Dans les Ghats hauts

[info pour ceux qui sont perdus : nous étions à Munnar autour du 20 janvier dernier]

Plus que quelques jours avant de nous envoler pour le Sri Lanka depuis Madurai, au Tamil Nadu, de l’autre côté de la chaine des Ghats Occidentaux. Nous les avions brièvement franchis en reliant Mumbai à Aurangabad mais cette section, 1200km plus au Nord n’était pas tant accidentée, et en quittant Kochi, nous n’imaginions pas que la route que nous allions prendre enchaine autant de virages à travers des paysages si pittoresques.

Cette immense chaîne de montagnes se déroule le long de la mer d’Arabie à l’Ouest et borde le plateau du Deccan à l’Est sur plus de 1600km. Le mont Anamudi, au Kerala, avec ses 2695m alt. en est le point culminant.

Nous quittons Fort Cochin de bonne heure, pour rejoindre la gare de bus d’Ernakulam et partir en direction de Munnar, à mi-chemin sur la route menant au Tamil Nadu. Étape parfaite avant de rejoindre Madurai.
La ville est connue pour sa culture intensive de thé, installée sur les collines des contreforts des Ghats à 1600m alt.
Nous quittons ainsi la côte pour les montagnes du Kerala.

La journée est belle, nous prenons rapidement de la hauteur.
Les sommets arrondis des montagnes environnantes apparaissent, les falaises et cascades aussi.
Le paysage change, tout devient plus vert, humide et lumineux. Des hameaux poussent dans les creux des vallées que nous traversons. Petites maisons aux toits de tôle rouillée, la vie de ces villages semble seulement rythmée par le passage des voitures qui s’arrêtent pour acheter des épices ou du thé. Des chapelles franciscaines, de cette région fortement évangélisée, parsèment la route de leur minaret atypique qui pointe vers le ciel.

À mesure que nous grimpons, le paysage se sculpte. C’est incroyable d’observer comment la main de l’homme a réellement partitionné et organisé les terres.
Alors que certains parcelles sont occupées par des forets denses et tropicales, de larges parties des collines ont été rasée pour être dorénavant recouvertes de ces arbustes bien taillés, les théiers.

Quelques hôtels, beaucoup trop gros et complètement abandonnés, sont installés ici et là. On sent que des permis de construire ont dû fuiter…
Sur les bords de route, nombres de voitures sont arrêtées pour quelques pauses photos.
Depuis notre bus, nous sommes à la fois contents de découvrir cette partie du Kerala, mais tout autant appréhensifs de l’atmosphère touristique que nous trouverons à l’arrivée. Nous savons que les hills stations sont très prisées des Indiens, trop heureux de s’échapper de la torpeur des villes pour la fraicheur des Ghats. La ville est d’ailleurs appelée « le Kashmir du Sud ». Mouais…

La route serpente au milieu des plantations, dont de jolies fleurs rouges contrastent avec cet intense vert frais des jeunes feuilles de thé.

De larges cailloux anthracites pointent çà et là, alors que quelques arbres s’élèvent au-dessus des plants. Au Sri Lanka, on nous avait dit que les arbres permettaient à la fois de cultiver le poivre*, liane grimpante, mais aussi de procurer de l’ombre aux cueilleuses.
Nous n’avons pas d’autres explications à la présence de ces arbres, survivants du coup de tondeuse que les Anglais ont donné à la fin du XIXème siècle.

138km, 5h et 1500m de dénivelé plus tard, nous sommes déposés au village de Munnar, où nous trouvons rapidement une auberge. Nous nous installons pour deux nuits.

Malgré le beau ciel bleu au-dessus de nous, les nuages font rapidement leur apparition. Ainsi, nous partons nous balader dans les plantations des alentours.
Nous sommes seuls, et sans nous aventurer trop à l’intérieur des plantations, domaines privés, nous parvenons à nous faire une jolie balade d’une dizaine de kilomètres, suivant le chemin de collecte des sacs de thé. Au loin, nous entendons les coups de ciseaux des cueilleuses, faisant une coupe « rasée de près » aux arbres à thé.
En effet, ici, tout comme nous l’avions vu à Sumatra en Indonésie, les cueilleuses utilisent de larges ciseaux auxquels sont attachés des sortes de paniers qui collectent les bouts de feuilles.
Au Sri Lanka, la cueillette se faisait à la main.




Nous passons devant quelques temples, et longeons ces immenses parcelles cultivées.
Le paysage est incroyablement graphique. Des lignes horizontales, parallèles coupent les collines, des diagonales ondulent. Vues de haut, elles donnent l’impression d’une immense empreinte digitale. Ici, quelques rochers ponctuent le paysage. Là, quelques arbres s’élancent vers le ciel, rompant l’horizontalité.

En contrebas, on aperçoit les villages des cueilleurs, bâtiments collectifs dans lesquels plusieurs dizaines de familles vivent côte à côte – comme nous en avions visités au Sri Lanka.







Cette journée est riche en couleurs. Nous observons quelques oiseaux dans ce silencieux paysage, à la fois témoins de la beauté graphique des plantations, mais aussi conscients de la déforestation importante qui a eu lieu pour venir planter tout d’abord du café et de la cardamone, puis du thé. Une autre perte majeure d’une faune et flore locale au profit d’une monoculture.

Notre balade se termine dans le buibui du coin, autour d’un bon thali. Et nous décidons de passer la journée du lendemain à travailler au blog. Ça tombe bien, le temps est couvert. Nous sommes d’autant plus ravis d’avoir pu profiter de lumières et couleurs de la veille.

Nous quittons Munnar de très bonne heure, alors que le soleil peine à passer au-dessus des Ghats. Et à ces heures matinales, autant dire que ça caille.
Nous partons en direction de l’Est, rejoindre le Tamil Nadu et Madurai. La lumière éclaire progressivement les flancs de montagnes, et les plantations s’illuminent d’une lumière chaleureuse, dissipant progressivement la fine brume qui s’accroche aux sommets.



La route est incroyable. Une fois encore, nous n’avions pas imaginé que ces Ghats pouvaient s’arrêter de manière si nette.
Ainsi, une longue série de zigzags nous fait grimper une vallée encadrée par deux chaînes de montagnes aux flancs abruptes comme le Vercors. Le moteur de notre bus** exprime tout son coffre assourdissant dans des courbes serrées et nous rejoignons enfin le col, frontière naturelle et historique avec le Tamil Nadu.



Le bus fait une pause. Nos oreilles aussi. En face de nous, la plaine « dravidienne » infinie, plusieurs centaines de mètres en contrebas, est baignée dans un nuage, qui semble danser avec les sommets.


La route redescend en un long ruban serpentant le long de la montagne en épingles à cheveux serrées. Le paysage est magnifique. La géologie de cette chaîne de montagne*** est impressionnante.

En un rien de temps, nous rejoignons le pied de la montagne pour évoluer désormais sur la large plaine, parmi les cultures de bananiers et palmiers…


… puis les villages du Tamil Nadu à la population de plus en plus dense avant d’arriver dans la chaotique ville de Madurai.
Aïe, l’arrivée est compliquée.
Le bruit, les odeurs, la foule, l’Inde dans toute sa splendeur nous saute de nouveau au visage.
Peut-être aussi notre inconscient n’en veut plus, n’en peut plus et est déjà de l’autre côté du pont d’Adam.
Nous trouvons une chambre environ calme, posons nos sacs et partons en direction du temple de Meenakshi.



De pur style dravidien, le temple de Meenakshi est un des lieux sacrés les plus importants de l’Inde du Sud et encore en activité. Dédié à Meenakshi, avatar de Parvati, la femme de Shiva, il est entouré de onze imposants Gopuram colorés, dont les plus hautes structures s’élèvent à plus de 50m de haut.


Il est a noté également, qu’il est extrêmement rare en Inde de voir un temple dédiée à une femme, en l’occurrence la femme de Shiva. Et même si deux sanctuaires se trouvent à l’intérieur du complexe (l’un pour Shiva, l’autre pour sa femme), les pèlerins se déplacent en masse pour aller prier Meenakshi, plutôt que son mari. Il y aurait 15000 visiteurs par jour.

À l’arrivée au temple, nous devons nous débarrasser de nos sacs, appareils photos et chaussures.
Nous pénétrons la première enceinte et rejoignons la cour périphérique qui encercle le temple et ses sanctuaires. L’endroit est vaste et ouvert, les gens se promènent, pressés ou non de rejoindre le cœur du complexe.
De notre côté, nous profitons de la quiétude du lieu, après le chaos et la poussière des rues.

Nous passons la seconde enceinte et entrons dans le temple, dont les centaines de piliers sculptés jalonnent les longs corridors par lesquels nous circulons.
Des groupes sont installés face à telle ou telle divinité, un prêtre devant eux recitant quelques mantras bienfaisants en l’échange d’une donation.
Comme souvent au Tamil Nadu, les sanctuaires sont interdits aux non-hindous, ainsi nous faisons le tour du bassin central, des parties accessibles, des colonnes et des petits sanctuaires annexes et quittons les lieux.

Nous rentrons à l’hôtel par les ruelles agitées de cette fin de journée.

Nous sommes épuisés. Madurai nous apparait chaotique, malgré le plaisir que nous avons à nous arrêter pour un chai ou fouiller et découvrir ces façades et atmosphères décaties.

C’était aussi notre dernier jour en Inde. Ça y est. Nous partons.
Ainsi se termine notre quatrième séjour dans le sous-continent, débuté il y a maintenant 10 semaines.
Une fois encore, nous en avons pris plein les yeux. Le Karnakata nous a définitivement surpris et conquis. Les différents sultanats, empires, ou dynasties qui s’y sont succédés : Hyderabad, Bidar, Bijapur, Halebidu… tant de villes et villages au riche patrimoine peu connu qui nous ont émerveillés et convaincus des beautés de l’Inde, et particulièrement de la région du Deccan.
Puis Hampi et le vaste empire Vijayanagar, les cohabitations et conflits des hindous et des musulmans, les styles architecturaux et les influences qui s’entremêlent.
Nous avons adoré nous plonger dans l’Histoire du sous-continent, intrinsèquement liée à celle de l’Asie Centrale et des grandes conquêtes.

Nous n’avons qu’entrouverts les portes du Kerala, mais nous savons que ça n’est que partie remise.

Et bien sûr, Bombay qui apparait aujourd’hui comme notre ville-refuge, là où nous pouvons retrouver les copains et, pester contre cette Inde bruyante, nauséabonde, polluée, et prendre le temps, au calme de cette bulle, avant de nous replonger à corps perdus dans le tumulte indien.
Mais même après plus de deux mois ici, nous reconfirmons que l’Inde est complexe, multiple, divisée et unique. Et que nous sommes encore et toujours attirés pour en découvrir plus. Malgré tout.

Ainsi nous quittons Madurai, le cœur serré, pour moins d’une heure de vol en direction de Colombo.À quand la réouverture de la liaison maritime via le détroit de Palk ?

Ce soir, nous serons en compagnie de Charles et Maneyika. Nous avons hâte de les retrouver.

 

 

 

 

‘* Le poivre noir (Piper nigrum) est une liane de la famille des Pipéracées originaire de la côte Malabar.
Les premiers plants cultivés au Brésil, à Madagascar ou ailleurs venaient tous du Kerala. Dans l’Antiquité, les grains noirs servaient de monnaie d’échange au même titre que l’or ou le sel.

** Au Kerala, les fenêtres des bus n’ont pas de carreau. S’il fait trop soleil, ou s’il pleut, on ferme un ventaille qui coulisse dans le cadre de la fenêtre. Pratique pour faire des photos !

*** Les Ghats occidentaux ne sont pas à proprement parler des montagnes issues du plissement de deux plaques tectoniques. Il s’agit en réalité d’un escarpement partant du plateau du Deccan et descendant jusqu’à la mer d’Arabie. Il est probable que cette chaîne de montagne se soit formée il y a environ 150 millions d’années, lors de l’éclatement du super-continent, Gondwana, quand elle était au contact de l’actuelle île de Madagascar, et que cela ait formé, lors de la séparation, des falaises d’environ 1000m de hauteur, constituant un épaulement de rift.
La plaque indienne opéra une remontée du Sud au Nord vers l’Asie, il y a 150 à 50 millions d’années, à une vitesse estimée d’environ 15 cm/an. Au cours de cette migration, la plaque indienne dériva sur le point chaud de La Réunion, une zone à forte activité volcanique. Les terres de l’Inde actuelle subirent alors d’intenses éruptions volcaniques il y a environ 65 millions d’années qui formèrent les trapps du Deccan, constitués d’un empilement successifs de laves basaltiques. Aujourd’hui, cette zone couvre une bonne partie du centre-ouest de l’Inde.

 

8 thoughts on “Dans les Ghats hauts

  1. Ils cultivent quelle sorte de thé dans les ghats ? Il me semblait que le Darjeeling était cultivé dans le nord vers le Népal. Là, c’est du Ceylan (proximité du Sri Lanka) ?

    1. À vérifier. Mais je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de variétés d’arbres à thé. C’est le procédé de séchage/roulage + tailles des feuilles plus ou moins jeunes qui font des thé différents

      1. Vous avez raison. Y’a bien ~150 variétés d’arbre, mais c’est bien le procédé de fabrication qui définit si c’est du Ceylan, Darjeeling, Pu-erh…

  2. Spectaculaires les champs de thé, et en beauté et en volume, que de cups of tea cela laisse présager autour d’un petit ….

  3. Greeeeeeeeeeeeeeeeeen. Malgre l’impact desastreux de la plantation, c’est quand meme joli ce vert. Ca va mieux les voyages en avion?

  4. Coucou les amis !

    Premier gaou n’est pas gaouo, aaah, c’est deuxième gaou qui est niataooo, aaaah wanguenewanguenewaaann, wanguenewanguenewaaann.
    https://www.youtube.com/watch?v=XCXqRDb0EDM

    Impresionantes ces cultures « geométriques ». En sachant que tout est fait à la main, c’est un sacré boulot !
    La différence entre le haut et le bas de la montagne est aussi surprenante. On dirait que vous avez parcourru des milliers de kms…

    Byebye India !!

    Un abrazo a vosotros

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