Trichy, sans chichi

[Info pour ceux qui sont perdus : nous avons séjourné à Trichy du 11 au 14 Mars dernier. On se rapproche !
Plus d’info sur la carte à ce lien]

À la suite de notre séjour « entre amis » dans le Chettinad, et malgré les premiers doutes que nous avons concernant la propagation encore naissante du Covid19 en Inde, nous avons toujours en tête de rejoindre le petit isthme du Pont d’Adam (pendant indien de la presqu’île de Mannar, visitée l’année précédente), puis de descendre la côte jusqu’à la pointe extrême Sud du sous-continent, avant de remonter le pays le long de la mer d’Arabie. Nous nous donnions deux semaines pour atteindre le Malabar.

Nous pensions que, durant ce laps de temps, la crise émergerait à peine en Inde, et que nous pourrions alors attendre tranquillement notre vol du 21 avril pour la France, depuis notre pied-à-terre de Kannur. Nous avions même l’espoir d’y retrouver, Johana, Michael et Marcus pour un autre week-end de vacances.

Ainsi, encore plein d’insouciance, nous quittons Chettinad en direction de Trichy (Tiruchirappalli), dernière étape de notre pèlerinage des temples Chola.
C’est aussi notre premier CouchSurfing depuis notre retour en Inde. CS nous permet d’être en contact avec des gens, de discuter et de nous immerger un peu plus en profondeur… et cela nous manquait.
Après quelques heures de bus, un autorickshaw nous dépose dans le quartier résidentiel populaire de Kartik.

Kartik et sa femme Aru’ sont architectes. Il est Gujarati, elle est Bengali. Ils ont tous les deux fait le pari, quelques années plus tôt, de venir vivre dans le Tamil Nadu. Une expatriation pour eux.
L’alimentation est singulière, les gens ne parlent pas hindou (nous avions déjà évoqué la fierté tamoule – limite nationaliste). Eux aussi ressentent que la culture est vraiment différente.
Alors que nous arrivons à Trichy, un premier cas de Covid19 vient d’être diagnostiqué dans la ville – signe que les choses s’accélèrent, mais Kartik ne remet pas du tout en question notre accueil, et nous ouvre sa porte comme on le ferait face à des amis de longue date. Aru’ n’est malheureusement pas présente lors de notre séjour, elle est retournée voir sa famille pour quelques jours.

La ville de Trichy abrite l’impressionnant temple de Ranganathaswamy, dédié à Ranganath, la forme endormie et pensante de Vishnu.
Cet immense complexe (650 000m2) est le plus grand temple d’Inde, formé de sept enceintes concentriques.





Au sein des deux premiers prakara (enceintes extérieures des temples) se concentrent de nombreux commerces, restaurants, auberges, vendeurs d’offrandes… faisant du site une cité enclavée dans la ville (aussi frénétique qu’à l’accoutumé).
Au fur et à mesure que nous passons les gopuram et que nous nous rapprochons du sanctuaire (interdit aux non pratiquants), la foule s’étiole et le tumulte laisse place à la sérénité.


Il faut dire qu’une fois encore, nous déambulons aux heures les plus chaudes de la journée.

Les murs nus sont frappés de la marque de Vishnu. Les piliers s’ornent de sculptures, notamment ceux du Shesharayar mandapam de l’époque Vijayanagar (ici, contrairement à Hampi, le matériau n’est pas du granit, et le travail révèle une admirable finesse). On y retrouve les réincarnations de Krishna, mais aussi une quarantaine de chevaux, monolithes, montés de leurs cavaliers.

Nous retraversons les enceintes, remontons une calme rue bordée de cahutes fragiles et de bovins nonchalants puis rejoignons, à quelques kilomètres, le temple de Jambukeswarar, recommandé par notre hôte architecte.







Ce temple, dédié à Shiva, est beaucoup plus intimiste que le précèdent.
De lourds piliers décorés supportent le plafond. De longs couloirs courent dans la pénombre.






Contraste saisissant avec les murs simples de la cour, inondée de lumière.

Cette longue balade aura eu raison de nous. Nous rentrons claqués, dans notre « chez nous » du moment.
La situation étant ce qu’elle est, notre amphitryon préfère éviter les resto’ et buibui. Ainsi nous nous préparons de bons repas, dans le confort de la maison et d’une cuisine bien équipée.Nous partageons ainsi du bon temps avec notre hôte, aux idées et discours intéressants.
Il est assez critique envers le gouvernement, alors même que le sujet du NCR-CAA continue d’enflammer les foules – conduisant à de tristes issues. Et puis, nous discutons beaucoup de l’inéluctable fléau qui nous surprend tous.

L’arrivée soudaine du Covid19 dans notre train-train nous conduit à changer brutalement nos priorités et revoir notre planning.
Changer nos habitudes aussi car la ville de Trichy demeure un ville indienne où la promiscuité est inévitable et les conditions d’hygiène incompatibles avec les règles que la situation impose.



Notre programme est ainsi chamboulé.
Nous recevons un email d’Air India annonçant que notre vol du 21 Avril est annulé*. Nous nous y attendions.
Et puis globalement, les gros titres parlent de plus en plus de la pandémie « apportée par les étrangers ».
L’Inde s’affole, sans pour autant se préparer.
Nous n’avons pas trop goût à sortir et retournons le problème dans notre tête.
Et plus on y réfléchit, plus on se dit que s’éloigner vers le Sud n’est pas une bonne idée.
Mieux vaut partir directement à Kannur, il y a un aéroport international… et puis au pire, des vols pour Bombay… et puis tout ira bien.
Une nouvelle journée de réflexion, d’aller-retour chez Air India, au supermarché pour quelques victuailles et à la gare, et nous trouvons surprenamment deux places dans le train de nuit hebdomadaire qui relie Trichy à Kannur dans la soirée.
Ah nous serons bien chez Ranjit ! La plage déserte, les oiseaux qui virevoltent entre les palmes, les cormorans qui plongent dans la mangrove, les crabes qui creusent le sable, le silence, l’isolement, la quiétude du lieu nous confirment que c’est la bonne décision.

Par cette diagonale tracée en travers du Sud du sous-continent, nous mettons en suspens notre voyage en Inde.

On quitte ainsi Kartik, sans poignée de main ni embrassade, mais avec la promesse de nous revoir sous de meilleurs auspices.

La suite, ce sera notre « la fuite » que nous avons contée il y a un mois, déjà.

 

 

‘* Mais démarre alors une bataille pour tenter de rentrer en communication avec le service client d’Air India et nous faire rembourser. Le bureau de Trichy ne peut pas prendre notre demande. Nous devons faire ça en ligne ou par téléphone. Mais les réponses ne reviennent pas et le standard téléphonique est injoignable**. (Rien de bien rassurant à l’heure actuelle – nous qui ne réservions jamais de billets en avance.)

** Le seul répondeur automatique au monde qui te dit : « Votre temps d’attente est estimé à 35min, vous êtes numéro 20 en liste d’attente », puis 5 minutes plus tard : « Votre nouveau temps d’attente est estimé à 42min, vous êtes numéro 36 en liste d’attente ». Incredible India !
Nous sommes parvenus à les joindre au bout d’une heure et demie d’attente, en pleine nuit, alors que nous attendions notre vol pour Bombay. Et la discussion n’a pas été simple.
On se demande encore s’ils ont compris.

8 thoughts on “Trichy, sans chichi

  1. Bien beau souvenir que ce temple, où l’on y voit de merveilleuses sculptures entre autres de chevaux ouvragés.
    Dommage de partir si vite et dans l’inquiétude, votre hôte avait l’air bien sympathique !

  2. ah ah : énorme le gestionnaire de fil d’attente du répondeur. Tu perds 16 places en 5 min. Et oui, y’a toujours des chouchous

  3. Coucou les amis,
    Wouah! Impressionnant le temple. En fait c’est une ville temple, avec sa réserve d’eau et tout.
    C’est une très belle façon de mettre en pause votre voyage avant “la fuite”.
    Gros bisous!

    1. Et c’est incroyable de voir comment la vie s’organise autour du temple. Les vendeurs ambulants, les simples badauds, les gens qui se retrouvent là entre amis ou pour une sieste à l’ombre et au frais, … C’est un vrai lieu de société

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