Down Down Down

J15
Marpha – Lete

Marpha : 2701m alt.
Lete : 2504m alt.
23.5km – total : 6h16’

Réveil difficile, nos corps sont fatigués. Il semblerait que notre jour de repos de la veille nous a coupés les jambes plutôt que régénérés. Et malgré la détente et le plein de pommes, nous sentons que nos muscles ont commencé à prendre leurs aises et se détendre un peu (certain dirait « en compote »).
Ainsi, au réveil ce matin, la mise en route est difficile.

Comme à l’accoutumé, un tsampa pour le petit déjeuner et nous quittons le charmant village de Marpha peu après 7h00, et empruntons pour, heureusement, un peu plus d’un kilomètre seulement, l’hideux chantier de la route principale. Nous traversons la Kali Gandaki au niveau du village de refugiés tibétains de Donga, pour continuer sur la rive gauche du fleuve.
Ici, pas de route grise et poussiéreuse, mais un paisible petit chemin en surplomb d’une terre meuble. Nous longeons un ruisseau d’eau fraîche, quittons le monastère et passons entre les parcelles délimitées par des murets de pierres.


Il est tôt et les températures sont encore fraîches alors que nous sommes dans la pénombre des montagnes. Il n’y a pas âme qui vive à cette heure, et on dirait que plus aucun randonneur n’emprunte ce sentier.

Nous traversons un paysage alpin, entre conifères pointus et vergers aux couleurs automnales. Les villages aux vieilles bâtisses, les étables et les fermiers nous donnent l’impression d’une ambiance paisible et sereine.

Après sept jours de voyage à quatre, nous nous retrouvons désormais seuls. Et la quiétude du paysage est parfaite.
Les deux prochains jours devraient nous faire perdre 1300m d’altitude pour rejoindre le bourg de Tatopani, porte d’entrée vers le trek de Poon Hill, pour ensuite rejoindre le Camp de Base des Annapurna. Les distances s’annoncent longues, mais les dénivelés paraissent raisonnables.

… C’est pourquoi, dès que l’occasion se présente de faire un crochet et de prendre un chemin alternatif, nous en profitons naïvement. Et tant mieux. Nous avons l’impression de savourer encore plus, de nous échapper et de nous enfoncer dans ces vallées cachées, à la rencontre des villages isolés.
Ainsi, une longue ascension à l’ombre d’une falaise nous fait rejoindre le plateau de Chimrang. En approchant du village, nous traversons des cultures en escaliers bucoliques. Au milieu des nombreux vergers, les agriculteurs plantent ribambelles de choux, contrastant de leur doux vert mât.

Quelques villageois sont déjà entrain de s’afférer aux champs, alors que nous les saluons essoufflés de cette longue montée.

Au-dessus de nos têtes, dans le ciel matinal (et parfois pas si haut), un ballet d’une dizaine de petits avions à hélices volent entre les montagnes avant que le vent ne se lève, faisant ainsi la navette entre Jonsom et Pokhara. Le silence est ainsi rompu, mais nous regardons ces appareils, curieux d’imaginer la vue incroyable dont le pilote doit jouir depuis son cockpit.

Le village de Chimrang s’allonge sur la crête à 2800m alt.. Il n’y a pas trop d’activité quand nous le traversons ce matin, malgré quelques enfants jouant dans les ruelles ombragées.


Nous redescendons une route raide qui longe une vallée tributaire de la Kali Gandaki et offre un beau point de vue sur le massif de Dhaulagiri qui se dévoile timidement derrière une rangée de nuages.
Nous rejoignons la rivière que nous traversons sur un frêle pont de bois et redescendons jusqu’au bord du fleuve. Nous serpentons dans des forêts plantées de conifères éparses. Le terrain est sec de graviers gris.
Très vite, nous atteignons une autre vallée affluente de la Kali Gandaki.
Nous traversons sa large confluence totalement asséchée en cette période de l’année. Nous sommes impressionnés de sa largeur, tant sa traversée nous prend du temps.
Il faut dire que marcher sur des amas meubles de rochers arrondis n’est pas reposant. Nous perdons même ce que nous pensons être un sentier, s’il n’y en a jamais eu un, et tirons en ligne droite vers un hameau de l’autre coté d’une mer de cailloux d’au moins 500 mètres de large.

Sur le versant opposé de la vallée, la route désormais construite, a permis aux villages de se développer et de devenir des villes. On entend parfois le ronronnement des machines et les klaxons des autobus.
Les villages se situant sur la rive sur laquelle nous évoluons semblent parfois délaissés voire bien austères.
Au détour d’un résineux, un groupe de femmes faisant sécher des spirales de pommes tente de nous prouver le contraire.
Le trajet est extrêmement calme, minéral et parfois désolément triste à la vue des troncs et souches d’arbres charriés par les eaux – surement violentes – lors de la fonte des glaces. Cet environnement semble tout de même fragile, les jeunes pousses de conifères s’élançant discrètement vers le ciel. Nous nous félicitons de ne pas être restés sur la route.

Si Brice n’a pas trop le moral (de nouvelles ampoules aux pieds sont apparues – ses chaussures se délabrent, et le poids du sac semble lui peser), Marion est contente de cette journée. Nous avançons malgré tout bon train, utilisant la motivation de l’un pour accompagner et supporter l’autre. Ces disharmonies émotionnelles fonctionnent comme des yoyos, il y a toujours cette corde qui retient l’autre.

En fin de matinée, après le passage d’un nouvel affluent à sec, le vent se lève. Nous appréhendons ce souffle éprouvant, mais ce dernier est bien moins violent que dans la région de Jonsom. Nous sommes presque sortis du corridor.
Autour de nous, les sommets des montagnes se couvrent.

Le sentier, désormais étroit remonte abruptement le long de la falaise à l’ombre des pins.
C’est très mignon. Cela nous donne un beau point de vue sur les montagnes et le fleuve gris qui ne cesse de s’élargir, mais que c’est fatiguant.



Rapidement, nous dépassons une fois de plus 2800m d’alt..

Le chemin passe aux abords de villages perdus aux milieux de clairières pittoresques, rejoignant ainsi le niveau du fleuve. Ici, les méandres ont laissé une vaste zone tourbée, presque marécageuse par endroit.
Au lieu de la contourner en suivant le sentier, nous descendons dans le lit du fleuve et coupons à travers parmi les vaches hagardes de voir deux randonneurs sur leur terrain de jeu.



Les derniers kilomètres jusqu’à Lete sont difficiles, d’autant qu’une partie se déroule sur la route que nous avons rejointe deux kilomètres en amont. Non pas que le trafic soit incessant, mais les quelques voitures ou camions qui nous doublent entrainent leur lot de poussière et de klaxon.
Nous nous demandons même si nous ne pousserions pas encore jusqu’au prochain village*, mais nos jambes sont lasses. À 13h30, nous nous arrêtons à l’hôtel, plutôt confortable, conseillé par Lars, en avance d’une journée sur nous.

Le cadre est beau, depuis la terrasse où nous pratiquons une longue séance d’étirements et profitons d’un thé chaud sous les derniers et timides rayons du soleil, qui disparaissent de bonne heure derrière les massifs monts sur lesquels Lete est adossé.


Nous avons une vue dégagée sur Dhaulagiri, les sommets d’Annapura I (8091m alt.) et de Nilgiri (7061m alt.) qui se dévoilent subrepticement sous une lumière dorée, alors que la pénombre a enveloppé le village.
On espère avoir beau temps pour le lendemain, car cette halte semble pouvoir nous offrir une vue incroyable, qu’il nous tarte de profiter pleinement.

Nous rentrons dans notre petite chambre en bois et trous au plancher, et finissons la journée, entre lecture sous la couette, popcorn d’apéro (il y a du maïs partout dans les villages que nous traversons depuis deux jours) et d’un délicieux dal bhat Thakali ** requinquant.

‘* Nous avons bien fait de ne pas pousser plus loin, et de ne pas avoir traverser la rivière.
En effet, une fois installé à l’hôtel et en contact avec Lars, il nous apprend qu’il a perdu 3 heures de marche cette même journée en rejoignant le sentier évoluant sur la rive opposée avant de devoir faire demi-tour face à un glissement de terrain qui a enseveli le chemin de randonnée. C’est contrariant.

** Les Thakalis sont un groupe ethnique propre au sud des monts Tukuche et à la vallée de la Kali Gandaki. La nourriture Thakali est réputée pour ses saveurs et sa pâte de millet (parfois sarrasin, orge, maïs ou dal) appelée le Dhindo.

Marpha : 2701m alt.
Lete : 2504m alt.
23.5km – total : 6h16’




J16
Lete – Tatopani

Lete : 2504m alt.
Tatopani : 1229m alt.
23.9km – total : 6h03’

Au détour d’un aller-retour nocturne aux toilettes*, Brice se retrouve sous un ciel incroyablement dégagé. Dhaulagiri, Annapurna I et Nilgiri sont superbement éclairés par la lune.
Les sommets enneigés se détachent du ciel et de la vallée encore endormie.


Au réveil, c’est rempli d’excitation que nous nous extirpons de nos sacs-de-couchage et couvertures, émus de saluer de si près ces mastodontes. C’est très impressionnant.

Nous nous préparons en hâte et avalons notre thé et traditionnel Tsampa, dont nous commençons – nous avouons – à nous lasser, et quittons Lete. Il est 7h00.
La veille, Lars nous avait prévenu que le chemin évoluant de l’autre côté de la vallée était fermé à cause d’un éboulement (il avait alors dû faire demi-tour).
Ainsi, nous suivons sagement ses conseils et restons sur la route principale en direction de Ghasa, pour les prochains dix kilomètres.
Heureusement, il est tôt, nous pouvons avancer dans le silence matinal, sans véhicule ni poussière.

Le village de Lete apparait ce matin comme un charmant hameau aux vieilles maisons de pierres et toits en ardoises. Les vaches ruminent placidement sous les premiers rayons du soleil. Les cultures de millet et maïs occupent le plat de la vallée alors que les flancs des montagnes se parent de résineux vert sombre, qui disparaissent progressivement pour mettre à nu la roche des montagnes.

Dorénavant dans notre dos, Dhaulagiri nous observe partir, scindé en deux par son énorme cascade de glace.

Marion a de nouveau mal au pouce du pied, et recommence à boîter légèrement.
La route, en pleine construction n’est que gravas et pelleteuses encore assoupies, flaques de boues et éboulis. Les bas-côtés sont marqués de larges coulées de terre et des morsures des pelles mécaniques. Le paysage lacéré en pâti tristement et nous file un peu le bourdon. Nous ne profitons pas pleinement des couleurs chatoyantes de la lumière qui traverse les futaies et offre un éclat argenté à la rivière glissant au fond de sa gorge.

Nous laissons derrière nous les hautes montagnes, avec un petit pincement au cœur. L’environnement, ce matin, est alpin, et lorsque nous arrivons à Ghasa – après deux heures et dix kilomètres sur la route, nous avons déjà perdu plus de 500m de dénivelé.

Le village de Ghasa est plutôt charmant. Avant que la route ne soit construite, ce hameau était un lieu stratégique des randonneurs désireux se rendre à Dhaulagiri ou dans les environs.
Aujourd’hui, on sent que les marcheurs se font plus rares, et c’est un village endormi que nous trouvons.

Les quelques habitants nous voyant passer nous saluent gentiment, tout comme les enfants qui se fendent de mignons Namaste, joignant leurs petites mains devant leurs têtes. On adore…

À la sortie de Ghasa, nous empruntons le long et mince pont suspendu enjambant la profonde gorge, qui nous permet de rejoindre le « bon » côté – celui qui n’est pas la route – et retrouver avec joie le sentier des Annapurna.

L’étroit chemin longe, dans un premier temps la falaise recouverte de mousses et petits arbustes qui poussent maladroitement sur les pans raides.
La suite n’est qu’une succession d’escaliers en pierre qui montent et qui surtout descendent, villages désertés et étroits sentiers verts. L’ambiance est sereine, désolée.

À mesure que nous perdons de l’altitude, la température grimpe, la végétation perd son aspect alpin, et retrouve son exotisme : fougères, bananiers et larges feuilles d’alocasie (« oreilles d’éléphant »).
Comme lors des premiers jours de marche, de longues cascades coulent sur les parois : il n’y a définitivement plus de neige. Nous longeons la rivière et la route qui nous fait face, qui se charge de plus en plus de véhicules dont les klaxons résonnent à travers le canyon. Les maisonnettes en béton se multiplient. Nous sommes dans un tout autre milieu, ce qui nous attriste un peu. Nous n’étions pas préparés à quitter aussi subitement les sommets enneigés, les pics, l’altitude et leurs quiétudes qui nous enivrent tant.
Nous continuons de descendre, chevauchant des volées abruptes et infinies d’escaliers aux marches irrégulières.
Le motivation de Brice est entachée par les travaux de la route qui défigurent ce paysage, tout comme l’énorme station électrique qui occupe le fond de la vallée et qui nous prend beaucoup de temps à doubler.
Marion souffre de son pied, et les derniers kilomètres lui paraissent interminables.
Notre moral est mis à rude épreuve aujourd’hui, et on finit par marcher en silence l’un sans l’autre, après s’être pris le bec.

Nous traversons encore quelques villages, sentant notre destination se rapprocher. Quelques balançoires incroyables, construites en bambou, nous redonnent le sourire alors que nous imaginons les enfants en train de voler dans les airs.
Un dernier pont poussiéreux après le parking des engins de chantiers, et nous voilà de retour sur la route boueuse (pour seulement 700m heureusement) qui nous achève et termine notre journée de marche.
À 13h00, Tatopani nous accueille tant bien que mal, avec son lot de Travelers et bus bruyants.
Quelle longue journée encore. Nous sommes fatigués.

Nous traversons ce gros hameau archi-touristique, où se succèdent guesthouses, restaurants et boutiques de souvenirs, pour nous arrêter dans l’auberge conseillée par Lars, qui s’est pris à son tour une journée de repos.
C’est ainsi que nous le retrouvons, lézardant à la terrasse au soleil les yeux rivés sur son bouquin. Retrouvailles chaleureuses et échanges sur nos deux derniers jours. Pour lui aussi, cette partie Marpha-Tatopani n’a pas été une partie de plaisir.
Nous avons quitté l’hiver et l’automne. Nous sommes ici de retour sous un climat subtropical, à 1229m alt. et nous avons perdu 1300m.

Nos affaires posées, une douche rafraichissante prise et une rapide lessive effectuée, nous partons faire une micro-balade, à la recherche de nouilles et momos à un prix décent, que nous trouvons dans un buibui tibétain voisin. Tashidelek !

Tatopani n’a aucun intérêt, si ce ne sont ses sources d’eaux chaudes, dans lesquelles nous pataugeons en fin de journée.
Un énorme bassin, aménagé comme une piscine municipale invite les randonneurs, et plus nombreux touristes népalais, à venir s’y tremper et s’y détendre. Et ça fonctionne plutôt bien.
Nous y passons plus 1h30, à papoter en sous-vêtements (oui, peu de gens pensent à prendre leur maillot de bain lorsqu’ils partent en trek en montagne), en compagnie de Lars et Dan (l’Américain croisé à Tilicho, sur le chemin de Ledar et au Camp de Base et retrouvé à l’auberge) et d’une bière bien fraîche alors que nous cuisons à feu doux dans cette large marmite naturelle.

Nous terminons cette journée autour d’un dal bhat en terrasse, car même à 19h, il fait encore bon dehors. Ça fait du bien de ne pas avoir froid.
Notre corps tout entier est détendu, délassé, et nous préparons la journée de demain avec Lars, qui rejoint de nouveau notre binôme.
Direction Ghorepani, situé à 2866m alt. Ça va grimper…

‘* Le long du circuit des Annapurna, les toilettes et douches sont des endroits partagés, installés, au mieux, sur le même palier, au pire au fond de la cour ou ailleurs…
On réfléchit ainsi à deux fois avant de quitter notre couette.

Lete : 2504m alt.
Tatopani : 1229m alt.
23.9km – total : 6h03’


6 thoughts on “Down Down Down

  1. Vous êtes devenu obsédé par les tartes aux pommes très clairement, au point d’écrire tarte au lieu de tarde. Bravo en tous les cas. Et pour le moral de Brice, il suffit de plus mettre ce T-shirt rouge. Il ne te va pas du tout…

  2. Ouf je transpire …
    Après ces montagnes enneigées et froides, certes superbes, je ne revais que d’un peu de bien être en retrouvant douceur et bonne douche chaude …
    Merci !

  3. Bucolique le petit sentier d’aujourd’hui 🙂

    Les photos de nuit de Anapurna I et ses potes, sont magiques!
    Cela donne l’impression qu’ils se reposent la journée, enveloppés dans les nuages, mais qu’ils se réveillent la nuit pour veiller sur les villageois, tels des gentils géants.

    Ne perdez pas le moral les amis.
    Malgré quelques km de route en construction, et quelques boutiques de souvenirs absurdes, vous vivez des moments magiques!

    Bisous

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