) qui, en guerre constante avec les Chalukyas de Badami, seront finalement dominés par les Chola (IIIème au XIIIème siècle) à partir du VIIIème siècle, eux aussi en conflit permanent avec les Pandya (IVème~ VIème au XIIème siècle) – qui d’ailleurs étaient alliés aux Singhalais (oui oui, du Sri Lanka) pour taper sur les Chola.
Ces contrées seront finalement absorbées par l’Empire Vijayanagar au XIIIème siècle.
Il est intéressant de soulever qu’à cette époque, il n’existait pas de religion dominante, mais que les régents alternaient entre Bouddhisme, Jainisme et l’Hindouisme dans une grande tolérance.
Les Chola ont eu une large influence dans le golfe du Bengale, essaimant jusqu’en Birmanie, Siam, et les actuelles Malaisie et Indonésie.

En résumé, nous ne sommes pas conquis par la ville de Chennai, poussiéreuse, bruyante*** et trop grande pour nous.

Le départ pour le village de Mamallapuram est, lui aussi, difficile.
La gare routière que l’on nous conseillait de rejoindre n’est pas la bonne. Ainsi, nous nous retrouvons dans les embouteillages, à retraverser la ville dans la direction opposée, dans un bus, qui nous dépose au bord de la route après une heure de trajet, d’où nous galerons et patientons avec de prendre un autre bus en direction de Mamallapuram. Les galères indiennes en somme. On a déjà parlé de l’efficacité des transports en commun dans le Karnataka ?78km et 3’30 plus tard, nous voilà dans notre auberge, une terrasse immense dominant la plage, face au golfe du Bengale.
Et directement, la quiétude du lieu opère.

Mamallapuram (aussi appelé Mahabalipuram) est un village de pêcheurs, dont les barques colorées reposent sur le sable brûlant de la plage.
Mais il ne faut pas croire, Mamallapuram est un village assez prisé du tourisme local mais aussi international.
On y trouve de nombreuses guesthouses, prises d’assaut les week-end par les jeunes de Chennai, des resto’ en tout genre, de la pizzeria à la boulangerie, des boutiques de souvenirs dont une quantité improbable de tailleurs et magasins de pashmina tenus par des Kashmiris.
Mais l’auberge que nous avons trouvée se trouve en retrait, au bout du village, au cœur du quartier des pêcheurs, nous permettant ainsi de trouver les buibui que nous aimons, le thé qui va bien et de nous immerger autant que nous le pouvons avec la population locale.


Au calme de notre auberge, cette plage qui s’étend sur des kilomètres, nous offre un panorama apaisant, alors que le vent iodé empli nos poumons.

Cet endroit est parfait. Une petite chambre sur le toit, une table sur laquelle nous passons des heures à bosser, contemplant les allers-retours des pêcheurs, ou à les entendre jouer aux cartes, patientant pour la prochaine sortie en mer. Tranquillement, les heures défilent.



Les ruelles du village sont riches en couleurs, chaque maison ayant opté pour un pot de peinture différent. Les chiens se délectent de quelques poissons tombés des filets ou se callent dans les tas de sable, cherchant en vain la fraicheur qui fait défaut ici. Car les températures sont élevées.




Et il nous est confortable de passer les heures les plus chaudes, sur notre toit-terrasse, à l’ombre et au vent.

Un matin, de très bonne heure, nous partons visiter les richesses culturelles que ce village a à nous offrir.
En effet, Mamallapuram était un port et une cité importante durant le règne des Pallava du VIIème et XIème siècle. Il reste aujourd’hui, sur ce petit territoire, une quarantaine de sites classés à l’UNESCO : temples hindous, mandapa, pavillons, chariots et rochers sculptés dans du granit, construit à l’époque, en l’honneur du roi Narasimhavarman I (aussi appelé Mahamalla – le grand combattant – nom repris pour la ville).Ainsi, nous voilà partis alors que la ville se réveille doucement, en direction des Punj Rathas, cinq temples monolithiques, édifiés en style dravidien, prenant la forme de chariots rituels. Malgré leurs modestes tailles, il est intéressant de voir le travail inachevé, laissant ces temples non sacralisés pour la plupart.

Chacun des chariots est dédié aux frères Pandavas (Arjuna, Bhima, Yudhishtra, Nakula et Sahadeva) ainsi qu’à Draupadi, leur femme commune.

Sur chaque temple, on retrouve les sculptures des dieux hindous, de motifs floraux et géométriques, alors que certaines coursives n’ont pas été achevées. Le travail aurait été interrompu à la mort du roi.

Nous profitons du calme du lieu en ces heures matinales, puis rejoignons l’imposant rocher sculpté, représentant « la Descente du Gange » (conte mythique hindou extrait du Pañchatantra), et la victoire du roi Narasimhavarman I sur les Chalukya.
L’ensemble est massif et laisse apparaitre une quantité de personnages et détails que, malheureusement, nous peinons à reconnaitre et comprendre.

Notre balade se poursuit sur la colline, qui abrite plusieurs temples creusés, plus ou moins aboutis. On y voit des scènes de combats et mythologiques, des dieux hindous, et quelques chauves-souris qui habitent les lieux et dont l’odeur âcre des excréments nous empêche de nous attarder sur les fresques des monuments.




Nous sommes ravis de notre excursion matinale, évitant la chaleur mais aussi la foule, ce qui nous permet de profiter pleinement du silence, des écureuils et des oiseaux, et de rejoindre un buibui de petit-déjeuner aux délicieux utapam, idli et white chutney à la coco.

Nous passons le reste de la journée à la maison, entre blog, croquis, lecture, contemplation, papayes et grenades. Le reflux des vagues en bruit de fond.

Puis nous rejoignons le Temple du Rivage, dont le toit sculpté pointe sur une petite avancée sur la mer, au bout de la plage.
Datant lui aussi du VIIIème siècle, il est une des structure en pierre les plus vieilles du Sud de l’Inde, et est largement visité.


Une rangée de nandi protège une cour centrale, alors que le temple s’élève en son centre. Les pèlerins sont nombreux, venant prier Shiva et le linguam installé dans une des grottes.
Les sculptures extérieures sont bien érodées, surement à cause de sa proximité avec l’océan, et nous apprenons par la même occasion, que le temple a tenu le coup, face au tsunami de 2004, qui a gravement touché la côte indienne.
Nous en faisons le tour, un peu rapidement on l’avoue – le manque d’information chronique des sites patrimoniaux indiens nous lasse vite, discutons sur les gradins avec un couple de Français en vacances, échangeons quelques bons plans, et puis quittons le temple en direction du centre du village, où nous nous arrêtons pour notre diner.

Les journées s’enchainent sereinement.
La mer, le vent, le calme…
Nous décalons plusieurs fois notre départ, étendant notre séjour dans ce cadre serein.

Et puis nous commençons à programmer un week-end avec Michael, Marcus et Johana.
Nous prenons ainsi la route de Puducherry, espérant nous croiser tous ensemble, quelque part, au Tamil Nadu.

 

 

‘* Beaucoup plus propre, les étals pour préparer le thé, ainsi que les petits verres, sont lavés à l’eau bouillante tirée du samovar.
Contrairement au thé du nord – qui est une infusion de thé dans du lait légèrement aqueux – on peut ici choisir le degré de sucre dans son breuvage car le sucre est mis dès le début dans le verre – et non dans la casserole. Puis dans une chaussette pleine de feuilles, coule quelques gouttes d’un concentré de thé sur le sucre. Du lait chauffe tout au long de la journée dans une grosse casserole. On en verse dans le verre pour finir par une grosse cuillère de la mousse écrémée de la surface du lait.
On mélange le breuvage en plusieurs aller-retour dans une jolie tasse de cuivre et le breuvage à 10₹ est servi.

** Notre ami et hôte à Trichy, Kartik, venu du Gujarat vivre dans le Tamil Nadu, a soulevé qu’il ne serait pas étonné de voir un jour les états du Sud (Tamil Nadu, Kerala, Karnataka, Telenganu) former un pays à part entière. Il nous raconte que son intégration au Tamil Nadu n’est pas forcement évidente (presque plus difficile que pour nous) et que les habitudes y sont bien différentes. Il est, tout comme nous, considéré comme un étranger.

*** A contrario, le métro est le seul espace calme, propre, silencieux et climatisé.
Trop cher pour beaucoup d’indiens, il n’est que peu plébiscité, mais il sera pour nous un excellent endroit pour nous reposer du tumulte et la torpeur de la ville, et circuler confortablement.

 

5 thoughts on “Mon doudou d’hindou du Tamil Nadu

  1. Très bon souvenir Mamalapuram! On avait été dans un bouiboui aussi en face de notre hôtel près de la plage. Pas de menu, le gars nous demande ce qu’on veut et prends la commande. Il va dans sa cuisine, en ressort avec un grand panier, monte sur son vélo et revient 45 minutes plus tard avec les ingrédients….
    Beaucoup de Français aussi qui tiennent des resto servant de l’aileron de requin..

  2. Je vous crois sur parole, mais vos photos de (Kazou) Chennai ne donnent pas l’impression d’une ville bruyante, surpeuplée ou sale. C’est sans doute parce que vous erriez dans des quartiers pas trop fréquentés : on ne voit pas beaucoup de monde sur les clichés.
    C’est sûr qu’en comparaison Mamallapuram a l’ait beaucoup plus zen… et votre spot donnant sur la plage me rende dingue depuis mon confinement parisien 😉

  3. Coucou les jeunes!

    Bizarre sensation celle que m’a transmis le début de ce post. Je crois que c’est la première fois que les désagréments semblent l’emporter sur l’envie de découvrir, et que je raye Chennai de ma liste des lieux à visiter…désolé Kazoo… 😉

    Par contre ces temples de Punj Rathas et le temple du rivage, qui semblent faits de sable humide sont très intéressants.

    Gros Bisous
    Profitez de bien de votre terrasse et de votre vue sur votre plage infinie!

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