Stop à Sost

Et nous voilà débarqués en plein pays pakistanais, au poste d’immigration de Sost en reculant nos montres de 3 heures.

Pendant que nos serviables compagnons de voyage s’affairent à décharger la cargaison des bus, nous sommes invités à remplir les formalités d’immigration.

Le formulaire de quarantaine, celui d’entrée, le contrôle des passeports et l’entretien avec le chef de la douane se font tous dans une même et unique pièce, de manière informelle, et dans la bonne humeur.
Il y a bien la question « mais vous allez où après ? » à laquelle nous avons encore des scrupules à répondre, « en Inde pardi ! », surtout quand le douanier remarque que la page suivante de notre passeport arbore un beau visa rose et bleu de la République d’Inde.

« Rien à déclarer ? »
Un mouvement de la main, un sourire gracieux, un tampon, et hop ! Welcome to Pakistan!

Nous grimpons les dix mètres de pente poussiéreuse du poste frontière / gare de bus internationale / douanes pour nous retrouver dans Sost !

Ce que nous pensions être une ville n’est en faite qu’une route bardée de cahutes et petites échoppes en bois ou en agglo’ (pour les plus cossues).

En déambulant dans l’unique rue, on se souvient de Moreh, en Inde, et de nos innombrables aller-retour pendant plusieurs jours alors que la route était alors bloquée.

Bien avant d’arriver à Sost, nos collègues de voyage nous avaient déjà fait une liste longue comme le bras d’endroits à visiter, de lieux où s’arrêter, le tout avec photos et cartes de la région.
Les distances, le prix des passenger-car, dans quel ordre visiter quoi et pour combien de jours, on sait tout avant même de poser le pied au Pakistan!
Et bien sûr, on nous conseille une petite auberge, dans laquelle nous sommes accueillis avec sourire, générosité et extrême sympathie par Karim et Liaquat.


Une petite chambre simple, à la moquette en faux gazon, cela sera parfait pour les deux prochains jours que nous nous apprêtons à passer ici.
Parce que finalement, il n’y a pas grand-chose à faire à Sost. C’est une ville de business. Un ballet de semi-remorques chargés traverse normalement cette rue (mais depuis quelques jours, les douanes sont en grève… apparemment – ce qui nous arrangera bien).

En effet, alors que Jason – un chinois de Huizhou ! – qui était dans le minivan avec nous, nous accompagne dans cette petite auberge, on réalise qu’aucune de nos cartes de retrait ne fonctionne. Bien sûr, nous avions liquidé nos derniers Yuan.

Pas grave, en cinq minutes, tout est résolu par nos nouveaux hôtes. On passe par l’option « pas besoin de payer », « je vous invite », « je vous emmène à 2h de route pour aller à l’autre banque la plus proche », « vous me payerez plus tard », …
Nous avons l’embarras du choix mais sommes un peu dans l’embarras tout de même.
Finalement, un de nos compagnon de voyage part retirer des sous pour nous, et nous payons son collègue Jason via WeChat.
Et c’est cette option que nous allons adopter à plusieurs reprises, notamment avec les chauffeurs chinois bloqués à Sost. Hyper pratique !
Notre portefeuille plein de roupies, nous voilà plus détendus et c’est ainsi, ambiance très accueillante faisant, que nous choisirons de rester une journée supplémentaire.
Car si cette ville est sans aucun intérêt (on a cherché, on ne voit vraiment pas), nous y avons reçu un accueil chaleureux, et nous avons conclu que ça pourrait être une bonne immersion.

L’après-midi de notre arrivée déjà, nous sommes happés dans la rue et invités chez le pote du pote du copain du bus pour un chai et samosa de bienvenue.
Nous nous retrouvons ainsi une dizaine – que des hommes – dans la petite boutique de pierres précieuses pour un convivial moment de discussions.
On réalise que les gens ici, sont éduqués et la conversation en est facile et intéressante.
Quelques photos plus tard, nous revoila le long de cette unique route, à observer les gens.
Des gens qui ne correspondent pas du tout à l’image que nous nous faisions des Pakistanais.
Car les gens que nous rencontrons dans cette région ressemblent plus au hipster d’Oberkampf qu’au djihadiste ceinturé d’explosif. Nous sommes décontenancés à chaque nouvelle rencontre.

Retour à la maison, une assiette de nouilles avalée et une soirée sympa papote avec Karim, Liaquat et leurs deux potes, on parle religion, sécurité, géographie, ethnies et langues locales. On apprend plein de choses, ces échanges sont riches.

Et au lit ! Cela ne fait pas cinq heures que nous sommes ici, et nous avons déjà des millions de nouveaux contacts.
Dans notre tête, les informations, les questionnements et interrogations fusent.

Le lendemain, après s’être émerveillés des montagnes qui nous entourent, nous partons en quête d’un chai du matin.
Arrivés au niveau de la ‘rue’, on se retrouve déjà invectivés par nos rencontres de la veille.
Nous sommes déjà « connus ». Le banquier nous dit bonjour et nous invite à boire un thé, on salue le chauffeur du minivan, le pote des samosa et à quelques autres inconnus qui nous répondent toujours positivement – mais toujours QUE des hommes.

Le hasard nous fera rencontrer une équipe de tournage d’un film vantant les beautés du pays.
… ils connaissent tout du Pakistan, on va pouvoir élaborer notre programme !
Il n’y a pas de guide de voyage pour ce pays. Ici plus qu’ailleurs, c’est l’échange de bons plans avec les voyageurs ou les locaux qui est primordial et façonne notre itinéraire.
On nous parle de lieux que nous ne connaissions pas encore, mais dont les noms nous seront connus dans trois semaines : Passu, Chitral, Kalash, Nagar, Astor… est ce que c’est sûr ? est-ce que c’est pollué ?  …
Si notre programme a le temps de changer, et que notre itinéraire se tracera au fur et à mesure des rencontres, cela établi déjà de bonnes bases.

L’après-midi, nous partons nous balader – en plein soleil – de l’autre côté de la rivière.




Posé sur le dessus d’un plateau, quelques massives maisons entourées de vergers et potagers font face à Sost.
Les pommiers sont chargés de leurs fruits rouges et verts, et par terre, des abricots sèchent sur des nattes colorées.
Quelques habitants se baladent, des enfants rentrent de l’école.





Il n’y a pas grand monde à cette heure-ci mais la quiétude qui émane de ce village du bout du monde, coincé au creux de ces abruptes montagnes nous fait beaucoup de bien.
On cherche un peu nos repères.
Nous sommes en pays musulman, et les codes hommes-femmes sont nouveaux pour nous et un peu compliqués à saisir au premier abord.

Dans le nord de la région de Gilgit, la population est à majorité Waghi et Burushaski.
On apprend très vite que ces peuples occupent aussi certains territoires du Tadjikistan, d’Afghanistan (corridor de Wakhan) et de la zone de Chine que nous venions de quitter.
Historiquement même, cet état souverain de Hunza s’étendait jusqu’à Kashgar parait-il et n’a été partitionné et annexé au Pakistan que quelques années après la Seconde Guerre Mondiale.

La région présente un taux d’alphabétisation record en comparaison avec le reste du pays.
Nos interlocuteurs sont alors très fiers de nous dire que « tout ça, c’est grâce à leur Imam, parce qu’ils sont Ismaéliens ».
Cette secte musulmane dérive du chiisme.
Ils sont musulmans mais certaines règles, codes et dogmes varient.
Ils attachent moins d’importance à la forme, qu’au fond. La religion, c’est dans le cœur, pas besoin de se justifier par quelconque action. Alors, ici les femmes ne sont pas voilées et prient avec les hommes dans les Jamat Khana (leur mosquée, madrassa, centre communautaire), il n’y a que trois prières par jour, plus de tolérance avec le Ramadan, et le Hajj… et les hommes serrent la main de Marion pour lui dire bonjour !

L’éducation est prépondérante pour comprendre et limiter les intégrismes.
Les enfants sont tous scolarisés dans des écoles spécifiques, et nombre d’entre eux poursuivent leurs études à l’université et parlent bien anglais. Le principe est que « si tu as le temps de prendre trois repas, tu peux en supprimer un, et prendre ce temps pour étudier ».

Leur leader, l’Imam Aga Khan, qui vit à Paris, est un mécène culturel important. Outre sa fondation internationale, il subventionne l’éducation dans tous les villages ismaelis.
Pas mal de flou subsiste autour de cette secte. Les Sunnites et Chiites du pays les considèrent comme de faux musulmans… et on ne saurait pas trop ce qui se déroule au sein de Jamat Khana.

Ainsi nous apprenons ces nouveaux codes et nous étonnons, encore une fois, de voir des gens châtain clair aux yeux bleus (ils seraient descendants des Perses et ou des Grecs lorsque Alexandre Le Grand serait venu faire un tour dans la région).

Dans le village, nous sommes invités à boire le thé et manger une pomme chez une des habitantes du village, professeur de mathématiques. « Come to my house to eat an apple » qu’elle nous dit.
On papote, les enfants grimpent à l’arbre pour attraper ces fruits bien murs (ça pousse à 2400m des pommes!), quelques photos (nous sommes timides, mais c’est elle qui nous invite à le faire) et nous reprenons notre chemin, à travers ces petites ruelles en terre battue du village de Khudabad.

On grimpe un peu pour profiter de la vue, du calme, du paysage, des montagnes.
Nous sommes entourés de massifs arides où ne poussent que de petits arbustes, plantes grasses, ou herbes aromatiques.

Mais les populations de toute la vallée de Hunza jusqu’à Gilgit maitrisent la canalisation des torrents provenant directement des glaciers. Un réseau de ruisseaux saute de parcelle en parcelle et les champs et vergers pullulent et illuminent ces vallées de leur couleur verte.

Notre séjour ici commence bien.
Nos aprioris sur le Pakistan tombent déjà.
Et on se dit qu’on va beaucoup parler montagnes ces prochaines semaines.

9 thoughts on “Stop à Sost

  1. Prems ?
    Sympa tous ces posts réguliers. Vous allez pouvoir expliquer à Star Ac’ comment on fait des fruits secs. En Iran aussi, ils ne pratiquent que 3 prières par jour (ils font d’une pierre deux coups sur celles de l’après-midi et du soir).
    En tout cas, c’est sûr que vos rencontres ne ressemblent pas aux pakis de la gare de l’Est

  2. Effectivement, l’amabilité des gens rencontre l’amabilité de la nature et la sérénité des contrastes entre rochers/nature
    tout cela influe sans doute sur le comportement si doux des personnes rencontrées
    AGA KHAN est connu comme un membre de la jet set et ce depuis au moins son père marié à de très belles actrices entre autres américaines, et qui divorçait sans complexe. De plus il possède une immense fortune qui provient des adhérents de cette secte des ismaëliens

  3. J’ai rattrapé le debut de la bourlingue 2.0 d’un trait, ça fait plaisir de vous lire et de partager votre voyage et les magnifiques photos. Bises du Michigan

  4. Comment ça fait plaisir !
    Ça redonne confiance en l’etre humain un post comme ça…
    Franchement, je sais pas si un jour j’aurais le temps d’aller chez Sost, mais j’ai déjà mis le pakistan sur ma liste. Ne ns decevez pas 🙂
    Et en plus on fait tomber des fausses idées sur cette zone du monde : les pommes poussent à 2400m :))))

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